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La colère et les conseillers


On a le droit d’être en colère. Mais que faire de ce caillou râpeux, nauséeux, qui nous écorche l’intérieur de la bouche et les lèvres ? On voudrait crier, mais dans quelle direction ? Le vent souffle trop froid, trop fort dans les rues désertes. On pourrait profiter des quelques minutes où chacun se tient à sa fenêtre, au moment d’applaudir les soignants, juste avant vingt heures. Mais ce serait leur manquer de respect.

Revenant à pied du métro Plaisance, où ma sœur vient de me remettre (en se tenant à bonne distance) un paquet d’attestations conformes aux nouvelles directives (nos gouvernants se sont-ils demandé comment font ceux qui n’ont pas d’imprimantes ?), je médite sur le petit billet que j’ai décidé d’écrire ce matin. Sujet : la gratitude. Je voulais reprendre un exercice enseigné par Nicole de Chancey, notre professeure de coaching (Sa voix nous accompagnera).

Mais quelque chose ne sonne pas juste. Un arrière-goût d’amertume. Et de la tristesse. En ce moment-même, à quelques centaines de mètres, le service de pneumologie de l’hôpital Saint Joseph, qui a su prolonger la vie de ma mère suffisamment longtemps pour que nous puissions lui dire au revoir dans des conditions à peu près dignes, doit gérer la vague de patients en détresse respiratoire. Et cela me met en colère. Déjà, il y a deux ans, j’avais été témoin du désarroi et de l’épuisement de ces infirmières et des ces aides-soignantes empêchées de soigner correctement leurs patients par un système inhumain. La tension, déjà, crépitait sous les charlottes et sous les masques. Protestations, burn-out, suicides : rien n’y faisait, la machine à broyer resserrait sa main de fer, suivant les diktats de la Cour des Comptes.  La Tarification A l’Acte, expression de priorités purement budgétaires, avançait aveuglément, tel un Godzilla réglementaire détruisant tout sur son passage.

Il s’en fallait déjà de peu pour que le système craque. Et le peu s’est produit.

Colère. Profonde, ancienne, enracinée dans cet épisode et dans tout les signaux qu’on n’a pas écoutés depuis. Suivant les conseils du gouvernement et de son Conseil d’experts, j’ai fait prendre à mon père le risque de l’emmener voter, il y a tout juste quinze jours. Le lendemain, on annonçait le confinement généralisé. Comment notre système décisionnel a-t-il permis cela ?

Il serait trop facile de s’en prendre aux seuls gouvernants. Dans ce blog où la politique n’est pas bienvenue, je nomme : Gérard Larcher, Président du Sénat, François Baroin, Président de l’Association des Maires de France, qui se sont opposés au report des élections en menaçant de crier à la dictature si le Président suivait ce que lui soufflaient la prudence et le bon sens.

J’en veux à Marisol Touraine, ancienne Ministre de la Santé et à ses conseillers, dont Jérôme Salomon, qui ont pris collectivement la décision de ne plus stocker de masques protecteurs. Ils ont fait confiance au marché mondial, croyant qu’il serait possible de s’y approvisionner en cas de besoin. A moins qu’ils n’aient même pas envisagé qu’un tel besoin puisse se faire sentir dans l’urgence. Dans les deux cas : colère face à tant d’imprévoyance et d’irresponsabilité.

Tous ces responsables, et bien d’autres, auront à rendre des comptes le moment venu. Mais ce qui m’intéresse encore plus que leur sort et que leurs fautes individuelles, c’est l’enchaînement des causes, les raisonnements tordus, l’emboîtement des biais cognitifs cumulés, la dérive des priorités que nous avons, tous, collectivement, toléré.

Nos élites sont le résultat d’une certaine éducation. Elles incarnent des valeurs obsolètes, un mode de prises de décision en tour d’ivoire, une hiérarchie descendante qu’il faut examiner sans complaisance. La colère sans apprentissage ne débouche sur rien d’utile. S’il faut un exutoire à la colère légitime de tout un peuple, alors qu’elle ne s’exerce pas sur les pantins, mais sur les ficelles, et sur ceux qui les tirent. Ces ficelles, ce sont nos illusions, et ceux qui les tirent, ce sont nos valeurs, nos abdications, notre insouciance, nos préférences mal placées. Lynchons-nous nous-mêmes !

