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Réparer le monde


Disons-le tout de suite : je trouve plutôt sympathique l’ambition de « réparer le monde » que se donnerait la littérature française d’aujourd’hui selon Alexandre Gefen ( « Réparer le monde, la littérature française au XXIème siècle, Corti, les Essais). Que la littérature nous réconcilie avec le corps, la sensualité, les émotions, qu’elle nous aide à trouver des clés pour vivre un peu moins mal, à retrouver un peu de pouvoir, même, et pourquoi pas à construire des relations plus satisfaisantes, qui peut y trouver à redire ? On reprochera peut-être à ce mouvement son manque d’ambition : consoler plutôt que transformer, repeindre les murs de la cuisine plutôt que de reconstruire toute la maison. Et si c’était tout le contraire ? Et si nous avions besoin de reprendre pied dans le monde, avant toute chose, avant de pouvoir formuler d’autres exigences ?

L’engagement dans le monde, et surtout envers les vivants, dont témoignerait cette littérature « réparatrice », me paraît en tout point préférable au mouvement formaliste et esthétisant qui l’avait précédée. Selon Alexandre Gefen, cette nouvelle littérature s’ouvrirait au réel, qu’elle se donnerait pour tâcher de corriger.  Cette convergence de la littérature, des sciences cognitives et du développement personnel, voire de la thérapie, coïncide avec une réhabilitation de la fiction comme véritable « propre de l’Homme » (Yuval Noah Harari, Sapiens). La capacité d’inventer et de se raconter des histoires serait le levier qui aurait permis le formidable développement des sociétés humaines, la projection dans le futur, le partage d’expérience et la spéculation intellectuelle. On est loin du divertissement auquel les « gens sérieux » (ceux qui n’ont pas le temps de lire des romans, encore moins de la poésie, mais qui passent des heures à surfer sur les réseaux sociaux ou devant des séries) cantonnaient la littérature.

La voici donc lestée d’une utilité nouvelle, aussi incertaine que prometteuse. En tant que coach, cela ne m’étonne pas : il y a déjà de nombreuses années que le récit est utilisé comme méthode de reconstruction du sens et de projection dans un futur désirable. A l’échelle d’un groupe, on appelle cela la méthode des scénarios, de plus en plus utilisée pour travailler sur des sujets complexes nécessitant l’intervention d’équipe pluridisciplinaires.

En redécouvrant le récit, la littérature récupère ces deux provinces perdues que sont les émotions et les sens, longtemps reléguées en périphérie de l’empire du tout-cérébral (que l’on se souvienne d’une certaine façon de décrire les relations sexuelles, dépourvues de toute sensualité, et qui donnaient envie d’aller se faire moine au mont Athos). Le roman de Chantal Thomas « Souvenirs de la marée basse » (Seuil) peut ainsi se déguster comme une ode aux plaisirs du corps plongé dans l’eau en diverses saisons et à diverses températures. On est là dans une forme de littérature immersive à l’opposé de la distance ironique obligatoire depuis Flaubert jusqu’au milieu des années 90, et même un peu plus longtemps si l’on y inclut les romans hyper cérébraux et détachés de Michel Houellebecq.

Cette ambition nouvelle s’accompagne d’une forme d’humilité : on est au ras du réel, on ne va pas refaire le monde, ni même le transformer, juste essayer d’y voir plus clair, d’y trouver des repères et de rendre la vie plus supportable. Par ce choix, et la redécouverte des sens, la littérature nous aide à recréer les liens perdus avec le monde. Certains romans contemporains vous font l’effet d’un bon massage aux huiles essentielles après des heures passées devant un ordinateur : on est à nouveau bien dans son corps, détendu, prêt à se réconcilier avec la vie, peut-être même à s’ouvrir, explorer, prendre à nouveau des risques, élargir le périmètre de nos ambitions. Il faudrait remonter jusqu’à Rabelais pour retrouver une telle « immersion » sensorielle, quand toute la littérature successive a semblé vouloir s’éloigner du « monde vulgaire », le raffiner jusqu’à l’abstraction.

« L’heure est aux écrivains de terrain », conclut Alexandre Gefen interviewé par Le Monde.

Cela ne signifie pas que la littérature doive nous parler uniquement du ciel bleu. On a reproché à Frédéric Lenoir une vision « irénique » de Spinoza dans son dernier livre (le Miracle Spinoza, Fayard). Reconnaissons-lui au moins le mérite d’avoir rendu accessible une philosophie de la joie de vivre. « L’éthique de Spinoza, c’est montrer que le corps et l’esprit nous aident ensemble à passer des passions tristes aux passions joyeuses » écrit Lenoir. C’est toujours l’ambition de redonner aux gens du pouvoir sur leur vie. Tendre un large cadre où le Mal s’inscrit, mais dans un horizon plus vaste, dans lequel nous pouvons puiser des ressources, des clés de résilience.

Affronter le Mal, debout, face à face, ne rien céder : c’est le sujet de deux livres bouleversants et stimulants : « Vous n’aurez pas ma haine », d’Antoine Leiris (Le Livre de poche) et « Le livre que je ne voulais pas écrire », d’Erwan Laher (Quidam). Le premier raconte l’histoire d’un deuil : un père et son fils, la mère assassinée au Bataclan, les gestes quotidiens auxquels on se raccroche, l’enfant, ses besoins, son sourire. Le choix de l’amour plutôt que celui de la haine. Pour Erwan Laher, survivant du Bataclan, il s’agit aussi de faire face en évitant deux écueils : la tentation de se protéger du malheur, dans une sorte d’anesthésie émotionnelle qui peut mener au cynisme, et celle du désespoir. Puisque la mort, la séparation, la souffrance existent, il nous appartient de miser sur la vie, de lui donner du poids, de la consistance et de la couleur. Et si la littérature peut contribuer à renforcer cet appétit de vivre, c’est tant mieux.

Un jardin en Touraine


A l’ombre d’un clocher quasi millénaire, penché comme celui de Combray, c’est un village cossu aux belles maisons de tuffeau clair. Une longue rue descend parmi les propriétés ceintes de murs, d’où s’échappent des parfums de lilas et de glycines. Un portail d’un bleu pâle ouvre sur un espace impressionniste, ancien verger où les herbes poussent dru, où des iris sauvages jettent des touches de mauve, où les traces de la tondeuse à gazon dessinent un malicieux labyrinthe. Des outils de jardinage abandonnés sur la terrasse invitent à la paresse. La douceur de l’air est palpable.

Deux chats règnent sur ce jardin, terreur des pigeons et des taupes. Des arbres fruitiers, des fleurs en buisson ralentissent l’écoulement du regard. Par moments, un rayon de soleil vient caresser la joue du visiteur exténué. Quelqu’un propose du café. Puis on ira marcher, rien ne presse.

Au fond de cette vallée coule une rivière animée de courants, de tourbillons, de petites bulles pétillantes. Comme dans la méditation, elles remontent à la surface et crèvent, ou se laissent entraîner vers l’aval. Une odeur familière de feuilles et d’eau imprègne ce paysage. Fraîcheur d’avril, tempérée, changeante. Une branche penchée au-dessus du courant scintille comme les gouttes de lumière dans un tableau de VerMeer. On pense à Corot, à Poussin, puis on oublie les références. Même la mélancolie se délite. Il aurait fallu venir avec un chien, ou pêcher. Lire, peut-être, mais les aphorismes de Lin-Tsi prêtés par un ami me tombent des mains. Plus tard, je l’abandonne pour Un été avec Montaigne, d’Antoine Compagnon.

Revenus sur la terrasse, nous reprenons le fil d’une très ancienne conversation. L’Asie, bien sûr, et l’amitié. Le courage qu’il faut parfois pour se dire des choses déstabilisantes, et qui font avancer. La comédie du sens, on tâtonne.

