Car des roses il n’y en a pas


Jamais l’hiver dit-on, mais pour un arbre aux rameaux d’or on irait loin, et d’où vient ce parfum de roses sinon du corps lui-même, de sa mémoire? Car de roses, il n’y en a pas, l’hiver. Cela n’existe pas, ne peut pas être. Pourtant, le corps savoure, arrêté, debout dans le soleil, ce qui monte en lui, ce qui circule autour de lui, l’air tiède et ce parfum de roses.

Ce doit être l’amour, alors, qui nous tend les clés d’une autre saison. Toute une lignée de femmes a vécu là, traversé la terrasse aux divers moments de leur âge. Vacillantes ou pimpantes, heureuses ou mélancoliques, elles ont imprimé leurs pas dans le sable, et ce lieu s’est imprégné d’elles.

Elles ont regardé l’arbre, elles ont vu les branches nourries de lumière. Peut-être ont-elles puisé du courage dans ce soleil d’hiver. Vies passées, estompées dans un même oubli, pourtant si différentes. Chacune avait son pas, son timbre de voix, ses soucis. Il faisait froid comme aujourd’hui, jadis, quand le temps s’est fait sève. (Ma mère aussi viendra, reviendra, puis ses traces.)

Ces murs conservent le souvenir et la sueur des pommes odorantes, accumulées en pyramides hautes jusqu’au plafond. J’aime leurs blessures, les traces de peinture et ce vert étonnant, céladon d’écurie, luxe incroyable, impensable, avec des frises, où clapote la lumière tremblée des douves. Avant les pommes, il y eut des orangers en caisse et des hommes pour les transporter au gré des saisons. Ils transpiraient aussi. Dedans, dehors, automne, avril. je me souviens de leur accent, qui roulait dans la bouche. Murs imprégnés de leur travail. La fureur de l’utile n’autorise plus à laisser de tels endroits dans leur jus. Mais chut! Ne dérangeons pas dame araignée, surprise en plein surf sur sa toile, et le fil aux lèvres.

Jamais l’hiver, au risque d’agacer l’arbre pris dans sa nudité, les courants d’air qui se promènent en maîtres et se rient des fantômes. On en ferait un loft, un atelier, quelque chose, on oublierait d’apprendre à écouter. Revenez au printemps, laissez-nous tranquilles!

Et puis les enfants qui feront claquer les balles de ping pong, les raquettes jetées bruyamment, leurs pas, leurs cris, l’été mijotant dans le vieux garage.

Avant de repartir, une photo dérobée. .

Voleurs, oui, mai de quoi?

(mars 2011)

2 réponses à “Car des roses il n’y en a pas

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