Ou bien réfléchissons. Prenons le temps de décortiquer, lentement, minutieusement, scrupuleusement, nos illusions collectives, notre respect pour la hiérarchie, pour les rangs, les grades, notre refus de la complexité, notre soif de consommation, de prestige, de confort. Pourquoi sommes-nous de si mauvais conseillers pour nous-mêmes ? Si quelque chose doit changer, après l’épidémie, que ce soient nos modes de pensée, nos impatiences, notre irresponsabilité. Transformons l’énergie de la colère en détermination à reconfigurer tout ce qui doit l’être. La colère n’est qu’un état émotionnel, un carburant que l’on met dans son moteur pour le faire avancer. Dans quelle direction ?

Sur l’excellence décisionelle, et les précautions à prendre pour éviter de prendre des décisions aux conséquences catastrophiques, lire l’excellent ouvrage d’Olivier Zara : l’Excellence décisionnelle, sur son blog Axiopole Excellence décisionnelle.

L’homme dans le paysage


Tout paysage est imprégné de l’histoire et du travail des hommes. Quand je vois une route, je songe à ceux qui l’ont empruntée, une haie m’évoque ceux qui l’ont plantée, un bord de mer peuplé d’oiseaux, ceux qui ont permis qu’il soit protégé. Une amie me faisait un jour observer, au cœur d’une forêt profonde, des chênes au tronc épais, dont les premières branches démarraient assez près du sol. Elle m’expliqua que ce devaient être les traces d’une clairière, où les paysans menaient leurs porcs se nourrir de glands. Ainsi, les traces de cette activité médiévale demeuraient parmi nous, lisibles à qui savait les déchiffrer. Dans une ville, ce sont d’anciennes publicités vantant des marques disparues qui réapparaissent à l’occasion d’un décoffrage, dans le métro, ou sur des murs trop hauts pour qu’on eût songé à les remplacer. Qui buvait ces apéritifs amers ? Quelles mères de famille nombreuse utilisèrent ces lessives au nom désuet ? Je me souviens des stations de métro condamnées, à Berlin. Elles restèrent figées « dans leur jus » jusqu’à la réunification, et même un peu après. On pouvait encore voir en 1992 des publicités datant de 1961. Puis le Mur tomba. On a recouvert les parois de publicités nouvelles, mais l’Homme de 1961, qu’est-il devenu ? Dans toutes les peintures chinoises, on trouve un petit personnage assis sous un arbre, ou traversant une rivière. Seul au milieu d’un paysage immense. Ecrivant ce texte dans le métro, au moment où il traverse la Seine pour s’engouffrer dans le tunnel de Passy, comment ne pas songer à l’histoire de cette ville, si profonde ? Le visage d’une ville, comme celui d’un homme ou d’une femme, exprime la beauté singulière que prend la vie lorsqu’elle va jusqu’au bout de son expression. « « L’univers n’est pas obligé d’être beau », écrit François Cheng dans « Œil ouvert et cœur battant ». « Nous pourrions imaginer un univers uniquement fonctionnel, sans qu’aucune idée de beauté ne vienne l’effleurer (…) Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait différenciation des éléments, laquelle, se complexifiant, a pour conséquence la formation de chaque être en sa singularité (…) A mes yeux, c’est avec l’unicité de chaque être que comme la possibilité de la beauté ».

Où le poète oriental rejoint la pensée d’Edgar Morin, le philosophe occidental.

Il continue : « L’unicité transforme chaque être en présence, laquelle, à l’instar d’une fleur ou d’un arbre, n’a de cesse de tendre, dans le temps, vers la plénitude de son éclat singulier, qui est la définition même de la beauté ».

Soyons attentifs à ces traces et curieux de leur histoire. Ainsi se gagne la présence.

Vous avez dit futile?


 

Il fait si beau ce matin, le ciel est si pur, que je dois m’excuser par avance auprès de vous d’aborder un sujet plus grave que de coutume. Un sujet que l’on peut aussi choisir de traiter d’une touche légère, avec bienveillance, comme on accueille chez soi un visiteur trempé sous l’averse. Il s’agit de la peur, et des ressources qu’elle nous permet de mobiliser.