Pourquoi Montaigne s’est-il mis à écrire les Essais ? s’interroge Compagnon. Pour canaliser ses folles pensées qui courent en tous sens « comme un cheval échappé ». Ordre et désordre, dans le lieu/paysage et dans la pensée. L’écriture et le jardinage, deux manières d’apprivoiser le désordre sans chercher à le supprimer. Il en résulte un ordre vivant, comme les mouvements de l’eau dans la rivière. Ce chaos est régi par des lois, il génère l’apparition de propriétés émergentes, tout comme le choix de tondre à diverses hauteurs l’herbe du jardin nous renseigne sur les intentions du jardinier. Ou sur ses goûts.

De même, en passant de Lin-Tsi,le célèbre maître T’chan,  à Montaigne, je savoure la sagesse du philosophe qui n’affirme rien, ne propose pas de « solution », mais ne renonce pas pour autant à chercher, sinon du sens, du moins une manière supportable de vivre au milieu des turbulences. Il s’interroge : « que sais-je » ? Et sa question creuse un gouffre dans lequel disparaissent toutes les haines.

Pour l’amour du silence


Cette chronique en remplace une autre sur « les horizons perdus », impossible à tenir.

J’écris « tenir », comme on tient une ligne de crête, une promesse faite à soi-même, une position militaire. Car l’été n’éteint pas le feu qui couve sous la braise, et je refuse de l’attiser.

J’écrirais volontiers sur le Burkina (« pays des hommes intègres »), pour faire contrepoids aux stupidités qu’on peut entendre et lire à propos du burkini. Malheureusement je n’y connais rien. L’hédonisme consommateur évoqué par Yves Michaud n’est pas satisfaisant non plus, j’ignore quels cocktails tendance, vintage ou néo-bitter siroter à l’heure de l’apéro, et je n’ai pas encore suffisamment potassé pour vous parler de la rentrée littéraire.

Alors ? De quoi peut-on parler sans fuir ? Déjà, la rentrée me mordille les mollets pour m’attirer dehors, dans la rue trépidante. On me demande un article sur le Brexit, mais j’aimerais prolonger de quelques jours encore la liberté d’écrire pour le seul plaisir.

Reste à trouver un sujet. Ecrire sur l’amour du silence, le silence de l’amour. Entre les deux, quelque chose se passe.

C’est une interview de l’anthropologue David Le Breton dans un magazine TV qui m’a mis la puce à l’oreille. Ils consacrent tout un dossier au silence, à sa disparition prochaine. Comme tout ce qui disparaît me touche, le noble silence gagne son ticket pour la chronique du jour.

Relevons tout de suite un premier paradoxe : lorsqu’on ne peut plus trouver le silence, le pis-aller consiste à le remplacer par une musique apaisante, supposée couvrir les bruits environnants et apporter la paix de l’esprit. C’est le choix généralement fait par les nouvelles générations. Le silence aurait pour ces hyperconnectés quelque chose d’angoissant. C’est qu’il renvoie vers les mondes intérieurs, l’intimité haïe, le « face à soi » qui fait peur. Vraiment ? A vérifier.

Pour David Le Breton, le silence est l’ultime frontière, celle qui ne cesse de reculer, seuil d’un territoire qui s’amenuise au point de bientôt disparaître.

Silence des lieux calmes, isolés, squares le matin, plages désertes, hauts alpages.

Silence qui ne mord pas, ne prive de rien, qui propose.

Silence qui met en relief la parole. Intervalle entre les pensées. Accueil.

Silence nourri de regards échangés.

Pouvoir de se taire ensemble et de s’en trouver plus proches.

Interruption du bavardage intérieur.

Silence du coureur de fond.

Silence concentré du travailleur manuel, de l’artiste et de l’artisan.

Silence du dentiste au moment d’arracher la dent.

Silence ouvert, accueillant, disponible à ce qui surgit,

Silence méditatif des retraitants.

Silence des sentiers qui mènent ailleurs, ou vers soi.

Silence habité des clairières

Silence du temps qu’on prend pour lire

Silence qui laisse à nu les postures, les corps, les visages

Silence des secrets d’où naîtront des mondes, et qu’il faut protéger,

Silence qui dure, où grandissent la patience et l’estime de soi

Silence de l’amour au bord de se révéler,

Silence d’une autre rive, invitation à traverser les courants,

Silence libérateur

Silence infini de l’Eveil

Dans nos vies secrètes


Dans nos vies secrètes
Nos vies secrètes ne se racontent pas sur facebook, ne s’enregistrent pas sur FourSquare. Elles ne sont pas géolocalisées. Google ne sait rien d’elles. Nos vies secrètes sont assez drôles, mais irracontables. « Dans ma vie secrète », chante Léonard Cohen (ici), « Je souris quand je suis en colère, je triche et je mens, je fais ce que je peux, je me débrouille, mais je n’oublie jamais la frontière qui sépare le bien du mal, et j’ai soif de vérité. »
Dans nos vies secrètes, on avance à l’instinct, dans l’incertitude et l’ambiguïté. Rien n’est clair ni gagné d’avance, il faut faire avec ce mur de brouillard, décider, risquer, choisir sa route. Il nous arrive souvent de nous tromper, de regretter, puis on avance. « Le Dealer veut nous faire croire que dans la vie c’est tout noir ou tout blanc, mais heureusement ce n’est pas aussi simple, dans ma vie secrète », chante ce vieux bandit de Léonard.
Elles sont lestées de jours amers, d’échecs, de renoncements sans gloire, nos vies secrètes, ce sont des murs d’ombre au long desquels nous glissons, furtifs, animés d’un étrange espoir. Mais pas toujours. Dans nos vies secrètes, nous faisons parfois des rencontres inespérées, de noirs miracles se produisent, et de nos plus graves erreurs naissent parfois des merveilles.
Nous avons, dans ces vies secrètes, des fréquentations inavouables avec des êtres imaginaires, et d’autres bien trop réels. Nous sommes libres d’inventer, d’oser sans craindre la critique ou l’incompétence, et nos limites s’effacent, dans nos vies secrètes. L’échec n’est qu’un dé parti de travers, prêt pour un nouveau tirage, une erreur à corriger. Tout est jeu, dans nos vies secrètes. Ce sont des trésors d’enfants, cachés tout au fond des armoires.
Ce sont des programmes déviés par des armées de hackers sans scrupules, agressifs et joyeux.
Nos vies secrètes se faufilent dans les interstices du contrôle social et du politiquement correct. Ce sont des virus transformés en œuvre d’art à l’ère de leur reproductibilité par des artistes inconnus, clandestins, hors cote.
Nos vies secrètes se moquent des quarantaines, des calories, des manger-bouger, mais comme Léonard nous savons toujours tracer la frontière qui sépare la bienveillance de la cruauté, la compassion de l’indifférence, le profane du profit. Nos vies secrètes se tissent, jour après jour, d’heure en heure, enrichies de contradictions. Elles se déroulent sans logique et sans cohérence, et s’autodétruisent après la jouissance. Elles s’écrivent en graphes discontinus, à l’encre invisible et fort sympathique.
Perdues pour les algorithmes, elles ne rapportent rien à personne. Elles ne sont pas échangeables, n’ayant ni valeur, ni contre-valeur.
Nos vies secrètes ne sont même pas des vies, d’ailleurs ceci n’est pas un texte, et vous n’avez rien lu.

