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L’île intérieure 1 retour du voyageur


De cette île j’ai souvent décrit les paysages, puis les impressions qu’ils faisaient naître en moi, puis j’ai tenté de capter quelque chose de subtil qui se distillait peu à peu : une image constituée de mille couches amalgamées, condensées, transformées au fil des ans, organisme composite vivant une vie mystérieuse, autonome, imprégné des souvenirs, des rêves et des conversations tissées en marchant sur la plage, à marée basse, des observations notées en sillonnant à vélo les marais, en promenant le chien le soir dans les dunes ou méditant à l’aube, les jours de pluie. Cette image-éponge incorpore peu à peu des souvenirs d’enfance amenés là par les courants de la mémoire : cirés de mes cousins voileux suspendus sur un fil à linge, en Normandie, jetant leurs éclats d’un jaune cru dans la lumière indécise, le vert émeraude intense des salades de mer et la chevelure abondante des goémons accrochés à leur socle de granit en Bretagne. S’ajoutent à tout cela les couleurs de souvenirs imaginaires, développés le plus souvent à partir d’une image, comme cette gravure d’une marine devant laquelle je m’endormais, le soir, dans la villa de la côte normande où nous passions le mois de juillet. Tendant mon esprit vers l’autre côté de l’Atlantique, je voyais se dérouler de furieuses batailles navales en baie de Chesapeake, sous le regard des indiens dissimulés à l’ombre des forêts. Plus tard, à l’île d’Yeu, réveillé bien avant l’aurore par une escadrille de moustiques enragés, j’écoutais sur ma petite radio portable la météo marine et le Jamboree musical de Laurent Voulzy, élargissant le périmètre de mes impressions et de mes divagations à des mondes toujours plus lointains, plus divers et plus riches. Bientôt, je partirais les explorer pour de vrai. Mon appétit de voyages me conduirait vers ces villes, ces pays, ces continents, à la rencontre de ces peuples dont je tentais de deviner la culture en écoutant leurs chansons. J’irais jusqu’en Asie, où je connaîtrais les pluies tropicales tombant avec fureur sur la terre détrempée, des journées entières. Mes pieds s’enfonceraient dans un sable brûlant, vierge de toute empreinte humaine, et je goûterais des mangues d’une suavité sans pareille, le matin, face à la baie de Manille. Ce pays m’a transformé. Je m’en suis imprégné. L’humour cocasse des Philippins, leur capacité à rire de toutes leurs misères, leur gentillesse ont changé mon regard sur la vie. La pauvreté, la crasse et l’odeur de vomi n’ont fait qu’enrichir de saveurs plus fortes et plus contrastées cet adobo longuement mijoté. Matamis, mahirap, masaya : douce, dure, et drôle. La vie.
J’ai retrouvé tous ces visages, un soir, en regardant avec mon père l’émission d’Alexandra Alévêque « Drôle de ville pour une rencontre ». L’infernale vitalité de Manille m’a de nouveau sauté à la figure. Une séquence de l’émission montrait des familles installées dans le cimetière nord, oasis de calme au milieu de la gigantesque métropole. Une femme d’âge moyen moyen faisait découvrir la vue depuis la terrasse du caveau funéraire de son propre père. C’est là qu’elle habitait. A la journaliste stupéfaite, ils expliquaient que c’était l’un des rares endroits où l’on trouvait encore à se loger, dans la ville la plus dense du monde. Du linge séchait entre les tombes. Un coiffeur y proposait ses services à côté d’une épicerie minuscule et d’une école élémentaire improvisée. Dans cette ville où la mort peut vous prendre à tout âge, sous les traits d’un moustique ou d’un chien enragé, une telle cohabitation n’a rien d’exceptionnel. Il faut bien vivre, et c’est ce qu’ils font.

Je suis rentré en France.
J’ai revu plusieurs des témoins de cette enfance, récemment, lors d’une cousinade étendue jusqu’à à des branches éloignées de la famille de mon père. Nous avons beaucoup ri en imitant la voix de personnes disparues, partagé d’infimes détails connus de nous seuls, ajouté dans ce tableau les nouvelles générations, poursuivant le travail de la vie qui ne cesse de créer. Nos vies suivent des cours différents, mais nous accédons toujours à l’île intérieure, ce morceau de souvenir dont les contours, comme les îles de la Loire, se métamorphosent au fil des saisons.

La plage de la Conche île de Ré

Le kiné de campagne et la tourterelle


En marchant sur la plage, où le conseil municipal vient d’interdire à son chien de batifoler, même après 19h00, l’ami d’enfance me raconte ce dialogue avec l’une de ses patientes :

-monsieur, ca fait une heure que vous êtes là, dit la vieille dame étonnée

-madame, lui répond le kiné de campagne, je ne regarde jamais ma montre. C’est pour ca que j’ai choisi d’être kiné à domicile. Merci pour le café. Pour les deux cafés.

– Je vais beaucoup mieux maintenant,n’est ce pas? Dit la vieille dame avec un sourire fin, plein de retenue. Toujours vêtue de rose, très soignée, courtoise, elle conserve une petite trace d’accent belge au bout de trente années en Touraine.

– Vous allez beaucoup mieux, bien sûr. La preuve : vous marchez jusqu’au fond de votre jardin. Mais si je continue de venir vous voir c’est à titre préventif, par vigilance, et pour le plaisir de votre conversation, répond le kiné de campagne en allumant une cigarette. Elle fume aussi, enfin, elle vapote. Une odeur de caramel se répand dans la pièce.

– Merci, répond la vieille dame.

Depuis six mois qu’il la soigne, non seulement le Parkinson a régressé, mais elle a pu diminuer les doses de son traitement pour la psychose.

-C’est moi qui vous remercie. Vous me redonnez le goût de faire ce métier

-Vous reprendrez bien un café pour la route?

-…

Les inspecteurs de la Sécurité sociale lui diraient probablement qu’il fait de la sur-qualité. Lui répondrait qu’ils se soignent mutuellement.

Le soir, on discute sur la terrasse (politique, montée de la violence, déchirement de la société, chacun campe sur ses positions, s’échauffe, argumente sans tenir aucun compte de l’autre) quand résonne une voix féminine depuis l’intérieur de la maison : une tourterelle est venue se poser sur le miroir de sa chambre. Tout le monde se précipite pour venir voir l’oiseau qui reste là, tranquille, en équilibre sur son drôle de perchoir. De temps à autre un mouvement imperceptible de la tête révèle la finesse de ses lignes. On s’interroge : est-elle blessée? Malade? Mourante peut être? Indifférente à nos conjectures, la tourterelle, d’un coup d’aile, va se poser sur le rebord de la fenêtre. Un rayon du soleil couchant caresse son plumage d’un gris tendre et chaud.

Le temps que les invités prennent quelques photos pour les envoyer aux enfants via Whatsapp, elle s’élance vers le clocher de l’église où l’attend sa compagne.

A cette heure, elles roucoulent encore.

Cherchait-elle où bâtir un nid?

Libérez la dopamine!