La peur est une déferlante. Il faut la prendre à plein corps, de face, et se laisser traverser par elle pour se retrouver ensuite hébétés, glacés mais debout, rassemblés, tonifiés, vivants.

Il suffit d’une alerte un peu sérieuse pour soi-même ou pour ses proches et toute la légèreté de l’été s’évapore. Quand le bon fonctionnement du corps n’est plus garanti, on se sent comme le passager d’un bateau sur lequel vient de se déclarer une voie d’eau. La certitude de rejoindre le rivage, sur lequel on se tenait tout à l’heure, heureux parmi les autres vacanciers, scrutant l’horizon où se déployaient des voiles multicolores, se dérobe.

Les courants, les remous nous déstabilisent. Notre perception de l’environnement se modifie. La mer dans laquelle on se baignait il y a quelques heures avec tant de confiance et de plaisir s’est tout à coup transformée en un risque mortel qu’il nous faut parer à tout prix. Toutes nos facultés se concentrent et le stress, augmentant nos forces et notre vigilance, réduit notre champ de vision pour en éliminer tout ce qui ne concerne pas le danger immédiat.

Pourtant, la beauté du monde qui nous entoure n’a pas disparu. La même lumière continue ses jeux argentés sur la crête des vagues, mais nous la ressentons comme une présence indifférente, ironique ou cruelle, pareille à ces dieux de l’antiquité se divertissant au spectacle du malheur humain.

Il faut une volonté particulièrement bien entraînée pour continuer à jouir de tout ce qui était là, tout à l’heure, et qui n’a pas changé. Apprendre à s’en nourrir, à puiser force et courage dans ces éléments qui ne nous veulent rien, ni bien ni mal.

Maintenir cette alliance est un travail de tous les instants, dans lequel s’aiguise notre perception. Il nécessite une impeccable clarté d’esprit, un amour de la vie chevillé au corps, et quelque chose de plus : la persévérance des sportifs de haut niveau, des musiciens, des ingénieurs, ou de quiconque a besoin d’atteindre et de maintenir le plus haut niveau de performance. C’est une décision qu’il nous appartient de prendre. Quel regard choisissons-nous de porter sur les événements qui nous affectent ? Si nous le voulons, tout, même la peur, se transforme en ressource. Le moindre caillou sur le chemin devient trésor, l’obstacle une occasion d’exercer notre agilité. Aimons la peur, à condition de la chevaucher habilement : soyons champions de surf, épousons la vague, absorbons toute son énergie pour rejaillir, là-haut, dans le soleil, terrifiés mais ravis.

Si vous êtes encore en vacances, pardon pour le ton sérieux de cette chronique. Voyez-là comme une ligne d’horizon, d’un bleu plus foncé, qui rend par contraste encore plus éclatant le bleu joyeux de la mer la plus proche. Entendez-là comme un appel à goûter l’instant présent, à le savourer dans tout ce qu’il a d’éphémère et de précieux. Considérez-la comme un bruit qui, lorsqu’il cesse, rend au calme environnant toute sa plénitude. Appréciez l’imperfection dans la perfection.

Comme le chantait Léonard Cohen :

« Il y a au cœur de toute chose une fêlure,

Et c’est par elle que passe la lumière »

 

Une visite au musée


Pour bien commencer l’année, pas de texte aujourd’hui, juste des images du musée Guimet, qui rayonne de toute la beauté de l’Asie en plein coeur de Paris. Replacer la culture et l’art au coeur de la vie, pour vibrer avec plus d’intensité, pour s’émerveiller, pour se laisser surprendre. Pour ces sourires bouleversants.Guimet_2401

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There has been a unique moment in human history when Western (Greek-macedonian) sculpture met Eastern spirituality. The place was Gandara, spreading across Afghanistan and Pakistan. The era : between 1st and 3rd Century after Christ, 8th Century after Buddha. Paris, musée Guimet

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Buste féminin émergeant d’une draperie, VIIème siècle, terre, monastère de Fondukistan, Vallée du Ghorband, Afghanistan, Musée Guimet

Parfaits dans notre imperfection (première partie)