Atterrir en douceur


Le bonheur est, avec l’amour, le seul territoire qui s’accroît quand on le partage. Plus on donne, plus on reçoit, plus on s’enrichit. Plutôt que de laisser l’appréhension du retour gâcher votre fin de vacances, (que vous soyez ou non partis, ou déjà revenus),  je vous propose aujourd’hui de pratiquer très concrètement la pensée positive, voire même de passer à l’action, inspirés par ces deux « coups de cœur ». Voici deux projets magnifiques, tournés vers le partage et la création. Le premier, ancré dans un quartier populaire de Clamart, est à la croisée de l’Economie Sociale et Solidaire et de la création. L e second est ancré dans le temps, et dans une communauté de créateurs, puisqu’il s’agit de célébrer les vingt ans d’Aracanthe. On reviendra bientôt sur le crowdfunding, qui permet de soutenir des projets en accord avec nos valeurs et nos envies, chacun selon ses moyens.

Premier coup de cœur : la maison de la Création : lien ici

http://www.bulbintown.com/projects/la-maison-de-la-creation/accueil

La Maison de la création, c’est le lieu convivial et ouvert à tous qui permettra à l’associationL’échelle de Soie d’accompagner encore mieux les familles du quartier et les créateurs locaux dans leurs projets artistiques à travers :
– une boutique de fournitures spécialisées, pour les artistes de tout poil en quête de pinceaux, toiles,etc…
– un espace d’exposition-vente dédié aux créateurs et artisans locaux,
– un atelier alternant cours, démonstrations, et créneaux en libre accès pour des rencontres et transmissions de savoir entre habitants
– et bien sûr un café poétique chaleureux pour se rencontrer et discuter autour d’une revue ou d’une de nos spécialités uniques au monde !  

 Deuxième coup de cœur : 

Le 4 octobre prochain, Aracanthe (lien ici) vous invite à célébrer 20 années de création, d’échanges, d’expériences, de rencontres sur le thème de la création artistique.  Le « passage à l’art » c’est ce moment où l’on ose s’affranchir de ses craintes, où l’on enjambe allègrement la barrière invisible supposée séparer les « professionnels » des « amateurs », pour le défi, pour « voir ce qu’il y a de l’autre côté ». Et vous, quand avez-vous fait quelque chose de nouveau pour la dernière fois?

Ecrivez


« Si vous êtes ici, à cette heure et en ce lieu »…

La toute première phrase de la Solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, pourrait évoquer tout aussi bien la relation difficile entre ceux qui écrivent et leurs hypothétiques lecteurs, que celle, métaphorique, entre le dealer et son client.

Le premier ne cesse de demander à l’autre : « n’avez-vous pas un désir que je pourrais satisfaire? » et le second, dans son hésitation cruelle, se dérobe, suscitant l’amertume puis la violence du dealer dépité qui reste avec ses cadeaux sur les bras.

Il en va de même avec vous, chers lecteurs qui passez nombreux, mais sans rien dire, sans déposer ne serait-ce qu’un bref commentaire, une interrogation, un doute. 

Aimez-vous? n’aimez-vous pas? Qu’est-ce que cela vous inspire? Là n’est pas vraiment la question. Mais d’où venez-vous? de quel pays, mus par quelle curiosité, et suivant quel chemin?  Quel bon vent, quels mots vous amènent, de lien en lien, de clic en clic, voilà ce qu’on brûle de savoir.  Surfez-vous selon les hasards de la logique, de la langue ou de la géographie? Il y a là, déjà, toute une histoire, et de ces histoires-là je suis infiniment gourmand.

Alors, s’il vous plaît, écrivez, partagez, lancez vous aussi ds bouteilles à la mer. N’ayez ni peur ni honte, il n’y a que du plaisir. Avec l’été revient l’envie d’écrire, avec vous et pour vous, et surtout, qu’on s’amuse.

Et puisqu’on parle de partage, voici un lien vers un blog sympa : « What you give is yours, what you retain is lost forever » http://sansondavid.wordpress.com/

ce monde qui vient (suite)


Ce monde qui vient (légendes photographiques)

Ce monde qui vient aura des dieux étranges qu’il faudra déchiffrer
Des silences provocants
Et beaucoup trop de tout
Ce monde qui vient nous met la fièvre
J’aime à rêver qu’elle suit parfois le parcours de la Bièvre
Et coule, en s’apaisant

Ce monde qui vient rendra nos pas glissants
Ce monde qui vient progressera sans oracles
Il aura ses processus et ses protocoles
Ses Bonaparte et quelques montres molles
Des talents d’organisateur
Et ce qu’il faut pour se faire peur

Ce monde qui vient sera toxique, aride, et révoltant
L’argent coulera dans ses veines souterraines
Il aimera le sexe et la mort
La célébrité, le pouvoir, le sport
Il aura ses Beckham, ses ManU, ses caciques
Des cartels venus du Mexique

Ce monde aura de vraies délicatesses
Des sourires à tordre la foule
Ce monde aura le cœur métis
Il aura perdu le goût du réglisse
Et la jouissance dégingandée
Des pavés

Ce monde qui vient sera loufoque
Désolant, rauque et craquant de tendresses froissées
Veloutées au toucher comme des feuilles jaunies
Tu te souviendras des automnes
Avec nostalgie
Mon amour, et des allées du Luxembourg

Ce monde qui vient se paiera notre pomme
Acidulé de couleurs pop
Il nous refilera ses divas, ses drones
Il fera de nous des pantins
Des Tintins, des filous
Des monstres hybrides à la tête de clou

Ce monde qui vient sera lisse comme la glace
On s’y lancera de toutes nos forces avec la ferveur des hollandais
Sur leurs canaux
Ce monde qui vient sera brutal
Comme tous ceux qui l’ont précédé
Parfois, la peur sera tenace

Ce monde qui vient pétillera d’Agiles et de SCRUMS
Et puis de poésie
Quand les soldats de pacotille
Mimeront des floraisons d’idées
Quel printemps ce sera
Tu verras !

Ce monde aura, s’il vient
Toujours de quoi se démaquiller
Les doigts des femmes danseront comme des oiseaux devant leur visage
On aura des soins sans beauté
Des velléités d’esclavage
Et des chorégraphies bleutées

Nos impulsions seront tactiles et les fleurs digitales
On s’achètera de nouvelles vies
Ce sera de la balle
Tout ira plus vite
Sauf les frites

On n’aura plus ces yeux de braise
Qui vous meulaient le regard comme des fraises
Il n’y aura plus de sidérurgie
On connaîtra tout de la plasturgie

Tout sera minimal, idéal, sidéral
Souvent banal
On ne sera plus jamais vraiment ivres

La chair ne sera jamais triste
On ne lira plus tous les livres

Mais on s’en fout, puisqu’on, c’est nous

Danser sa vie


Danser sa vie ? Depuis trop longtemps le corps était en sommeil, le poignet serré dans un strap, le froid, la pluie, tout ce que l’on peut inventer comme raisons de mijoter dans sa bulle. Et puis un jour l’envie qui monte, les fourmis dans les jambes, on y va, chiche ! Courir appelle des mots plus actifs. Des verbes, des substantifs plus denses pour accompagner le mouvement, ce qui s’éveille au fur et à mesure que les muscles s‘échauffent. L’oxygène et les mots circulent. Marcher, bouger, taper dans un ballon, danser comme on respire.

Danser sa vie. L’expo qu’il faut aller voir à Beaubourg, et puis l’invitation, que l’on peut suivre au pied de la lettre ou laisser courir. Danser sa propre vie, comme Isadora Duncan, explorer ses rythmes et la géométrie secrète, expressive ou révélatrice, du corps, avec William Forsyth ou Pina Bausch. Dans ce contexte, on apprécie la sobriété de Merce Cunningham, aperçue dans Craneway Event. Il faut absolument voir, ce dimanche soir au théâtre de la Ville, la projection du film Oceans, et puis Biped, où les danseurs présents sur scène dialoguent avec leur représentation déterritorialisée par la vidéo. Courageusement, Cunningham fut l’un des premiers à explorer la confrontation du corps et des nouvelles technologies, au moment même où il en faisait l’instrument dune écriture toujours plus sophistiquée. On pense au combat de Bénédicte Pesle pour faire accepter l’abstraction de cette chorégraphie à une France demeurant attachée au récit. On pense à l’ami David Pini, infatigable ambassadeur de la « cause » et qui n’aimait pas, lui non plus, qu’on lui raconte des histoires.