13 Juillet 2919, ile de Ré

Par sa beauté, la richesse des espèces qu’elle abrite et sa vulnérabilité aux aléas climatiques, sans compter l’impact immédiat des cent mille humains qui s’y pressent tous les ans, l’île de Ré est un lieu emblématique de ce qui se joue en ce moment, partout sur la planète.

C’est pourquoi je n’ai pas été surpris de trouver hier, dans une librairie de Saint Martin en Ré, un livre assez savant sur les diverses mesures qui pourraient être prises pour la protéger. Il s’en vendra tout au plus quelques dizaines d’exemplaires,
mais ce qui compte, c’est qu’il participe déjà d’une recherche de solutions, au-delà du constat.
Nous sommes tous concernés.
L’été, de plus en plus, est la saison des bilans et des remises en question de notre mode de vie. Comment habiter cette planète sans la détruire? Les canicules à répétition, le contact plus intime avec la nature et les dégâts que lui inflige notre civilisation, la disparition des espèces familières (grenouilles, hirondelles, mésanges) accélère cette prise de conscience et va même jusqu’à provoquer, ces certains, ce que les psychologues ont nommé « éco-anxiété ». https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/l-eco-anxiete-ou-la-detresse-due-au-changement-climatique_132187
Le risque est de sombrer dans un sentiment de désespoir démobilisateur : à quoi bon faire tous ces efforts pour changer mon mode de vie si c’est fichu de toute façon?
Nous avons longuement évoqué ce sujet avec Christine Marsan. Pour elle, l’urgence est de changer d’imaginaire : sans nier le risque d’un effondrement, thèse développée par les collapsologues, elle prône la création d’un nouvel imaginaire. Son livre pour une Néo- RenaiSens (nouvelle édition à paraître à la rentrée) propose un changement de civilisation, centrée sur de nouvelles valeurs. De même, quand le sociologue Bruno Latour propose dans « Où atterrir » de centrer notre attention sur le Terrestre, il ne propose pas de revenir à l’ancienne conception du Territoire comme un lieu à cerner de murs pour le protéger. Ce serait illusoire. Mais « porter notre attention sur » signifie établir un inventaire minutieux de ce qui vit, ici et maintenant, des relations – pas seulement économiques – qui relient tous ces êtres entre eux et au lieu dans lequel ils vivent.
C’est à partir d’un tel inventaire que nous pourrons -devrons, c’est une question de survie – inventer de nouveaux modes de vie soutenables.
La crise d’éco-anxiété ne m’a pas épargné. J’y ai plongé moi-même, il y a tout juste un an. La seule réponse convaincante que j’aie pu trouver a été le passage à l’action. Pour moi, c’est l’écriture, puisque c’est ce que je sais faire. Contribuer par l’écriture, puis par mon action de coach, formateur et conférencier à la création d’une culture de la Résilience et de la Coopération : croyez-moi, ce n’est pas un gadget, un truc de bobo. C’est moyen que j’ai trouvé pour ne pas sombrer dans le désespoir.
Je dois à la générosité des amis qui m’hébergent de pouvoir le faire dans un cadre magnifique, avec un grand sentiment de joie et de gratitude qui me remplissent de bénéfique dopamine. C’est tout le bien que je vous souhaite, où que vous soyez.

Vous avez dit futile?


 

Il fait si beau ce matin, le ciel est si pur, que je dois m’excuser par avance auprès de vous d’aborder un sujet plus grave que de coutume. Un sujet que l’on peut aussi choisir de traiter d’une touche légère, avec bienveillance, comme on accueille chez soi un visiteur trempé sous l’averse. Il s’agit de la peur, et des ressources qu’elle nous permet de mobiliser.

La peur est une déferlante. Il faut la prendre à plein corps, de face, et se laisser traverser par elle pour se retrouver ensuite hébétés, glacés mais debout, rassemblés, tonifiés, vivants.

Il suffit d’une alerte un peu sérieuse pour soi-même ou pour ses proches et toute la légèreté de l’été s’évapore. Quand le bon fonctionnement du corps n’est plus garanti, on se sent comme le passager d’un bateau sur lequel vient de se déclarer une voie d’eau. La certitude de rejoindre le rivage, sur lequel on se tenait tout à l’heure, heureux parmi les autres vacanciers, scrutant l’horizon où se déployaient des voiles multicolores, se dérobe.

Les courants, les remous nous déstabilisent. Notre perception de l’environnement se modifie. La mer dans laquelle on se baignait il y a quelques heures avec tant de confiance et de plaisir s’est tout à coup transformée en un risque mortel qu’il nous faut parer à tout prix. Toutes nos facultés se concentrent et le stress, augmentant nos forces et notre vigilance, réduit notre champ de vision pour en éliminer tout ce qui ne concerne pas le danger immédiat.

Pourtant, la beauté du monde qui nous entoure n’a pas disparu. La même lumière continue ses jeux argentés sur la crête des vagues, mais nous la ressentons comme une présence indifférente, ironique ou cruelle, pareille à ces dieux de l’antiquité se divertissant au spectacle du malheur humain.

Il faut une volonté particulièrement bien entraînée pour continuer à jouir de tout ce qui était là, tout à l’heure, et qui n’a pas changé. Apprendre à s’en nourrir, à puiser force et courage dans ces éléments qui ne nous veulent rien, ni bien ni mal.

Maintenir cette alliance est un travail de tous les instants, dans lequel s’aiguise notre perception. Il nécessite une impeccable clarté d’esprit, un amour de la vie chevillé au corps, et quelque chose de plus : la persévérance des sportifs de haut niveau, des musiciens, des ingénieurs, ou de quiconque a besoin d’atteindre et de maintenir le plus haut niveau de performance. C’est une décision qu’il nous appartient de prendre. Quel regard choisissons-nous de porter sur les événements qui nous affectent ? Si nous le voulons, tout, même la peur, se transforme en ressource. Le moindre caillou sur le chemin devient trésor, l’obstacle une occasion d’exercer notre agilité. Aimons la peur, à condition de la chevaucher habilement : soyons champions de surf, épousons la vague, absorbons toute son énergie pour rejaillir, là-haut, dans le soleil, terrifiés mais ravis.

Si vous êtes encore en vacances, pardon pour le ton sérieux de cette chronique. Voyez-là comme une ligne d’horizon, d’un bleu plus foncé, qui rend par contraste encore plus éclatant le bleu joyeux de la mer la plus proche. Entendez-là comme un appel à goûter l’instant présent, à le savourer dans tout ce qu’il a d’éphémère et de précieux. Considérez-la comme un bruit qui, lorsqu’il cesse, rend au calme environnant toute sa plénitude. Appréciez l’imperfection dans la perfection.

Comme le chantait Léonard Cohen :

« Il y a au cœur de toute chose une fêlure,

Et c’est par elle que passe la lumière »

 

Le sandwich au pain (la résilience plus fun)


 

Bien sûr, nous sommes tous des touristes.

Et alors?