L’hommage à Nicole de Chancey, disparue le 14 juillet, m’invite à clarifier mes propres idées sur la promesse du coaching, sur sa pratique, sur son insistance à chercher des solutions opérantes, ici et maintenant, mais aussi sur la lucidité, la rigueur et la discipline qu’il demande si nous voulons obtenir des résultats à la hauteur de nos espérances. Fine pédagogue, Nicole savait créer des métaphores merveilleusement inspirantes et poétiques. Je penchais plutôt du côté du réalisme, attiré par le « comment », désireux d’apprendre et de perfectionner des techniques toujours plus efficaces pour aider mes clients à réussir. A travers son enseignement à l’Institut du Coaching International, et notamment une série d’exercices sur l’écoute active, j’ai rapidement compris que le coach était lui-même le premier des instruments,  et que les techniques les plus pointues ne serviraient à rien sans un profond travail sur le savoir-être. En tant que coach, nous devons préserver, et même cultiver la fraîcheur du regard tout en apportant des solutions pratiques, opérantes, à nos clients. Il est donc vain d’opposer le réalisme et la poésie : les deux sont nécessaires. La poésie, pour continuer à respirer dans un monde où toute expérience neuve, originale, est bientôt formatée, marchandisée, banalisée, aplatie, tandis que l’impératif de performance s’impose dans les coins les plus reculés de la société, de l’économie et jusque dans les relations intimes, mettant les individus sous pression. Il n’est pas nécessaire d’ouvrir GQ, Marie-Claire ou Psychologies pour mesurer combien le niveau de stress dans nos sociétés affecte jusqu’à la vie sexuelle des couples.

Dans ces conditions, que pouvons-nous faire pour nos clients ? Comment pouvons-nous les aider à conserver la part de la magie tout en restant dans la course ? Peut-on garder les pieds sur terre et la tête dans les nuages sans risquer le grand écart? L’Asie pourrait nous offrir des éléments de réponse, avec son goût de l’équilibre  et son art de transcender les contradictions apparentes au sein d’une harmonie plus vaste, plus accueillante, plus complexe et plus riche. Avec, aussi, son rapport au Temps si différent du nôtre. Tandis qu’en Occident le Temps dévore ses enfants, c’est en Asie la dimension de l’accomplissement, de la patience et de la persévérance. Vieillir, en Asie, n’est pas devenir obsolète : c’est accumuler de la sagesse et manifester sa force vitale, dont la persistance impose le respect. On n’y verrait jamais de ces publicités où des petits-enfants irrespectueux arrachent le dernier gâteau des doigts de leur grand’mère : de telles affiches seraient immédiatement arrachées, taguées, peut-être même interdites, le scandale sur les réseaux sociaux y serait énorme, et la marque coupable d’avoir prôné de telles valeurs serait à jamais bannie du marché.

Loin d’être esclaves de l’instant, les asiatiques ont aussi développé de nombreuses techniques pour s’en libérer sans se déconnecter du monde sensible. Une relation plus apaisée au Temps dégage de l’énergie pour affronter les chocs de la concurrence et de la vie quotidienne. Il ne s’agit pas de s’extraire du monde, de prendre du recul, mais de rester centré sur les sources d’énergie les plus profondes. De manière intéressante, on retrouve ici des techniques millénaires comme le Qi Qong, et d’autres plus récentes, venues de Californie, comme la pnl générative de Robert Dilts avec son Voyage du héros.

(à suivre)

Beach Boys et Mozart 1, psychopathes zéro


Il y a eu la Flûte Enchantée de Mozart à la Bastille, magnifiquement servie par une mise en scène de Robert Carsen qui (n’en déplaise à ceux qui préfèrent la sophistication à l’humilité)   redonne toute sa transparence à l’oeuvre et par des chanteurs-acteurs pétillants de vie (voir ici Flûte enchantée  et Flûte enchantée Robert Carsen). La profondeur et la plus grande légèreté s’allient pour triompher des forces obscures, le propos de Mozart retrouve toute sa limpidité, le pardon dissout les appétits de vengeance et l’on se sent, oui, plus propre, réconcilié avec la notion même d’espoir. Les Lumières sont bien le plus bel héritage de l’Europe, et la musique st aujourd’hui le meilleur moyen de faire passer ce message.