Mais s’il n’y a plus d’histoire, plus de récit, que reste t-il ? La présence. Le don de soi. C’est de cela qu’on parle, entre dessinateurs, après l’atelier. Le talent des modèles, l’expressivité, la présence avant la technique et la morphologie. Le cri qu’on peut entendre ou celui qui bouillonne sous la peau, qui traverse les muscles et bat sur un tempo des Doors ou des B52s. Le calme profond qui se répand, l’ancrage au sol, bien vissé sur le point d’appui. Parfois aussi l’espièglerie, qui s’épanouit en un sourire à la fin, juste avant le changement de pose.

La danse, expression de la subjectivité. L’abstraction, et puis la performance. Mais nulle invitation à pénétrer dans le cercle magique : le spectateur qui se prendrait au jeu se verrait ramené à la raison par d’aimables et sourcilleux gardiens. Participer ? Et puis quoi encore ? Ici on regarde, on ne danse pas.

L’exposition a pour ambition de montrer les liens croisés entre la danse et les arts graphiques au XXème siècle, puis leur éloignement dans la seconde moitié du XXème siècle, comme s’ils n’avaient plus rien à se dire, ou que la tension avait fini par se relâcher. Aujourd’hui, l’équivalent des arts graphiques de pointe est à rechercher du côté de l’univers numérique. Les enjeux de ce croisement sont peu abordés dans l’exposition, et c’est dommage.

On peut aussi regretter la très faible représentation des pays du Sud. « Danser sa vie » se présente comme une histoire de la danse des XXe et XXIe siècles. C’est-à-dire, « bien sûr », une histoire de la danse occidentale, car à part quelques excursions japonaises (le sculpteur Isamu Noguchi), le reste du monde y demeure invisible, hormis quelques exceptions présentées dans le cadre du festival Vidéodanse (Rachid Ouramdane, Seydou Boro, Luis de Abreu). Les pays émergents, aujourd’hui de mieux représentés dans le domaine des arts graphiques, font encore figure de parent pauvre.

Malgré ces lacunes, il faut la voir et la revoir, absolument.

la reine des grenouilles (1/3)


A l’époque, j’étais une toute jeune grenouille sans grande expérience de la vie. Lorsqu’il s’est approché de la rivière, l’air sombre et les cheveux en bataille, je me suis demandé si c’était pour se baigner ou pour se noyer.
Il s’est dépouillé de ses vêtements un à un. D’abord ses chaussures, qu’il a déposées sur la berge, puis sa longue chemise plissée, puis le pantalon de velours brun, puis ses bas, et j’ai vu qu’il avait un corps vigoureux. Ce n’était déjà plus un adolescent, mais ce que l’on appelle un homme jeune, bientôt dans la force de l’âge. Il est entré dans l’eau jusqu’à mi-cuisses puis il s’est mis à nager à contre-courant, dans ma direction. Je l’observais, posée sur un nénuphar, lorsqu’il m’a repérée. Il y avait en lui quelque chose de solaire, avec une ombre au milieu qui me fascinait.

Lorsqu’il est arrivé près de moi, j’ai ouvert la bouche pour lui communiquer mon message, mais il n’entendait rien. Alors j’ai plongé et lui ai parlé par les vibrations de l’eau.

– vous êtes une bien étrange grenouille, avec ce point rouge au milieu du front
– toutes les grenouilles de notre famille ont ce point rouge sur le front, en souvenir d’une honte ancienne qui frappa notre race il y a très, très très longtemps
– et que puis-je faire pour vous, madame la grenouille ?
– s’il te plaît, dessine-moi
– Mais je ne sais pas dessiner les grenouilles ! Et puis, pourquoi perdre mon temps avec un sujet aussi trivial ? Personne ne s’intéresse aux grenouilles. C’est ridicule.
– Ils ont tort, car nous avons beaucoup à leur apprendre, nous qui connaissons les secrets des deux mondes.
– Peut-être mais en attendant les portraits de grenouilles ne se vendent pas et moi j’ai une famille à nourrir, rétorqua le jeune peintre. Il venait d’arriver à Rome après un long et pénible voyage, et comptait bien faire carrière en obtenant des commandes auprès des cardinaux qui pouvaient payer cher pour des sujets historiques ou religieux. Mais pour des grenouilles ? Cela ne s’était jamais vu.

– Vendre! Il n’y a que cela qui vous intéresse, vous les jeunes peintres.
– Un artiste qui ne vend pas n’est qu’un crève-la-faim, un incapable, un loser. Ce n’est pas avec des portraits de grenouilles que je deviendrai célèbre à Versailles, même pour des grenouilles parlantes.
– ah non, Et le bassin de Latone, qu’en fais-tu, jeune présomptueux? N’est-ce pas l’un des plus photographiés par les touristes dans tout le parc de Versailles? Et les grenouilles n’y occupent-elles pas une place de choix?
– oui, mais celles-là étaient des grenouilles mythologiques, elles avaient eu maille à partir avec une déesse
– eh bien, qu’est-ce qui t’empêche de dessiner une grenouille mythologique?
– Comme toi par exemple? Mytho sûrement, logique, ça reste à prouver!
– Qui sait? peut-être suis-je un peu plus qu’une simple grenouille des marais.
– Quand bien même tu serais la reine des grenouilles, je ne m’abaisserai pas à te dessiner. Ce serait compromettre la haute idée que je me fais de mon art.
– C’est ton dernier mot?
– Oui
– Alors tant pis pour toi

un long silence

– N-as-tu donc aucun voeu que je puisse exaucer?

– Aucun

Quelque temps plus tard il éait de retour, honteux de son arrogance. Il parcourut longuement les bords du fleuve, mais la grenouille ne se montra pas. La faim lui donnait des hallucinations. Parfois, il croyait entendre la voix de la grenouille, mais ce n’était que le bruit du vent dans les peupliers.
A SUIVRE

Le corps dans l’écriture


Pourquoi ce malaise à propos du corps dans l’écriture en France? Il se publie tant de romans, tant d’histoires d’où le corps est absent, ou s’il est là, jamais vraiment habité, rarement aimé, toujours un peu déplacé, malvenu. Ce ne sont pas les études sur le sujet qui manquent, c’est la présence. Heureusement, les canadiens sauvent la mise, comme l’excellente revue Analyses.

Plus je creuse, et plus ça m’intrigue. Cela fait plusieurs mois que nous discutons avec Mirella Rosner et l’équipe d’Aracanthe-EPLV de son triple thème : « corps, langage, mémoire » (prochaine expo au MoTIF). Corps du modèle, dans l’atelier, bien posé sur son point d’appui, avec ses raccourcis qu’il faut saisir, ses attaches, ses creux et sa façon d’accrocher la lumière. Le langage, qui « tend vers » et jamais ne saisit; la mémoire, qui surgit de l’un pour se fixer dans l’autre, espiègle ambassadrice de mille objets divers.

J’en parle et puis j’oublie?