En tant que coach, je réfléchis depuis quelques années au concept de résilience, utile pour accompagner des personnes ou des équipes dans une démarche de transformation. Or je dois avouer que la manière dont les politiciens et certains media s’emparent de ce mot pour nous exhorter à tenir face aux attaques terroristes me semble largement insuffisante, particulièrement lorsque le sens de ce mot se réduit à une forme de résistance proche de la résignation. Ce n’est pas le sens originel que lui donnait Boris Cyrulnik, qui a popularisé le concept à travers ses livres (le vilain petit canard etc).

Pour le dire sans fioritures, la résilience ainsi présentée est aussi appétissante qu’un sandwich au pain. Il y manque le rêve, l’aspiration à construire quelque chose de plus grand, de plus fort, qui nous amène à nous dépasser. Grandir, c’est acquérir de nouvelles compétences et renforcer celles que nous possédions déjà, mais c’est aussi prendre le risque de se défaire de certaines illusions, pour aller à la rencontre du monde réel et de ses dangers.

Au cœur de cette histoire de résilience mijote la question de l’identité, individuelle et collective. A quel récit avons-nous besoin d’attacher notre vélo, cerclé d’un cadenas bien solide ? Dans quel territoire avons-nous besoin de planter nos pieds pour résister au sentiment d’imposture qui nous grignote impitoyablement ?

L’ami qui m’héberge ici ne cesse de se proclamer « un vrai rétais » sous prétexte que son enfance et son histoire familiale le rattachent à une époque considérée (et magnifiée) comme plus noble, plus savoureuse et plus authentique que l’actuelle. L’expérience de la pêche à pied en compagnie de personne dont c’était le seul moyen de subsistance, l’autorise par assimilation à se draper dans ce manteau d’authenticité.

On se fabrique une identité à partir de souvenirs qu’on réorganise, comme on améliore le contraste et la lumière de photos de vacances avec l’aide de logiciels dédiés. Et voilà le souvenir prêt à resservir en toute occasion.  Le problème commence lorsque cet âge d’or mythifié sert de prétexte pour établir une séparation avec ceux qui n’ont pas eu la chance de le connaître.

Pour peu que le récit coïncide avec un territoire, on croit tenir quelque chose de solide. Lorsque les tempêtes réduisent à presque rien les dunes, lorsque la pression démographique et la spéculation foncière modifient irrémédiablement les paysages, lorsque des enfants de bourgeois viennent, le soir, troubler le calme des plages et transposent ici leurs soirées parisiennes alcoolisées et bruyantes, le sol se dérobe sous les pieds de celui qui croyait s’être construit un bon refuge. Patatras ! C’est ce qui nous arrive collectivement. Mais n’oublions pas que si les vagues peuvent si facilement détruire les murailles des châteaux, c’est qu’ils sont faits de sable. Il suffit de regarder les bunkers du mur de l’Atlantique, défense illusoire construite par les Allemands contre un débarquement qui se produisit ailleurs, et qui s’affaissent aujurd’hui, piquent du nez face à la mer, redécorés par des graffeurs plus ou moins inspirés.

Que faire, alors, une fois percée la bulle ? Se lamenter ? S’adonner à la colère, au ressentiment ?

Ou s’intéresser à ce qui est là ? Construire de nouvelles relations avec le monde, avec les autres, avec soi-même ? Fonder notre sentiment de sécurité sur d’autres bases ?

Dix heures sonnent au clocher de la Couarde. Timbre agréable et clair.

Au marché, nous trouvons un plant d’hélicrisse, plante des dunes à l’odeur de curry qui pousse très bien dans la terre sablonneuse du jardin. Cela fera un beau cadeau pour notre hôte.

 

 

 

Résilience et rebond


Première partie

On connaît le silence au bruit qui le détruit.

Lui succède une attente, et puis un autre bruit,

Et cela devient rythme

Entre deux intervalles

C’est là qu’il faut apprendre à vivre.

 

Cinq heures sonnent au clocher

Les sons dispersés clairs et droits

Traversent le corps moulu de fatigue

La mer ce soir monte au plus haut

De son coefficient

L’île a rétréci jusqu’à sa plus étroite limite

Avant de regagner ses territoires perdus

La mer autour d’elle monte et descend comme l’énergie

Dans mon corps

Je l’accueille avec espoir et gratitude

Et je voudrais laver mon esprit comme la grève

Le laver de tous ces mois sales

De ces saisons sanglantes

Que s’effacent les traces des crimes, les offenses

Comme s’effacent les traces de pas sur l’estran

Et je voudrais tant que tu te souviennes

Je voudrais oublier

Que la peur s’évapore et que le ressac seul

Demeure pour rythmer le temps.

 

 

 

 

Deuxième partie

Bien sûr on aspire à guérir

De ces mois sales, de ces saisons sanglantes

Et comme le sable où passe deux fois la mer

On voudrait se laver de la peur, du ressentiment

Nous sommes venus implorer le soleil et la mer

D’effacer toutes ces traces de nos mémoires

Et nous prions le sable tendre, la dune odorante

Les sternes moqueurs de nous distraire.

La mer monte et descend comme l’énergie

Dans nos corps épuisés

 

Cinq heures sonnent au clocher,

La claire évidence nous rassure,

C’est un repère indiscutable,

Un clou planté vibrant

Pour retenir ce monde au bord de glisser à l’abîme

Nous nous accrochons,

Sauvés, soulagés, comme un surfeur au bord

De la noyade se raccroche à sa planche.

 

Bien sûr ce n’est pas ça guérir,

Mais puisque le sol se dérobe

Nager dans un monde liquide

Et mouvant nous paraît acceptable.

 

On donnerait ses trésors pour une respiration haletante,

On pourrait même trahir,

En tout cas la tentation serait grande, et rouler

Parmi les galets

Commettre à notre tour

Des crimes et des offenses

Ne serait-ce que par abandon.

 

Il est cinq heures et cela seul est sûr,

Un enfant vient d’éclore,

Il se roule dans la vague

Et sa question nous sauve.

On n’est pas des touristes! (tous des touristes)



Un hors-bord, circumnaviguant l’île,

Crève la bulle atemporelle

Où nous avions trouvé refuge.

Nous voici ramenés à notre condition de touristes.




Sur les pistes cyclables on croise

Des hollandais, des parisiens, des brexites,

Toute l’Europe et la dés-Europe

Affluent sur ce bout de terre périssable.

Ce petit paradis soigné, léché, policé,

Tremble derrière ses digues

Nos esprits comme ces marais sont en zone inondable

On n’y verra bientôt plus brouter que des ânes.

famille de cosmonautes

 

Résilience 1


 

Chercher ce qui tient

Et si rien ne tient,

Chercher ce qui nourrit.

Avec humilité, chercher les mots.

Et si les mots ne viennent,

S’emplir du ciel, de la mer, du ressac

Par le corps-fenêtre absorber la lumière

Se laver

Respirer, grandir. Se refaire.

La plage est à moitié vide

Beaucoup n’ont pu venir

Il y a quelques enfants, des retraités,

Des parents fatigués.