Plus accessible et tout aussi savoureux, si vous voulez de bonnes vibrations pour l’été :  Love & Mercy, la véritable histoire de Brian Wilson, compositeur phare des Beach Boys. Un film de Bill Pohlad avec Paul Dano, John Cusack, Elizabeth Banks, à voir (et à entendre) absolument. Un talent massacré, mais qui ressort, éclatant (de justesse, et pas indemne), après un traitement effroyable entre les mains d’un charlatan psychopathe bien plus gravement atteint que son patient. On savait qu’il y avait des médecins dangereux et intéressés depuis le médecin de Michael Jackson, à vrai dire on aurait dû le savoir depuis testament du docteur Mabuse de Fritz lang (1932).

Elizabeth Banks incarne avec beaucoup de justesse la conviction, la détermination, l’amour et la joie de vivre qui pétillent dans la musique des Beach Boys. Et dire qu’on a pu la dénigrer comme outrageusement commerciale, alors que les harmonies sont d’une subtilité somptueuse. La joie, la vitalité explosent, c’est exactement ce qu’il nous faut en cette époque sinistre. Avec une bonne dose de persévérance pour ne pas nous laisser contaminer par ceux qui croient encore que la tristesse seule est marque d’intelligence.

On peut détruire des monuments, égorger des vivants, réduire des populations à la pauvreté abjecte, les étrangler, les contraindre à l’exil, mais la musique demeure, accessible à qui veut bien se laisser toucher. De la poésie pure.

Bel été à toutes et à tous.

Méditerranée


Il y a, de l’autre côté de la Méditerranée, un pays qui demande à vivre. Un pays que j’aime, où les femmes et les hommes savent rire d’eux-mêmes et des petits soucis de la vie quotidienne, un pays qui nous ressemble, auquel nous rattachent de nombreux liens. Un pays qui a fait une révolution pour sa dignité et qui a donné à cette révolution le nom d’une fleur. Un pays dans lequel il y a un musée, et dans ce musée on peut voir une fresque romaine dont la photo illustrait nos livres de latin, en cinquième.  Ce musée, c’est le Bardo, un hymne à la civilisation méditerranéenne lorsqu’elle chante le bonheur de vivre et d’accueillir ses amis dans la joie, avec des blagues, des fruits et des olives. Ce pays, c‘est la Tunisie, et puisque le printemps arrive, et qu’ils ont besoin de notre soutien comme nous avons eu besoin du soutien du monde après le 11 janvier, j’invite chacune et chacun à suivre l’exemple du blogger El Kasbah et à réserver au plus vite un week-end pour aller voir ou revoir ce pays, ce musée, cette fresque. Nous aussi nous avons été frappés, et nous espérions peut être pouvoir enfin tourner la page avec l’arrivée des beaux jours, retrouver une vie normale. Mais il n’y a pas de vie normale. Il y a la vie tout court, celle que nous devons vivre avec dignité, celle qui demande des actes de solidarité avec nos frères tunisiens. Pour qu’à nouveau, pour que toujours, come au temps d’Ulysse et de Virgile, la Méditerranée ne sépare pas les peuples, mais les relie.

Méditerranée

Sympathy for the Belgians


I love Belgians, and it hurts me to think they only just nearly escaped a major terrorist attack. Belgians are warm, fun-loving, unpretentious people. Belgium, together with Italy, was the birthplace of European painting. Patinier, Jan Van Eyck, Rogier van der Weyden, Juste de Gand, Hugo van der Goes, Hans Memling, Dieric Bouts, Gérard David and all the early Flemish paintings offer a good reason for God to restrain from destroying this planet even if he was very, very angry with us. There is so much tenderness in these “Virgins with child” or in the “double portrait of Arnolfini and his wife” (link here), which heralded the invention of intimacy. And then there is Hieronymus Bosch with his terrifying visions, and there are the Brueghels whose images are bursting with life, and if that is not enough there is Hergé, there is Tintin et Milou, and Captain Haddock, and the Dupont brothers. In the early albums, Tintin sometimes had incredibly racist remarks, but how on Earth could anyone possibly want to hurt the country of Milou?

There is a strong connection between Brussels and Paris. Before being the capital of E.U-Absurdity, Brussels was the place where Victor Hugo and other freedom-loving French escaped when the king’s or the emperor’s police were chasing them.

So, in the name of all the French people, I want to apologize for allowing the world to believe that we invented the French fries. We did not. The Belgians did. And so, we should launch a global campaign for the proper-renaming of the French, I mean, Belgian fries.