Mais revenons à l’écriture. Au départ de ce blog, un désir d’ancrage, ou de ré-ancrage, dans ce pays où je me sentais étranger au retour d’un séjour de sept années en Asie. Mais il y a différentes manières de se sentir étranger, comme il y a différentes manières d’arriver, de revenir, d’être là : « là où j’arrive, je suis un étranger » (Aragon). Se jeter dans l’Atlantique après des heures de marche au soleil, enfourcher un vélo pour s’exploser les poumons sur les petites routes de la Sarthe, en été. Poncer, pendant des heures, un vieux placard, pour le plaisir d’y poser enfin des couleurs nouvelles. Exulter dans cet épuisement libérateur. Une autre fois ce sont des lèvres, un parfum dans une chevelure, un pli du bras que l’on aime sans savoir pourquoi, qui nous attachent et qui s’en vont.

Je t’aime et puis j’oublie?

C'est de la bombe!

Pour moi, c’est passé par le corps. Le corps et le langage, le corps dans l’écriture, dans la chorégaphie de Pina Bausch, et puis le corps dans le dessin. Ébloui par le chant de Salomon, de Toni Morrison, dont le moindre personnage rayonne d’une présence physique que l’on trouve rarement dans la littérature d’aujourd’hui, j’ai travaillé les mots tout un été. Nancy Houston évoquait aussi, récemment, le malaise de l’intelligentsia française lorsqu’on parle du corps, de ses sensations brutes, non filtrées. Cette façon bien française de ne pas être là, pas complètement, posés sur un bout d’orteil. Houellebecq emblématique évocateur de ces corps désincarnés, pressés de fuir dans un cyber-univers où les mots tissent de longues chaînes de code. Bien vu, bien décrit, terrifiant.

Je clique et puis j’oublie?

Aujourd’hui, j’en suis sûr, ce qui me sépare d’eux, c’est ce qui les sépare du corps. Du corps et de ce qu’il dit. Un manque d’ambition, pour ne pas dire une forme de lâcheté face à l’intensité du corps, à ses silences, à toute cette vie violente qui le traverse. La pratique régulière du dessin, même en l’absence de progrès notable, a pour effet de transformer le regard : dans le métro, dans le bus, l’oeil s’arrête sur une main, sur l’angle d’une tête, la posture déséquilibrée d’une hanche, et cela dit quelque chose. La main vit. La hanche crie. Les muscles se tordent sur mille douleurs, essorés comme de vieux torchons. Ça voudrait danser, mais ça n’ose… Parler avec son corps au milieu de la ville, parmi les passants, les transports (publics, amoureux?). Et pourquoi non? Pina Bausch, Wim Wenders l’ont fait.

Je danse, et puis j’oublie?

Il y a la PNL, qui va chercher l’enfant blotti sous les arbres, au fond du jardin, et qui le ramène en pleine lumière, accompagné de ses mentors choisis. Soudain, comme on est libre, avec la bienveillance. Tigres apprivoisés, digérés, incorporés au patrimoine émotionnel : la mémoire a perdu ses griffes. « J’ai confiance, et je vis ».

Et puis il y a Frankie. Son atelier d’écriture, son insistance et sa jubilation physique à l’évocation d’un objet, de sa texture, de son toucher, sa manière de faire surgir la présence humaine à partir d’une odeur, d’un mollet de montagnard bien rebondi, propre à susciter le désir d’une femme. Frankie nous jette en pleine figure ce qu’évitent si soigneusement les intellectuellement corrects à l’émotion si retenue qu’elle en étouffe. Avec Frankie, les mots retrouvent force, âpreté, saveur. Ils relient à nouveau le corps et ce qui brûle en nous dans un flamboiement de couleurs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, ce qu’il faudrait cacher, replier sous les couvertures, ensevelir. Ce plaisir rare, on le goûte entre soi, dans un petit cercle initié. Sa révélation aurait quelque chose de plus obscène encore que de chanter nu place de la Bastille, le jour de l’enterrement de mère Thérésa. C’est le vieux combat du Carême et du Carnaval, un rouge trop vif aux lèvres ou dans les dessins d’Olivier Thévin, chargés d’un pouvoir explosif.

La main sur le détonateur, je compte, et puis je ris.

2010 en mots clés (et en images)


Avant de saluer l’année du colibri, il convient de dire au revoir avec grâce à celle qui va se clore, sur ces images de Séville.

Buencarmino chatouille la souris depuis quatre mois seulement, mais c’est une souris productive avec déjà plus de cent articles au compteur et plus de 2,300 pages vues, ce qui n’est pas si mal. J’ai donc choisi de lister ici les mots et les catégories qui vous ont amenés sur ce blog, avant de passer à un autre cycle.

DESSIN Parmi les catégories les plus recherchées, le dessin, comme acte de tracer à la main sur du papier des traits formant une figure, occupe une place prépondérante avec les mots suivants :

Aurélie Gravelat, dessinatrice de talent (un grand merci au passage à Serghei Litvin, fondateur de la Foire Internationale du Dessin, et à son Blog du dessin), dessin, croquis, nus, pastels, couleur, modèle, Anne-Marie Franqueville, Aracanthe, Mirella Rosner, outils, main (mais zéro pour « déterritorialisation« , pan sur les doigts, ça m’apprendra à frimer avec des mots de plus de quatre syllabes). Le dessin, comme le bricolage et toutes les activités manuelles, nous reconnectent au monde réel. Ils nous libèrent de la molle tyrannie du « monstre doux« , car le moindre trait, même le plus malhabile, signe l’affirmation d’un acte unique posé dans l’espace de la feuille : quand je dessine, je ne consomme pas, je suis.

PEINTURE : …la peinture  avec Jean-Michel Basquiat (Basquiat, le sacre de la couleur), suivi de Jérôme Bosch, dont j’ai tant aimé voir la Tentation de Saint Antoine à Lisbonne. Le voisinage me ravit, puisque je vois de fortes affinités entre ces deux peintres qui ont eu le courage d’explorer les cauchemars de leurs époques respectives – et les leurs.  Bosch et Basquiat : cela mériterait d’y revenir une autre fois, dans un prochain article. Loin derrière, le caniche pour milliardaires Murakami, amusant la galerie des glaces (me rappeler, en 2011, de parler de l’autre Murakami, celui de Kafka sur le rivage).

ECRITURE … Ce blog est né d’un défi : celui d’écrire tous les jours pendant l’été, puis de publier. Résister à la tentation du silence, à l’injonction mollifiante « à quoi bon, tout a déjà été dit ». Saluons ici les auteurs  de Mille Plateaux Deleuze et Guattari, mais aussi Valère Novarina, Racine (et Phèdre au labyrinthe), Proust qui nous aura vu courir sur les petites routes sarthoises;  mentionnons l’auteur fin de cycle, Houellebecq, mais surtout Cynthia Fleury (la fin du courage), Rafaele Simone (le monstre doux, le monstre doux, le monstre doux qui vous hypnotise avec sa voix de velours), François Cheng, et Stephan Zweig. Dès le départ, ce blog est né avec l’idée d’utiliser toutes les possibilités du lien html et ses ramifications infinies. Lier, c’est offrir un outil pour créer du sens. Opposer, juxtaposer : avec Edgard Morin, résister à la tentation de simplifier le millefeuilles du réel, de nos émotions, et ce qui nous lie.

EMPATHIE… l’empathie, (« l’empathie n’est pas une maladie », objet de nombreuses recherches sur Google), Antonio Damasio, qui nous mène au coaching avec Alain Cayrol et Nicole de Chancey; mais ni l’amour ni la tendresse ne vont ont menés jusqu’à ce blog; Pudeur ou désintérêt? On en parlera plus en 2011 car je pense, avec Luc Ferry, que l’amour est l’une des forces qui contribueront à structurer notre culture commune au 21ème siècle, en plus d’être une valeur profondément démocratique.