Un peu plus tard la lumière se fait caressante,

Une voile de kyte s’élève au-dessus de la mer,

Vert fluo, couleur de l’audace

Tranchant sur la banalité des vagues elle se maintient

Juste à la bonne hauteur pour capter le soleil

Il y a les jeunes avec leur besoin de sport

Par eux la vie rejaillit

Plus tard ils boivent des bières,

Les voici maîtres de la plage.

 

On leur donnerait ce monde à refaire

On aurait tort

Ce serait les embarrasser

On n’entend pas encore de musique

Juste avant de partir un dernier balayage

Où sont les amoureux ?

Penser à l’enfant qui va naître

Lui garder ces merveilles,

La dune odorante et les sternes.

Ce sera son Royaume. Il aura des yeux neufs,

Pour lui l’océan sera le bord du monde,

Les vagues des forces terrifiantes,

Leur éclaboussure un appel.

La carte le territoire et le GPS (1/3)


Oser sa vie : bien sûr. Buencarmino, dès le début, souscrit à cet objectif ambitieux, et se propose d’encourager quiconque se met en chemin. La PNL est un outil formidable pour cela, à condition d’être pratiquée avec discernement et bienveillance. Catherine Cudicio, dans le Grand Livre de la PNL, donne cette définition : « la PNL, utilisée pour le développement personnel, aide l’individu à réaligner sa carte du monde en fonction des buts choisis. En effet, ce ne sont pas tant les difficultés réelles qui tendent à empêcher d’atteindre un objectif, mais bien davantage la représentation de celles-ci ». En plus sobre, version Sénèque, cela donne : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». Autrement dit, la représentation que nous nous faisons de la difficulté, qui est une croyance (la carte), serait un obstacle souvent plus effrayant que la réalité « objective » (le territoire).

Oui mais… le coach, dans sa pratique, doit à ses clients de les accompagner avec bienveillance, selon la règle des 3P : Permission, Protection, et Puissance. Or le souci de la Protection incite à ne pas exposer son client à des dangers ou à des obstacles hors de sa portée. Devenir chirurgien ou un grand violoniste, passé un certain âge, n’est sans doute pas une ambition très réaliste. Le coach doit alors accompagner son client, l’aider à détecter les besoins, les centres d’intérêt sous-jacents à cette ambition pour le réorienter vers des activités permettant de satisfaire ses besoins, de nourrir ses intérêts, d’honorer ses valeurs. En somme, il doit l’aider à trouver un territoire où investir son énergie et ses talents. Pour le dire en langage d’aujourd’hui : avant d’allumer le GPS, il convient de bien choisir sa destination.

Illustration : carte de l’île de Ré.Image

Souvenirs de Ré


Ceci n’est pas une vraie carte postale de Ré. Un trompe-Google, tout au plus, clin d’oeil à qui saura rire de la pauvre ruse.

Que les autres, induits en erreur par le hasard d’un moteur de recherche égaré, pardonnent.

Voici, face à la plage Nord, l’ami d’enfance et l’auteur de ces lignes.

Des souvenirs qui nous construisent, dit l’ami, sans aucune nostalgie.

Celui qui parle ainsi connaît la douleur, celle qui dure et qui sape l’être jusque dans ses fondements.

Il s’y connaît en matière de destruction. Sa vie ressemble à ces digues ravagées par les ressacs, à ces dunes crevées, affaissées, où des blockhaus piquent lamentablement du nez parmi les oyats et les cristes.

C’est pourtant lui qui répare les corps brisés, lui qui prend la souffrance des irréparables entre ses mains énormes et qui leur propose, au dernier moment, sa folie en échange.

Mais en échange de quoi?

Sans doute, ils se comprennent et se rient de nous.

Ce langage, entre eux, de grandes marées. Pêche miraculeuse tout au bout des benches, pépites qui feraient reculer d’horreur le commun sentimental. Ces diamants acérés ne se cueillent qu’en fin de vie, là où les miroirs réfléchissent une lumière unique de vieux tain.

Que faire alors, sinon se souvenir, écouter, laisser venir les images. On venait là, sur ces plages, on s’épuisait en des courses viriles contre le vent, les cahots du sentier, l’averse. On regardait longtemps couler les nuages dans le ciel nocturne. Provision de trésors, sensations emmagasinées dans les muscles, ensevelies plus tard sous les saisons brutalement réalistes (à l’âge où l’on fait des enfants).

Et puis ces enfants nous défont.

Ces enfants nous creusent.

Un jour, ces enfants nous délivrent.

On voyait des fleuves et des îles creusées dans le sable, à marée descendante. Une Amazonie vue du ciel.

La lumière tout à coup révèle les corps-morts, ligne jaune alignée dans le bleu clair flottant liquide.

Une photo, parmi les herbes sèches et les coquelicots.

Deux photos, Puis trois, puis toute une série.

Ça fait rire l’ami bipolaire.

Quelle impudeur, aussi, et dans un lieu pareil.

Le soir, sur le port de Saint Martin, il me racontera l’histoire d’une très belle fille morte d’une façon ridicule. Sans la moindre nostalgie.

Retour à Ré


Il y a presque deux ans je retrouvais l’île de Ré, ses jeux de lumière sur les marais salans, les parfums de la dune et le plaisir physique de lutter contre le vent, contre la fatigue, la fierté de reconquérir un à un les mots, les sensations, les images et d’en faire un monde à partager. Après tant d’années au loin, je renouais une complicité presque enfantine avec ce coin de France. Un ami de Bangkok me parlait déterritorialisation, je répondais : Ré-paysement.

https://buencarmino.wordpress.com/2010/08/17/jeudi-5-aout-re-paysement/

Bien entendu, c’était la même chose, mais la même chose que quoi?

Déterritorialisation, cette faculté prodigieusement humaine d’inventer de nouvelles fonctions à partir d’une situation modifiée, de se créer un nouveau territoire, ancré dans le réel ou dans l’imaginaire. Génie de nos ancêtres nomades, chasseurs-cueilleurs. Et puis les sédentaires, ceux qui reviennent quelque part, les cueilleurs d’émotions et de sensations précises. Besoin d’ancrage dans un monde où s’effacent toutes les différences et tout ce qui pourrait porter du sens. 

Ce blog, né d’un triple pari, commençait sur ces mots, sur ces photos. On a parlé, depuis, de ce rapport compliqué au territoire, à l’identité, en des termes et en des lieux qui rendent presque impossible aujourd’hui d’y revenir sans poser de nombreux garde-fou, or le temps me manque, et ce serait ennuyeux pour le lecteur. L’envie de partager s’est trouvé d’autres voies, le blog a failli dépérir, négligé par son jardinier.

Et puis l’invitation d’un autre ami me ramène à Ré, pour quelques jours. Quelques photos prises entre les gouttes de pluie réveillent les « souvenirs sans nostalgie » dont parle cet ami. Le lieu, l’enfance et l’amitié se croisent, fidélités fertiles, mouvantes et libres, conversations nourries de sagesse. La joie de se baigner à nouveau, dès que monte un peu la température.