Otherwise, if you can read French and you are interested to know more about the representation of the prophet Muhammad across the Centuries, you may read this interesting article in Le Monde (link here) : “under which conditions does Islam authorize the representation of the Prophet”? In this article, we learn that the Sunna does not so much forbid representation as the worshipping of idols.  According to Silvia Naef, of professor of Arab studies in the university of Geneva, “what is being held against makers of pictures is that they are pretending to imitate (in French, “singer”) the work of God: the painter pretends to breathe life into matter that has been shaped by hand.” This would explain why photography is allowed, but not the re-creating gesture of the draftsman.

There is also an article in English about the same topic in Newsweek : link here.

I will not dwell into the comparison between Western painting, cartoons and Orthodox icons, which have different intentions, but clearly, neither Western paintings nor Tintin ever aspired to the status of idols. There is no real presence in them. They connect us with emotions and with life in the same way as a song may remind us of a beloved one.

Clearly, we are in the presence of  two very different, irreconcilable conceptions of the very act of creation, and this is fair enough. As the British say, let us agree to disagree on this. But let us also be clear about what we stand for.

I, with much gratitude, stand for Belgian fries.

Mes amis m’ont prêté des livres


Un jour où j’avais du chagrin, mes amis m’ont prêté des livres. Des livres en papier, avec une couverture et des pages à toucher, que l’on feuillette ensemble en cherchant ses passages favoris pour se les lire, les commenter longuement, les savourer à deux. Il y en a toute une pile à côté de mon lit. Des romans, des essais, de la poésie, des livres sur l’art. Les uns sont neufs, je n’ai pu résister à la tentation de les acquérir alors même que j’avais largement de quoi m’occuper. Les autres sont plus anciens, bombés, avec des coins légèrement cornés, des couvertures où s’imprime la trace des doigts qui les ont tenues.  Ceux-là s’enrichissent de lecture en lecture, ils portent en eux la mémoire de lecteurs et de lectrices attentives qui les ont incorporés dans la trame de leur vie.

De Le Clézio, Tempêtes évoque un coin d’Asie où la mer, les rochers et les hommes s’entrechoquent brutalement. L’amie qui me l’a prêté partage avec moi ce goût de l’Orient où vécut sa famille.  Elle me fournit régulièrement de la très bonne came-à-lire (à moi seul tous les personnages, de John Irving), et comme nous avons le même sens de l’humour c’est à chaque fois un plaisir redoublé.

Un autre roman, dont j’oublie le titre et l’auteur (!),  commence par une procession de femmes dans le nord du Vietnam : elles s’enfoncent loin dans la forêt pour y chercher du miel, renoncent à cause d’une averse, on sent la chaleur tropicale, la touffeur de la jungle et la peur des serpents, mais le roman me tombe des mains. Trop d’Asie tue l’Asie. J’enchaîne avec des essais : Cyrulnik, « de chair et d’âme », Jean-Claude Ameisen, « sur les épaules de Darwin », Frédéric Lenoir, « la guérison du monde », avant d’aller chercher mon miel dans « Le Royaume », d’Emmanuel Carrère (ce sera ma prochaine chronique). Pardon pour l’énumération en chaîne, limite « name dropping », ça fait un peu B52 larguant ses bombes au-dessus des forêts du Laos,  mais mon propos n’est pas aujourd’hui de parler du contenu. Mon sujet du jour, ce sont les lectrices et les lecteurs. Et puis, on m’attend pour peindre un plafond. (Le bricolage, toutes formes de travail manuel, peindre ou poncer, idéal aussi pour guérir).

Prêter des livres est une manière qu’ont trouvé les humains de prodiguer de l’affection, de témoigner sa solidarité à ceux qui en ont besoin. C’est leur manière de contribuer au processus de guérison, comme on dirait : « tiens, prends des vitamines », ou « et si tu te remettais au sport » ? Tous ces conseils sont excellents, mais les livres offrent quelque chose de plus, quelque chose d’inestimable : ils sont comme les ambassadeurs de ceux qui nous les ont prêtés, dévoilant, par le choix des titres et des auteurs, quelque chose de leur intimité.

Et ca, c’est de la gelée royale.