Vous vous êtes aussi demandé s’il y avait des mouettes dans la Sarthe (réponse : oui, et d’autres animaux voyageurs),

Vous avez interrogé Google sur le butô, sur Lisbonne et sur les Philippines, sur la Sarthe et sur l’île de Ré, sur David Pini, et nous avons parfois eu de beaux échanges sur l’un ou l’autre de ces sujets.

On explore ici les relations compliquées entre les mots et l’image, en cherchant le chemin d’une forme d’authenticité dans l’expérience. Et si l’on échoue, eh bien, on s’efforcera d’échouer toujours mieux. L’important est de faire sa part, comme dit le petit colibiri.

A bientôt, avec tendresse, espièglerie et curiosité pour la nouvelle année. Meilleurs voeux!

coup de coeur à l’oeil ouvert


Vous me direz : ah, tu découvres? Eh bien oui… je découvre le blog d’Ossiane, un trésor de photos, de textes, de poésie, des liens vers d’autres blogs tout aussi riches, de quoi se régaler !

http://ossiane.blog.lemonde.fr/2010/10/

les couleurs de Lisbonne


Comme il pleut sur Paris, je ressors mes photos de Lisbonne, une ville qui m’évoque aujourd’hui le plaisir  de l’amitié, les folies de Jérôme Bosch et les pavés gras, luisants de pluie, dans la jaune lumière de noël. Une ville qui pourrait être jeune à nouveau, vibrant des parfums, des musiques de l’Afrique et du Brésil, ouverte à jamais sur le monde.

 


De cette ville, on retient souvent la mélancolie, les nuances de gris, la douceur un peu décadente, mais pour moi ce sont des couleurs joyeuses, amicales, bienveillantes : vert céladon, rose tendre ou pâle des céramiques chinoises au musée Gulbenkian, bleu des azulejos dans les anciens couvents rongés d’humidité et celui parfois cru du ciel, le jaune paille brûlé, le noir laqué des tentures japonaises, et puis l’humour!

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Et puis ce livre de Pascal mercier : Train de nuit pour Lisbonne.
Extrait : « S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une petite partie de ce qui est en nous, qu’advient-il du reste »?
« Sur mille expériences que nous faisons, nous en traduisons tout au plus une par des mots, e même celle-là par hasard et sans le soin qu’elle mériterait ».


No photons (David 2/5)


Un espace idéal pour une mise en scène de David Pini.

Pâteuse, collante, pleine de grumeaux, la nuit sans lune et sans étoiles resserre son étreinte autour du château. Pas la moindre lumière à des kilomètres. Nous sommes dans un vaisseau spatial attiré par un trou noir. Un vide pareil, on ne sait plus ce que c’est. L’obscurité clapote, remue vaguement, si profonde et si dense qu’elle absorbe même les sons. Total black-out, no photons.

La géométrie dramatise l’espace rectangulaire de la terrasse enveloppée du massif corps de bâtiment, le rond central dont la sépare le trait blanc, spectral de la balustrade. Au fond, le carré des douves marque le passage dans un monde inconnu. Ce pourrait être un port, une aire d’autoroute, un désert. Il y a là quelque chose de théâtral, une tension, comme la mise en scène d’une attente. On tend l’oreille, prêts pour un texte fort, puissant : du Koltès ou du Shakespeare. Le lieu se prête au deal, aux joutes verbales qui précèdent le meurtre. Complots, destin : silence on tranche. Une forme étirée jusqu’à la démesure s’allonge en oblique à travers ce décor monstrueux, guillotine vaguement expressionniste : la fenêtre du grand escalier projette l’ombre de ses croisillons sur cinquante mètres, jusqu’à la tour d’angle. Où sont les comédiens ? Leurs silhouettes courant sur les murs, regards traqués pris dans la poursuite. On peut tout faire ici, tout imaginer. Debout devant la fenêtre ouverte, je me récite la première phrase de la Solitude des champs de coton : « Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir.» (le Dealer).

Ou bien Macbeth : “I go, and it is done. The bell invites me. Hear it not, Duncan, for it is an hail that summons thee to Heaven, or to Hell”.

Ce lieu puissant, j’aurais aimé l’offrir à David et Frankie pour qu’ils l’emplissent de leur présence. David Pini, l’ami d’enfance. Il lui fallait cela : du tragique, de l’irréversible. Toujours le curseur aux extrêmes. Dans son monde, on ne dit pas bonjour, on dit :

« Soleil, je viens te voir pour la dernière fois ».

Ou bien, face à la balustrade, on retient ses sanglots :

« Car enfin, ma princesse, il faut nous séparer »

Les enfants n’ont qu’à ranger leurs jeux vidéo quand pour eux c’est l’heure de : « Venez, Madame, allons voir mourir votre fils »

Hommage à ces acteurs qui savent comme personne incarner la verticale de la langue. Le stentor et la stentauresse.

Vue perdue

Murakami et les variations Houellebecq


 

 

le laboratoire photographique de Moulins%rt

En raison d’un conflit interne à la rédaction sur la ligne éditoriale de Buencarmino, il n’a pas été possible de faire paraître les derniers articles du « Journal estival ».

La rédaction se déchire entre la tendance « Variations Goldberg » (Canal historique) et la tendance « Lady Gaga » (canal contemporain), qui a manifesté son désir de voir traités des sujets plus actuels, liés, entre autres, à l’Art Contemporain, à l’art numérique et à la vie urbaine, par exemple la nouvelle version des Inrock ou la controverse autour de l’exposition Murakami dans le château de Versailles.  Selon un délégué syndical, « il serait temps de parler un peu moins de bobos, de châtos, et un peu plus de musicôs, sans compter la sortie des romans de Philippe Forest, de Claro et de Houellebecq, tout de même plus actuels que Proust ». une troisième tendance, intitulée « variations Gaga », serait à la recherche d’un compromis éditorial acceptable par tous, « dans un esprit reflétant la diversité des cultures contemporaines, sans toutefois négliger l’importance du patrimoine ».
Pendant ce temps, les partisans de la tendance Goldberg appellent à une manifestation devant le château de Versailles pour protester contre la « dégénérescence et la pornographie« . les premiers arrivés gagneront un serre-tête ou un pull Saint-James bleu marine et des mocassins à glands.
Quand au fondateur de ce blog, Philippe de Boncarmin, il n’a toujours pas reparu après da tentative d’exploration du laboratoire photographique de C…, connu des initiés comme « le Moulinsart Sarthois » Les dernières paroles entendues  étaient « ça sent le rat crevé ». La police n’ayant pas droit de cité sur ce blog, c’est sa soeur, Madeleine de Boncarmin, qui mène les recherches.

Nous prions les fidèles lecteurs et lectrices de bien vouloir nous excuser pour la gêne occasionnée, y compris l’apparition des fautes d’orthographe dans ce blog qui était jusqu’ici d’une tenue impeccable.

 

Collision numérique

 

Jeudi 12 – suite : chimères


4. Nuit des chimères : les projecteurs habillent d’une peau de lumière les vieilles murailles de la cathédrale et son chevet, accrochant des taches de lumière tournoyante sur les arcboutants. Dragons, signes du zodiaque, animaux fantastiques s’envolent. Symboles fuyant sur les nuages, à toute vitesse. « Désert », « mémoire », « forêt » : des mots défilent sur la pierre, à la verticale, à l’horizontale, se posent le temps d’une micro-méditation puis filent. Même en vacances le temps galope. Ne pas épuiser l’attention : poésie touristique, on effleure, on suggère, on y va léger-léger, mais spectaculaire.