Sur la plage d’aluminium, au couchant, l’instabilité du monde est à prendre au mot.

le petit monde de Buencarmino


Voilà l’été chantent (ou plutôt braillent) les Négresses vertes, à pleins poumons. Ce sera bientôt le moment de retrouver les petites routes de la Sarthe et les marais de l’île de Ré, avant d’aller respirer la poussière des Philippines entre deux cyclones, ou l’odeur de la pluie sur le mont Banahaw.

L’été, c’est un désir de liberté qui monte, une envie de poser le nez dans l’herbe et d’écouter coasser les grenouilles au bord des mares. Le monde ne cesse pas de tourner, mais d’autres voix se font entendre. A travers les personnages rencontrés au fil des ballades, et qui font de trop brèves apparitions dans ce blog, une autre sagesse pointe. Bonjour à vous, l’âne du Poitou, inventeur du slow fun gentiment moqueur et sage comme une tranche de vieux bouddha (l’âne et la mouette), lointain cousin de l’âne du mullah Nasruddin; la mouette voyageuse qui n’aime rien tant que les cantates de Bach remixées (Lady Goldberg et les variations Gaga), les renards et les hérons sarthois, grands mangeurs de grenouilles des douves, les canards de Séville et les araignées de Louise Bourgeois, les bigorneaux rétais, les tigres du Bengale et autres baleines à dormir debout. Tout un bestiaire, et j’en oublie. le colibri, qui fait sa part! Et le chat du rabbin! Comment, vous n’avez pas encore vu le chat du rabbin? Se priver ainsi de 80 minutes de pur bonheur, il n’y a que des humains pour être capables d’une telle cruauté!

la déterritorialisation de la culture pop Hommage à Xulux


Coup de coeur à Xulux, un blog dédié à la culture et qui s’intéresse tout comme BuencaRmino à la déterritorialisation et au dessin. Je vous en donne juste un court extrait J’avais abordé le sujet dans les dialogues avec Thibaud Saintain et dans mon article du mois d’octobre sur le modèle comme coach). J’y reviendrai encore dans un prochain article sur le projet EPLV (Expo Peinture Vidéo Livre) sur les livres peints de Mirella Rosner (Aracanthe).

Dommage que le mot « déterritorialisation » soit si long et donc condamné d’avance à l’ère de s 140 caractères-deux-secondes-et-demie d’attention de Twitter, car il évoque une réponse créative au sentiment d’exil, voire d’exclusion, y compris l’exclusion hors de son pays d’origine, hors de son corps, ou juste hors du présent. Je préfère donc m’en tenir à ce mot de re-paysement, désignant le choix d’habiter en pleine conscience son corps, son temps, et son espace, réel ou celui qu’on se crée. En version courte, selon le philosophe belge de la seconde moitié du XXème siècle Jean-Claude Van Damme, « la déterritorialisation, c’est aware ».

Extraits de Xulux :

1. « La Déterritorialisation est un concept phare de la philosophie deleuzienne qui illustre à merveille le processus créatif pop. Deleuze et Guattari utilisaient la métaphore zoologique pour en souligner la logique :

“Chez les animaux nous savons l’importance de ces activités qui consistent à former des territoires, à les abandonner ou à en sortir, et même à refaire territoire sur quelque chose d’une autre nature (l’éthologue dit que le partenaire ou l’ami d’un animal « vaut un chez soi », ou que la famille est un « territoire mobile »).” Gilles Deleuze, Félix Guattari : « Qu’est ce que la philosophie ? »

Mais avant d’en approfondir le fonctionnement, étudions d’abord sa genèse.

Le surréalisme constitue un bon point de départ avec ses agencements improbables, ses scènes oniriques, et ses jeux symboliques. A partir de ce moment l’art ne chercha plus à représenter exactement la nature, ou même la mythologie, mais à peindre de nouveaux mondes, les mondes intérieurs. (…)

2.

Car déterritorialiser un symbole c’est l’arracher de son milieu d’origine pour le reterritorialiser dans un environnement différent, et le faire ainsi cohabiter avec d’autres qui, réellement, ne possèdent pas de liens spatiaux ni temporels entre eux. Exposer un urinoir dans un musée c’est l’arracher de son contexte (les toilettes) pour le replacer dans un autre afin de créer une œuvre originale et un symbole nouveau.

La déterritorialisation trouve ainsi son expression musicale dans le sampling, procédé consistant à extraire un son de sa partition d’origine pour l’incorporer dans une nouvelle. Par exemple le titre de Dr Dre sample l’intro de “The edge” (1967) de David Axelrod qui figure sur l’album de David McCallum.

2010 en mots clés (et en images)


Avant de saluer l’année du colibri, il convient de dire au revoir avec grâce à celle qui va se clore, sur ces images de Séville.

Buencarmino chatouille la souris depuis quatre mois seulement, mais c’est une souris productive avec déjà plus de cent articles au compteur et plus de 2,300 pages vues, ce qui n’est pas si mal. J’ai donc choisi de lister ici les mots et les catégories qui vous ont amenés sur ce blog, avant de passer à un autre cycle.

DESSIN Parmi les catégories les plus recherchées, le dessin, comme acte de tracer à la main sur du papier des traits formant une figure, occupe une place prépondérante avec les mots suivants :

Aurélie Gravelat, dessinatrice de talent (un grand merci au passage à Serghei Litvin, fondateur de la Foire Internationale du Dessin, et à son Blog du dessin), dessin, croquis, nus, pastels, couleur, modèle, Anne-Marie Franqueville, Aracanthe, Mirella Rosner, outils, main (mais zéro pour « déterritorialisation« , pan sur les doigts, ça m’apprendra à frimer avec des mots de plus de quatre syllabes). Le dessin, comme le bricolage et toutes les activités manuelles, nous reconnectent au monde réel. Ils nous libèrent de la molle tyrannie du « monstre doux« , car le moindre trait, même le plus malhabile, signe l’affirmation d’un acte unique posé dans l’espace de la feuille : quand je dessine, je ne consomme pas, je suis.

PEINTURE : …la peinture  avec Jean-Michel Basquiat (Basquiat, le sacre de la couleur), suivi de Jérôme Bosch, dont j’ai tant aimé voir la Tentation de Saint Antoine à Lisbonne. Le voisinage me ravit, puisque je vois de fortes affinités entre ces deux peintres qui ont eu le courage d’explorer les cauchemars de leurs époques respectives – et les leurs.  Bosch et Basquiat : cela mériterait d’y revenir une autre fois, dans un prochain article. Loin derrière, le caniche pour milliardaires Murakami, amusant la galerie des glaces (me rappeler, en 2011, de parler de l’autre Murakami, celui de Kafka sur le rivage).