Au coeur du monde ou le repos pendant la fuite en Egypte (reprise)


L’art ne console pas toujours, mais lorsqu’il expose la vie sans dissimuler ce qu’elle a de plus sauvage, il nous donne une chance de reconstruire un jour quelque chose sur de la vérité. A l’été 2011, une saison s’ouvrait, pleine d’étrangeté. Je souhaite aujourd’hui partager cette réflexion avec mes nouveaux lecteurs (et nouvelles lectrices).

BuencaRmino

Il y a plusieurs façons de tourner une page. Mais pourquoi vouloir clore un chapitre, une saison? Pourquoi ne pas ouvrir sur ce qui vient? Glisser d’une saison dans une autre avec la grâce d’un amant furtif qui s’en va voir ailleurs. « Quand on aime, il faut partir » (Blaise Cendrars, Au coeur du monde).

Étrange été. Plus légers, plus enclins à bouger, nous redevenons nomades. « Nous avançons dorénavant vers l’avenir comme le feraient des immigrants qui ne connaissent ni la langue ni la grammaire du monde vers lequel ils cheminent. » Jean-Claude Guillebaud, la vie vivante. Banalité? Pour le savoir, le mieux, c’est encore de passer de l’autre côté du miroir, dans le regard de l’autre. Voir ce qui tient, ce que l’on refuse, et ce qui n’en vaut pas la peine. Tout un été pour faire le tri. On peut même rire. Sauf de la Syrie. Comment…

Voir l’article original 562 mots de plus

Coexister c’est comprendre ce qui peut offenser l’autre


Aujourd’hui, c’est difficile d’écrire, mais vous lisez. de France métropolitaine, de la Réunion, de Luxembourg, du Brésil, des Etats-Unis, du Canada… Qui êtes-vous donc? Délicieux mystère!  Alors comme ça, pour le plaisir, façon de dire je vous aime, un lien vers une magnifique interview de JMG le Clézio dans le Monde, titrée : « Coexister, c’est comprendre ce qui peut offenser l’autre ». Lien ici.

Un extrait :

A l’île Maurice, on peut donc parler d’une société multiculturelle ?

L’île est multiculturelle depuis bien longtemps, puisque des communautés différentes y vivent ensemble depuis le XVIIsiècle, quand les Hollandais l’occupèrent avec des esclaves africains et malgaches. Par la suite, les Français l’ont colonisée, amenant de nouveaux esclaves, puis les Anglais, accompagnés par des Indiens hindouistes et musulmans, sans oublier l’arrivée des Chinois. Cette pluralité s’est traduite, à l’usage, par une certaine tolérance, d’autant que les Anglais ont favorisé le multiculturalisme en instituant des lois qui respectaient les religions et les langues de chaque communauté.

Dans une île où, plusieurs fois par jour, dans un quartier ou l’autre, vous entendez les cloches de l’église sonner, le gong battre dans un temple tamoul, ou l’appel du muezzin, vous êtes préparé, déjà auditivement, à cohabiter avec des gens différents. Ensuite, visuellement, vous découvrez dans les rues des personnes de toutes les teintes de peau, vêtues et coiffées de toutes les manières, avec des façons de se parler changeantes, des règles de vie dissemblables, une cuisine bien à eux. Cela oblige à porter une grande attention à tout le monde. Mais il ne s’agit pas seulement de vivre côte à côte. Coexister dans ces conditions implique une compréhension de ce qui peut offenser l’autre.

Pour les abonnés, l’interview complète est dans les archives du Monde : http://goo.gl/VVos8k

Et comme cet article ne sera pas accessible longtemps j’ajoute deux autres interviews de Le CLézio : celui-ci dans Zinfo 974 lien ici  et enfin ce troisième sur YouTube lien ici.

 

Si vous avez le temps, lisez la Quarantaine, magnifique roman qui se passe sur un  ilôt au large de l’île Maurice.