5. Je commence à travailler sur mon blog. Hébergement, choix d’un nom, domaine, pages : absorber le jargon, tenter-rater-recommencer. Don’t panic ! Consulter les forums. Cliquer-glisser. Cliquer-hurler. Noms d’oiseaux. Cris des mamans, z’oreilles d’enfants ! J’insère un texte, une photo. Oùestellepassée ? Re-clique ici, dans la fenêtre. Onglet, balises, HTML (toi-même!) J’enregistre et j’enchaîne sur l’atelier « légumes ». Une pomme de terre en main, le monde s’apaise.
6. Il pleut toujours. Les claviers cliquent, les portes claquent. Fuck la pluie, on sort !
7. Les doigts de la petite sur le piano désaccordé, supplice attendrissant.
8. C’est quoi, une chimère? Ben, euh, c’est un animal chimérique!

Légendes sarthoises (jeudi 12 août)


Plus belle la Sarthe en version familiale. Eté pourri, famille unie.

1. Famille! La maison se remplit. Onze voix croisées, onze vies, onze personnalités – bientôt quinze, réunies pour les quatre-vingts ans des grand parents.
2. Trois jours qu’il pleut, la pression monte comme dans une cocotte-minute. Une grande cocotte-minute, certes, en version paquebot, avec des fenêtres, un grand escalier pour user l’énergie des enfants qui montent et descendent cinquante fois par jour, des pièces où s’isoler, des ordinateurs, des jeux de société, des grandes sœurs coopératives, mais tout de même. A notre époque, on aurait sorti les déguisements de la malle, au grenier. Fabuleux les déguisements, avec des broderies, des culottes de soie, des châles roumains, des vestes à brandebourgs rehaussés de fil d’or et des chapeaux de feutre rouge ottomans. On les a tous déchirés, à force, et puis les mites. Maman descendait dans la grande cuisine où l’on pouvait boire une bolée de cidre en écoutant causer les grandes personnes, toujours prêtes à conter des histoires en sarthois. L’histoire du goupil attrapé par la moissonneuse batteuse et dont on voyait la queue tout aplatie sortant d’une botte de paille. Aujourd’hui, on est là pour se voir, alors on se voit. Conversations, vieilles photos, présences, attentions, thé, comment s’appelait ? On entre, on sort, preuves d’amour, compétition, compromis, négociations, ça vibre et ça bourdonne comme un plateau de télé. Casting d’enfer, on maîtrise tous les genres : comédie, tragédie, sitcom, raisonnements, postures d’autorité, rébellion, manipulation, jalousies, stratégies, c’est « Plus belle la Sarthe » en Version Familiale ! Avec ça, le plein de rebondissements, de détails qui font vrai, montage serré : bobos, repas, projets, pleurs, malentendus, supermarché, cris, badminton, stridents, légumes, il faut que ces enfants, vitamines, éplucher, lessives, légumes, salle de bain libre, aujourd’hui des pâtes, qui veut jouer ? Coups de gueule, coups de fatigue, à trois vous m’éteignez cet ordinateur. Légumes, saturation, vélo, sortir avant qu’il ne repleuve. Mettez vos chaussures, décidez-vous, la clé.
3. Demain, s’il pleut toujours, on ira tous à la FNAC au Mans, puis les filles emmèneront leurs petits frères au cinéma. Trop classe ! Les garçons se désintéressent de tous ces sms, les « tu crois qu’il ? », et « si je réponds ça ? » des grandes sœurs fébriles. Frontières : à treize ans, « t’as qu’à pas répondre », à quatorze, on kiffe.

La mouette et le Mullah (Margot 3/3)



Notre conversation aurait pu prendre un tour complètement différent si nous nous étions rencontrés dans le bus menant de la pointe de Sablanceaux à la Rochelle plutôt que dans la gare. Dans l’atmosphère confinée d’un bus, l’influence de Margot se faisait sentir différemment, de manière plus insidieuse que lors d’une confrontation en pleine gare. Confortablement installée sur son siège, les lunettes de soleil remontées sur le front, elle somnolait, les aventures du Mollah Nasruddin posées sur ses genoux. De temps à autre elle picorait une brève histoire, éclatait de rire et se rendormait.

Ebloui par l’élasticité bleue de la mer dans le Perthuis d’Antioche, le narrateur se serait exclamé, au moment où le bus passerait sur le pont :

– Ce que je trouve de plus beau, sur l’île de Ré, finalement, c’est le pont. Cette arche suspendue au-dessus de la mer, c’est un grand ouvrage d’art. J’adore la courbe, et la blancheur du béton. Tu crois que ca va faire un scandale si j’écris ça ?
– Pfui. Tout juste une vaguelette. Mon cher Philippe, il faut te rendre à l’évidence, tes écrits ne sont pas matière à scandale.
– Tu veux dire que j’écris rasoir ? Tu trouves que je devrais pimenter la sauce, parler des people, saupoudrer d’un peu de glamour, de sexe ?
– Hmmm… les oiseaux des marais, les oyats, mêmes les bigorneaux, c’est pas franchement sexuel.
– A côté des amours de Catherine II, c’est sûr que ça ne fait pas le poids.
– Ca manque de piquant, tu vois ? Comme ces histoires de Nasruddin, c’est des petits riens, des crottes d’histoires, mais quel fumet !
– Voilà, c’est rasant, comme la lumière du soir. Et pourtant, tu vas trouver ça bizarre mais moi ce dont j’ai envie de parler, ce qui me donne envie de me jeter sur mon appareil photo, c’est la vue des paysages industriels. Comme la semaine dernière, à Montoir de Bretagne, il y avait ces immenses cuves de stockage et tous ces tubes d’aluminium étincelant au soleil, c’était magnifique, grandiose. On sentait toute l’énergie qui passe par là pour aller chauffer les foyers dans toute la France et jusqu’au nord de l’Europe, l’activité déployée autour de la construction, … non, tu ne trouves pas ?
– Ah oui, là c’est quand même limite pervers.
– Oui, mais pas très vendeur.
– Ben non, c’est sûr. Les sites industriels, quand même… T’es pas un peu bizarre, comme mec ?
– Comme mec, non, mais quand j’écris, disons, j’ai comme une tendance, un soupçon bizarre.
– Hmm…
– En même temps, c’est pas pire que de s’habiller en gothique avec les cheveux dressés sur la tête.
– Ben si tout de même c’est pire parce que le gothique on peut toujours se dire que ca passera avec l’âge, tandis que se passionner pour l’aluminium et les sites industriels, tu vois, on se dit, oh là là, ca doit être au niveau du disque dur.
– Ah oui, vu comme ça.
– Oui, c’est comme ca que les gens voient les choses. L’aluminium, c’est pervers, alors que Twilight, c’est tendance.
– De toute manière Houellebecq a déjà tout écrit sur le sexe. C’est déjà sympa de sa part de m’avoir laissé l’aluminium et les sites industriels comme thème littéraire.
– Un peu mince, tout de même
– J’avoue
– Arrête de dire « j’avoue » tout le temps comme ta nièce, c’est agaçant. Au fait, quel est le sujet de la thèse de son petit copain ?
– Son ex
– Oui, bon
– C’est sur les débris qui traînent dans l’espace, des noyaux d’olive aux fragments de satellite, une espèce de recensement qui…
– Ah oui, je vois. Dis-donc, ça court dans la famille ?
– Mais non, je te jure que c’est tout à fait d’actualité comme sujet. On va essayer de trouver un moyen de les récupérer dans l’espace, pour éviter des collisions.
– Désolée, c’est pas le genre de thème à me donner des palpitations.
– Voilà, c’est ça la France d’aujourd’hui, personne ne s’intéresse à ce qui est vraiment moderne, au futur, à la science. Il n’y en a que pour le rétro, les commémorations, les vieilles gloires d’avant-hier. Les maîtresses d’Henri IV en couverture du Point. Ras-le bol ; Ca sent le moisi !
– Eh bien retourne à Singapour si tu veux de la modernité clinquante, antiseptique et robotisée.
– Ca sent l’ail.
– Moi, je sens l’ail ?
– Non, Singapour, ça sent l’ail. Pour une ville aseptisée, il y a peu d’endroits que je connais qui soient si riches en odeurs et en saveurs fortes. Va te promener dans les hawker centers et tu me diras si tu trouves que c’est aseptisé. C’est une ville à découvrir avec le nez, la langue et les oreilles, pas avec les yeux.
– Tu connais l’histoire de la princesse et du menteur ? C’est l’histoire d’une princesse qui avait juré qu’elle n’épouserait qu’un homme qui saurait mentir encore mieux qu’elle. Tous les prétendants rivalisaient d’imagination pour la séduire avec des contes à dormir debout, mais pas un seul ne passait la barre. C’était d’autant plus courageux de leur part que ceux qui échouaient étaient immédiatement transformés en petite couille.
– En citrouille ?
– Non, j’ai bien dit. Ca te choque ? Pourquoi est-ce qu’ils ne seraient pas transformés en petite couille ? Il faut sortir du conventionnel, exagérer, surprendre, si tu veux arriver à quelque chose.
– Bon d’accord, j’exagère. Que dirais-tu de la charge des araignées géantes? Ou tout simplement « l’île des araignées géantes » ?
A ce moment-là, ma nièce Juliette et son amie Joséphine font irruption dans la conversation.
– Ah ouuis, trop bien ! Des araignées géantes qui sortiraient des bunkers pour envahir toute la plage !
– Ouais, ce serait les allemands qui auraient fait des expériences pendant la seconde guerre mondiale et elles sortiraient tout à coup, soixante ans plus tard.
– OK, mais pourquoi soixante ans plus tard ?
– Ce serait une mutation, à cause du changement climatique. Elles se mettent à proliférer, ça accélère leur taux de reproduction.
– Trop horrible ! Et il y aurait des gothiques qui auraient apprivoisé les araignées… Ils les auraient dressés à attaquer les gens qu’ils aiment pas, tu vois, genre les gros bourgeois qui se baladent en 4X4.
– Là ça fait un peu cliché. De toute manière à l’île de Ré ils ont planqué leur 4X4 pour se balader en vélo.
– Ouais mais on les reconnaît quand même à leurs shorts bleu marine.
– Si elles s’attaquent seulement aux gens qui portent des bermudas bleu marine, ça craint pas assez, y’a pas de quoi faire une épidémie.
– Ouais, t’as raison, c’est naze comme scénario.
– En fait, ça serait la vraie origine de Spiderman
A ce moment-là, Margot reprend le contrôle de la conversation :
– Dis-moi, tu vas laisser ces donzelles squatter notre dialogue encore longtemps ?
– Oh pardon, c’était juste un exercice de style, tu sais, le dialogue dans le dialogue, genre Inception, j’allais attaquer le niveau 3…
– Ah d’accord, et le niveau 3, c’est le voyage à Kaboul, je suppose ?
– (Vexé) Exactement !
– Ben mon bichon, va falloir te documenter un max!