ECRITURE … Ce blog est né d’un défi : celui d’écrire tous les jours pendant l’été, puis de publier. Résister à la tentation du silence, à l’injonction mollifiante « à quoi bon, tout a déjà été dit ». Saluons ici les auteurs  de Mille Plateaux Deleuze et Guattari, mais aussi Valère Novarina, Racine (et Phèdre au labyrinthe), Proust qui nous aura vu courir sur les petites routes sarthoises;  mentionnons l’auteur fin de cycle, Houellebecq, mais surtout Cynthia Fleury (la fin du courage), Rafaele Simone (le monstre doux, le monstre doux, le monstre doux qui vous hypnotise avec sa voix de velours), François Cheng, et Stephan Zweig. Dès le départ, ce blog est né avec l’idée d’utiliser toutes les possibilités du lien html et ses ramifications infinies. Lier, c’est offrir un outil pour créer du sens. Opposer, juxtaposer : avec Edgard Morin, résister à la tentation de simplifier le millefeuilles du réel, de nos émotions, et ce qui nous lie.

EMPATHIE… l’empathie, (« l’empathie n’est pas une maladie », objet de nombreuses recherches sur Google), Antonio Damasio, qui nous mène au coaching avec Alain Cayrol et Nicole de Chancey; mais ni l’amour ni la tendresse ne vont ont menés jusqu’à ce blog; Pudeur ou désintérêt? On en parlera plus en 2011 car je pense, avec Luc Ferry, que l’amour est l’une des forces qui contribueront à structurer notre culture commune au 21ème siècle, en plus d’être une valeur profondément démocratique.

Vous vous êtes aussi demandé s’il y avait des mouettes dans la Sarthe (réponse : oui, et d’autres animaux voyageurs),

Vous avez interrogé Google sur le butô, sur Lisbonne et sur les Philippines, sur la Sarthe et sur l’île de Ré, sur David Pini, et nous avons parfois eu de beaux échanges sur l’un ou l’autre de ces sujets.

On explore ici les relations compliquées entre les mots et l’image, en cherchant le chemin d’une forme d’authenticité dans l’expérience. Et si l’on échoue, eh bien, on s’efforcera d’échouer toujours mieux. L’important est de faire sa part, comme dit le petit colibiri.

A bientôt, avec tendresse, espièglerie et curiosité pour la nouvelle année. Meilleurs voeux!

La mouette et le Mullah (Margot 3/3)



Notre conversation aurait pu prendre un tour complètement différent si nous nous étions rencontrés dans le bus menant de la pointe de Sablanceaux à la Rochelle plutôt que dans la gare. Dans l’atmosphère confinée d’un bus, l’influence de Margot se faisait sentir différemment, de manière plus insidieuse que lors d’une confrontation en pleine gare. Confortablement installée sur son siège, les lunettes de soleil remontées sur le front, elle somnolait, les aventures du Mollah Nasruddin posées sur ses genoux. De temps à autre elle picorait une brève histoire, éclatait de rire et se rendormait.

Ebloui par l’élasticité bleue de la mer dans le Perthuis d’Antioche, le narrateur se serait exclamé, au moment où le bus passerait sur le pont :

– Ce que je trouve de plus beau, sur l’île de Ré, finalement, c’est le pont. Cette arche suspendue au-dessus de la mer, c’est un grand ouvrage d’art. J’adore la courbe, et la blancheur du béton. Tu crois que ca va faire un scandale si j’écris ça ?
– Pfui. Tout juste une vaguelette. Mon cher Philippe, il faut te rendre à l’évidence, tes écrits ne sont pas matière à scandale.
– Tu veux dire que j’écris rasoir ? Tu trouves que je devrais pimenter la sauce, parler des people, saupoudrer d’un peu de glamour, de sexe ?
– Hmmm… les oiseaux des marais, les oyats, mêmes les bigorneaux, c’est pas franchement sexuel.
– A côté des amours de Catherine II, c’est sûr que ça ne fait pas le poids.
– Ca manque de piquant, tu vois ? Comme ces histoires de Nasruddin, c’est des petits riens, des crottes d’histoires, mais quel fumet !
– Voilà, c’est rasant, comme la lumière du soir. Et pourtant, tu vas trouver ça bizarre mais moi ce dont j’ai envie de parler, ce qui me donne envie de me jeter sur mon appareil photo, c’est la vue des paysages industriels. Comme la semaine dernière, à Montoir de Bretagne, il y avait ces immenses cuves de stockage et tous ces tubes d’aluminium étincelant au soleil, c’était magnifique, grandiose. On sentait toute l’énergie qui passe par là pour aller chauffer les foyers dans toute la France et jusqu’au nord de l’Europe, l’activité déployée autour de la construction, … non, tu ne trouves pas ?
– Ah oui, là c’est quand même limite pervers.
– Oui, mais pas très vendeur.
– Ben non, c’est sûr. Les sites industriels, quand même… T’es pas un peu bizarre, comme mec ?
– Comme mec, non, mais quand j’écris, disons, j’ai comme une tendance, un soupçon bizarre.
– Hmm…
– En même temps, c’est pas pire que de s’habiller en gothique avec les cheveux dressés sur la tête.
– Ben si tout de même c’est pire parce que le gothique on peut toujours se dire que ca passera avec l’âge, tandis que se passionner pour l’aluminium et les sites industriels, tu vois, on se dit, oh là là, ca doit être au niveau du disque dur.
– Ah oui, vu comme ça.
– Oui, c’est comme ca que les gens voient les choses. L’aluminium, c’est pervers, alors que Twilight, c’est tendance.
– De toute manière Houellebecq a déjà tout écrit sur le sexe. C’est déjà sympa de sa part de m’avoir laissé l’aluminium et les sites industriels comme thème littéraire.
– Un peu mince, tout de même
– J’avoue
– Arrête de dire « j’avoue » tout le temps comme ta nièce, c’est agaçant. Au fait, quel est le sujet de la thèse de son petit copain ?
– Son ex
– Oui, bon
– C’est sur les débris qui traînent dans l’espace, des noyaux d’olive aux fragments de satellite, une espèce de recensement qui…
– Ah oui, je vois. Dis-donc, ça court dans la famille ?
– Mais non, je te jure que c’est tout à fait d’actualité comme sujet. On va essayer de trouver un moyen de les récupérer dans l’espace, pour éviter des collisions.
– Désolée, c’est pas le genre de thème à me donner des palpitations.
– Voilà, c’est ça la France d’aujourd’hui, personne ne s’intéresse à ce qui est vraiment moderne, au futur, à la science. Il n’y en a que pour le rétro, les commémorations, les vieilles gloires d’avant-hier. Les maîtresses d’Henri IV en couverture du Point. Ras-le bol ; Ca sent le moisi !
– Eh bien retourne à Singapour si tu veux de la modernité clinquante, antiseptique et robotisée.
– Ca sent l’ail.
– Moi, je sens l’ail ?
– Non, Singapour, ça sent l’ail. Pour une ville aseptisée, il y a peu d’endroits que je connais qui soient si riches en odeurs et en saveurs fortes. Va te promener dans les hawker centers et tu me diras si tu trouves que c’est aseptisé. C’est une ville à découvrir avec le nez, la langue et les oreilles, pas avec les yeux.
– Tu connais l’histoire de la princesse et du menteur ? C’est l’histoire d’une princesse qui avait juré qu’elle n’épouserait qu’un homme qui saurait mentir encore mieux qu’elle. Tous les prétendants rivalisaient d’imagination pour la séduire avec des contes à dormir debout, mais pas un seul ne passait la barre. C’était d’autant plus courageux de leur part que ceux qui échouaient étaient immédiatement transformés en petite couille.
– En citrouille ?
– Non, j’ai bien dit. Ca te choque ? Pourquoi est-ce qu’ils ne seraient pas transformés en petite couille ? Il faut sortir du conventionnel, exagérer, surprendre, si tu veux arriver à quelque chose.
– Bon d’accord, j’exagère. Que dirais-tu de la charge des araignées géantes? Ou tout simplement « l’île des araignées géantes » ?
A ce moment-là, ma nièce Juliette et son amie Joséphine font irruption dans la conversation.
– Ah ouuis, trop bien ! Des araignées géantes qui sortiraient des bunkers pour envahir toute la plage !
– Ouais, ce serait les allemands qui auraient fait des expériences pendant la seconde guerre mondiale et elles sortiraient tout à coup, soixante ans plus tard.
– OK, mais pourquoi soixante ans plus tard ?
– Ce serait une mutation, à cause du changement climatique. Elles se mettent à proliférer, ça accélère leur taux de reproduction.
– Trop horrible ! Et il y aurait des gothiques qui auraient apprivoisé les araignées… Ils les auraient dressés à attaquer les gens qu’ils aiment pas, tu vois, genre les gros bourgeois qui se baladent en 4X4.
– Là ça fait un peu cliché. De toute manière à l’île de Ré ils ont planqué leur 4X4 pour se balader en vélo.
– Ouais mais on les reconnaît quand même à leurs shorts bleu marine.
– Si elles s’attaquent seulement aux gens qui portent des bermudas bleu marine, ça craint pas assez, y’a pas de quoi faire une épidémie.
– Ouais, t’as raison, c’est naze comme scénario.
– En fait, ça serait la vraie origine de Spiderman
A ce moment-là, Margot reprend le contrôle de la conversation :
– Dis-moi, tu vas laisser ces donzelles squatter notre dialogue encore longtemps ?
– Oh pardon, c’était juste un exercice de style, tu sais, le dialogue dans le dialogue, genre Inception, j’allais attaquer le niveau 3…
– Ah d’accord, et le niveau 3, c’est le voyage à Kaboul, je suppose ?
– (Vexé) Exactement !
– Ben mon bichon, va falloir te documenter un max!