Margot (2/3)


Le lecteur doit savoir que ce n’était pas la première apparition de Brigitte, pardon, Margot, à Ré. Nous avions déjà eu une longue discussion à propos d’un texte que je lui avais demandé de lire en public avec D…, il y a plus de dix ans, et qui contait le tout premier séjour sur l’île. Il y a longtemps que j’ai perdu ce texte, une série de nouvelles que je n’aurai jamais le courage de reconstituer.

–  C’est curieux, m’avait-elle fait observer, le nombre de choses importantes que tu perds. D’abord tes carnets d’aquarelle, et puis ces textes. Comme si tu passais ton temps à te dessaisir de ce que tu crées, ou que tu n’assumais pas…

L’île était le lieu de naissance de mon tout premier texte et de mes premiers dessins à la plume, il n’était donc pas anodin que j’y revienne après de si longues années de silence créatif.

Il n’était pas innocent non plus qu’elle eût choisi d’apparaître dans cette gare de la Rochelle, au moment où je m’apprêtais à remettre l’artiste dans sa box pour une autre année. La rentrée avait ses impératifs, j’allais devoir me concentrer sur mes nouvelles activités professionnelles, et voilà qu’elle surgissait avec ses robes de satin, ses velours, ses naïades, ses suivantes et sa verve. Elle me barrait la voie de l’oubli pour me forcer à rester fidèle aux promesses de l’aube. Sacrée Margot ! Il faudrait que je raconte tout cela à Brigitte, la vraie, lorsque nous nous reverrions à Paris dans son atelier d’écriture.

–          Ah, dis-moi … (elle gonflait ses joues comme elle faisait chaque fois qu’elle était perplexe) … ce personnage de fiction, il faut que tu lui inventes une vie bien à elle. Elle ne peut pas se lancer dans sa vie fictive avec la biographie d’une autre, ce ne serait pas bien.

–          Je pourrais ajouter quelques éléments biographiques originaux. Par exemple, je pourrais en faire une cousine. Margot la bretonne, qu’en penses-tu ?

Nous étions à la poissonnerie, au marché couvert d’Ars en Ré. Le vendeur observait, fasciné, le mouvement des joues qui devait lui rappeler certains poissons d’eau profonde. Elle portait un ciré jaune étincelant.

–          C’est toi qui vois. Encore une chose, à propos de ce qui s’est passé  sur l’île. Rappelle-toi ce bouillonnement d’énergie lorsque tu avais arrêté de fumer. Tu retrouvais peu à peu les odeurs, la saveur des aliments. Tu disais que tu avais l’impression de naître une deuxième fois, que c’était comme venir au monde avec la vivacité des sensations de l’enfance et un cerveau d’adulte pour mieux les apprécier.

–          Oui ?

–          Eh bien c’est un peu la même chose. Tu retrouves ton pays, la France, avec ses paysages, sa lumière, sa texture, et là aussi c’est comme une seconde naissance.

–          La troisième alors. Tu vois finalement je fais comme toi, je m’invente des vies. J’avais aussi peur de reprendre la cigarette et de perdre alors tout l‘acquis, avec en plus le désespoir de l’échec. A l’époque, j’avais ressenti le besoin de formuler ce changement comme un projet de vie. La peur du vide était si forte que je devais à tout prix m’occuper le corps et l’esprit. Chaque instant devait être meublé. Jusqu’à ce que je m’habitue. Tu sais, c’est comme la chanson de Léo Ferré, « avec le temps ».

–          Je connais, merci. Eh bien, raconte cette histoire-là, l’histoire de ton sevrage. La peur du vide, le besoin de s’inventer des écrans de fumée, ca nous concerne tous. La vie, c’est un rôle de composition, il faut créer son personnage avec de vrais morceaux d’humain glanés à droite, à gauche ; une intonation, un geste, un regard.

–           C’est drôle, Brigitte n’aurait jamais dit « glané ».

–          Mais moi je suis Margot. Tu vois, je commence à exister. Je disais donc, la peur du vide, c’est ça qui nous fait pédaler sur nos petits vélos.

–          Et toi dans tout ça, qu’espères-tu ?

–          Un beau texte à conter, dans une langue agréable et bien cadencée, des vrais mots qu’on fait rouler de droite à gauche, à l’intérieur des joues, et qu’on éprouve sur le bout de la langue avant de les prononcer. Des personnages qui donnent envie de se glisser dans leur peau, de trouver leurs intonations, leurs gestes et jusqu’au rythme de leur pas. Une histoire que l’on prend comme un kayak au fil de la rivière et que l’on descend jusqu’à l’embouchure.

–          Mais je n’ai même pas le commencement d’une histoire !

–          Trouvons le kayak, et l’histoire suivra.