Quand elle devient Margot


 

La princesse aux étoiles

« Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip » !

Mon prénom porté par un cri strident, brutal, impératif, roule depuis le fond du hall de la gare de la Rochelle. La modulation saturée de couleurs jubile dans l’aigu, roucoule dans le grave et se stabilise enfin dans un langoureux médium.

Lorsque la poussière et le bruit de freins se dissipent, j’aperçois, naviguant avec assurance parmi la houle pressée des voyageurs, une créature somptueuse, veloutée, brillante, balayant l’air d’une robe imaginaire : c’est Brigitte, ma complice et coach en écriture, tout de carmin vêtue. Arrivée devant moi, elle rejette en arrière ses mèches blondes, découvrant son cou blanc et rond pour faire le « port de tête royal », prend son élan, m’embrasse chaleureusement, se redresse. Avec satin, fraise en dentelle, tentures, tritons, naïades et une douzaine de suivantes elle incarnerait à merveille la Marie de Médicis par Rubens, du Louvre. Elle pourrait jouer de nombreux rôles, d’ailleurs, s’il se trouvait des réalisateurs assez perceptifs pour mesurer toute l’ampleur de son talent et sa capacité de travail, énorme. Elle a la gouaille et la profondeur d’un Gabin au féminin, la verve et le talent d’une Sapritch, en gironde. Son énergie m’inspire, et conspire à me faire écrire.
– Brigitte, comment vas-tu ? En vacances dans ta région natale ?
– Philippe, ça va ? Tu rentres sur Paris ?
(Elle ignore délibérément toute allusion à son lieu de naissance, sur lequel elle préfère entretenir un flou artistique, mais j’aime trop la sonorité du mot « natal » pour laisser échapper l’occasion de le prononcer)
– Pas encore. Je viens de passer une semaine à Ré et je retourne à C…, on va fêter les 80 ans de mes parents avec toute la famille.
– Oh là là, ça va être quelque chose ! Et ton blog alors ? Ca y est, tu l’as fait ?
– Pour l’instant j’écris, je prends des photos, mais ça manque d’un récit, de personnages en chair et en os. C’est toujours la même chose, comme je ne peux pas parler des gens réels ni les montrer en photo, je shoote le paysage, les animaux de rencontre, un âne, une mouette.
– Eh bien, fais quelque chose avec l’âne et la mouette.
– Brigitte, je t’adore, mais que veux-tu que je fasse comme histoire avec un âne et une mouette ?
– Je ne sais pas moi, une fable !
– L’âne et la mouette ? Hmmoui, ça sonne pas mal.
– La mouette et l’âne s’il te plaît, ladies first.
– Va pour la mouette et l’âne, puisque tel est le désir de ma stentauresse.
– (Tonitruante, avec rejet de mèches blondes) : qu’est-ce que c’est qu’une stentauresse ?
– Une princesse avec une voix de stentor, ou le féminin de centaure, comme tu veux. A ce propos, ne hurle pas si fort, tout le monde nous entend dans cette gare et tu sais combien j’ai horreur d’attirer l’attention
– Ah ça mon cher, il faudrait savoir ! On veut se faire lire, mais pas se faire entendre ?
– De préférence pas dans une gare.
– Pourquoi, tu snobes la littérature de gare ? Proust était ravi, lui, qu’on le lise dans les gares.
– On a dit qu’on ne parlait pas de Proust.
– Qui est « on » ? Moi, je n’ai rien dit.
– C’est fou ce qu’on t’entend, pour quelqu’un qui ne dit rien. Tu n’as pas lu le passage sur Proust, au début du blog ?
– Comment pourrais-je avoir lu un passage précédant mon apparition?
– Mais je parle de toi, avant.
– Apparition, du verbe apparaître, en majesté de préférence.
– Oui je sais, Rubens ou rien du tout. Il suffit de lire à l’envers, tu cliques sur la petite flèche en remontant vers le début.
– Tiens, ce serait une belle idée narrative, ça. Un récit de forme circulaire, qu’il faudrait lire en remontant vers les toutes premières pages pour trouver des indices. Mais si tu pars dans la fiction, il va falloir effacer les traces.
– Les traces ?
– Mais bien sûr, tu ne peux pas appeler les gens par leur vrai nom. Il y a des empreintes digitales à tous les coins de phrase, dans ton blog. Il faut poser quelques mystères, des énigmes à retardement, modifier les faits, tendre les ressorts dramatiques. Moi, par exemple, il faut que tu m’inventes un nom.
– Ah oui, bien sûr. T…, je pourrais l’appeler Nicolas, et Julien pour l’ami d’enfance.
– J’aimerais bien Margot. Un prénom royal, un peu vieille France mais portée sur la bagatelle, on lui voit des tresses blondes, elle est plantureuse et forte, avec un sens de la répartie pas possible.
– Bon, d’accord, j’y penserai. Maintenant, chère stentauresse, avec ton accord j’aimerais bien aller prendre mon train pour Nantes.
– Hop hop hop, pas si vite. Est-ce que tu n’oublies pas quelque chose ?
– Euh, c’est possible, je dois faire un vœu ?
– Ah non, ça c’est dans une autre histoire. (rejet de mèches blondes en arrière, port royal).
– Je ne sais pas. Je crois que j’ai tout ce qu’il faut pour écrire maintenant : une ambiance, un lieu, des personnages…
– Et l’objet ?
– L’objet ?
– Oui, l’objet déclencheur. La clé pour démarrer l’histoire, tu sais bien, comme dans l’atelier d’écriture.
– Ah oui, n’est-ce pas ce que tu es censée m’offrir ? Car je suppose que tu n’as pas mis en scène cette royale apparition sans une bonne raison ?
– Marie de Médicis n’était qu’une grenouille, une toute petite reinette de rien de tout. Je veux Catherine II pour mon prochain rôle, avec boyards en uniforme à brandebourgs dorés, chevaux piaffants, la totale !
– Et pour les accessoires ? Des bottes, un fouet ?
– Naturellement. Plus un traîneau dans la neige et des armées de paysans massés au bord des routes pour m’acclamer.
– Oui eh bien je vais voir avec la production, hein.
– Fais au mieux mon cher, mais tu couperas cette partie du dialogue, ça ralentit l’action.
– Oui coach. Alors, cet objet ?
– Ce n’est pas un objet, c’est un mail. Tu le trouveras dans ta boîte aux lettres en arrivant, et je te garantis une fameuse surprise ! Hahahaha !
Re-modulation grave-aigu-médium puissance Walkyrie avec envol de pigeons, regards, sourcils froncés ; une japonaise déclenche son iPhone à tout hasard et pouf, elle disparaît, ne laissant derrière elle qu’un peu de poudre rose et de fumée.
Dans la gare, les gens ont une manière ostentatoire de ne pas me regarder. Afin de me donner une contenance, je cherche un coin wi-fi pour ouvrir mes mails. Qu’est-ce qui m’a pris de la laisser partir sur Catherine de Russie ? A partir de maintenant, le récit bascule dans la fiction, sans garanties ni garde-fou.

la petite porte dérobée (à qui?)

 

Mardi 10 août, la mouette et l’âne


Cherchez-vous ici l’aventure?

Dame la mouette, ayant criaillé tout l’été,
S’en vint percher sur un piquet
Planté dans les marais
Pour y contempler sa beauté.

Un âne passait là, qui broutait sa pâture.
Eh bonjour, madame la mouette,
Que vous êtes jolie, que vous me semblez chouette
Cherchez-vous ici l’aventure ?

Mon ami, vous n’y songez point,
Se rengorgea la créature.
Cessez donc de fumer des joints
Entre nous, mon vieux, no future !

Croyez-vous que je kiffe un baudet mal peigné ?
Pour me séduire, il faut soigner
Un peu plus votre look
Et puis, vous schlinguez comme un bouc !

L’âne, déçu mais philosophe,
Se dit qu’avec le temps, ramolli de la plume,
Le volatile, en catastrophe,
Trouverait quelque charme à son poil de bitume.

Vint une marée noire.
La mouette, engluée de pétrole,
Reconnut le baudet parmi les bénévoles
Et vit en lui son seul espoir.

Le liquide obstruait son bec.
Pour tout salamalec
Elle émit un son rauque et laid.
Sauvez-moi, s’il vous plaît !

L’âne en passant tendit l’oreille
Et railla son plumage, à son poil tout pareil.
Quel est-ce look, madame ?
Il est temps de sauver votre âme !

Ce plumage aux reflets mystiques
Veut-il donner dans le gothique ?
Envoyez-moi un sms,
On se voit ce soir à la messe ?

« Que vous me semblez chouette »

Qu’en disent les mouettes?


Bruit de cymbales froissées, j’écoute OK Computer de Radiohead : la voix tendre et plaintive d’ Exit Music « Breathe, keep breathing, don’t loose your nerve »…

La semaine à Ré s’achève dans le train pour le Mans, correspondance à Nantes. Un temps de métal fondu, nuances de gris : cendré, plombé, perle et tourterelle, j’en connais tout le catalogue.

Une pensée pour Frankie, ma coach en écriture, conteuse d’origine charentaise à l’imagination fertile, au verbe savoureux, tonitruant, subtil. Frankie sait comme personne donner vie à ses personnages. Elle fait mijoter les mots dans sa bouche, dose le cuit, le cru,  et me donne le contrepoint, la version populaire de ce paradis. Ce serait drôle de l’entendre évoquer les estivants, comme ils se font leur cinéma. Et les hivers. Elle connaît les hivers cruels, les sombres disputes et l’ennui, la mesquinerie sans fin de l’ennui qui dure, le merveilleux ennui des saisons qui vous entortillent dans leur chevelure d’algues et vous font désirer passionnément d’aller goûter la vraie vie sur le continent. Frankie qui sait faire parler les sirènes sevrées d’homme avec leurs mots flûtés,  collants, mais aussi les marins, et bien entendu les ânes du Poitou. Les ânes qui se retiennent de rire en nous voyant passer. Et les mouettes ? Qu’est-ce qu’elles en disent, les mouettes ? Beau sujet pour une fable rétaise : « la mouette et l’âne ».

Les yeux de Sacha


Les marais, j’aurais aimé les voir avec les yeux de Sacha, petit bonhomme de quatre ans que nous avons promené dans une charrette attachée au vélo de son père. Quels souvenirs emportera t-il de ce séjour au pays des bigorneaux, du sel ramassé en pyramides étincelantes et du ressac mugissant, projetant vers son petit corps des vagues géantes et glacées qui le poursuivaient en glapissant jusqu’aux frontières du sable sec où maman l’attendait, bras ouverts ? Au comble de l’excitation, hurler de toutes ses forces au milieu de cette fureur pétillante, en battant des mains. Ses impressions les plus vives communiquent par une porte secrète avec nos souvenirs d’enfance. Il se souviendra vaguement des cahots de la charrette sur les chemins empierrés, le bruit des pneus sur l’asphalte des pistes cyclables éclatant en petites bulles noires rigolotes les jours de forte chaleur, et peut-être aussi l’odeur enivrante, résineuse des pins et des tamaris gorgés de soleil, le brûlant sable de la dune sous ses petits pieds, l’effort pour l’escalader et la goulée de vent bleu saphir annonçant la mer au sommet. Il emmagasinera, dans les cellules de son cerveau, le souvenir de mille odeurs prêtes à remonter à la surface comme des bulles de gaz un jour, bien plus tard, lorsqu’il reviendra en compagnie de sa première amoureuse.

A quoi rêve t-il, le petit Sacha, lorsqu’il voit s’envoler courlis, hérons, mouettes et grues, barges et goélands dans le Fier d’Ars ?