Soudain la poésie revient


Soudain, la poésie revient. Par le roman. Les bons, ceux qui vous réconcilient avec le plaisir égoïste de la lecture, communiquent par mille interstices avec des univers parallèles au nôtre, plus vastes et plus intenses. Un jour de pluie, ce plaisir redouble. On se laisse envoûter par les personnages, la narration, le rythme des phrases, tandis qu’au-dehors crépite l’averse. Et si ce roman sait comme nul autre évoquer un paysage gorgé de pluie « pendant que la nature toute entière – feuilles, gouttes d’eau sur les feuilles, rochers, gouttes d’eau sur les rochers – resplendit sous la lumière d’un matin neuf, … », alors, c’est « mot compte triple ».
Neuland, le troisième roman d’Eshkol Nevo (Gallimard), est de ceux-là. C’est un roman qui vous donne envie de respirer l’air du grand large, à pleins poumons. Quand vous êtes-vous réveillés pour la dernière fois avec l’envie de découvrir un Continent ? Pas une destination, pas un pays. Un Continent, avec un C majuscule et des montagnes hautes comme ça, des cataractes et des lacs les plus hauts du monde, où des gringos paranoïaques soignent leurs blessures de guerre dans des plantations cernées de cactus.
Avec Neuland, on se laisse embarquer sur des sentiers sillonnés d’agents secrets qui n’en sont peut-être pas, d’un fils à la recherche de son père happé par un rêve de chamane, on cahote sur des routes périlleuses en compagnie de la petite-fille d’une immigrante échappée de justesse à l’holocauste, et d’un guide local qui comprend comme personne l’âme des rivières. Des itinéraires passant par Jérusalem, Berlin, l’Amérique latine et des bribes d’Australie convergent. Aucun des personnages ne demeure dans le pays de sa naissance.
De page en page, l’horizon tout entier s’emplit de quelque chose d’énorme et de captivant. Destins croisés, permis de rêver. Ainsi, cette description des mystérieux dessins gravés par la civilisation Nazca, d’une échelle si grande que certaines interprétations n’ont pas hésité à parler d’un « message » adressé aux extra-terrestres, ou conçu par eux. Mais l’humain conserve toute sa place, même au cœur du merveilleux. « Au début je ne voyais que du sable. Mais elles ont commencé à apparaître. Les formes. Le singe, l’araignée, l’astronaute. (…) et brusquement, j’ai eu le sentiment que toutes les explications données à ce dessin n’étaient pas valables. Qu’ils n’avaient été exécutés que pour le prodige (…) parce que le rêve doit toujours demeurer impossible, hors d’atteinte. »
L’émotion, l’éblouissement esthétique revigorent les enfants d’un monde fatigué. « (…) dans cette immensité, leur énorme véhicule ressemble à un criquet face aux arbres élancés, aux hautes montagnes et aux vallées encaissées, où l’eau vive coule, et non un égout. Et le soleil resplendit entre les nuages, léchant le lac de ses rayons. Et cette couleur ? Pas vraiment bleue, pas vraiment verte. Violacée. Pas de vagues sur ce lac, pas une écume. Une petite barque fend doucement les flots, dessinant à sa proue un point d’interrogation. Quand un tel éblouissement esthétique l’avait-il ainsi remué pour la dernière fois ? »
Sous nos yeux les personnages s’ouvrent et se transforment, attachants, désorientés, venus d’un pays si petit, cerné de tant d’hostilité, qu’il se donne pour horizon le plus vaste monde et pour profondeur, l’histoire. On s’enfonce avec eux dans la jungle et l’on retrouve des pans de sa propre expérience, au nord des Philippines, sur les flancs d’un volcan à l’ambiance de Vol 747 pour Sydney (the Banahaw protocol, ici). L’expérience acquiert une texture particulière, poétique dans sa présence au monde.
« Plus ils s’enfoncent dans le monde des plantations plus les traces du monde civilisé s’effacent. De temps à autre, un cheval sans cavalier apparaît entre les arbres. De temps à autre, une cabine téléphonique dépourvue de combiné se dresse sur le bas-côté. Les routes sont creusées de cratères comme la surface de la Lune. Et parfois, elles s’arrêtent d’un seul coup : devant un barrage ou la jungle. (…) les buissons et les arbres s’enchevêtrent au milieu des milliers de branches et de feuilles sur lesquelles la pluie incessante joue un concerto pour gouttelettes. Le bruit des gouttes tombant sur une feuille – il s’en rend compte au bout de quelques jours – est différent de celui des gouttes glissant sur une branche, différent des gouttes heurtant un blouson, différent de celui des gouttes tombant dans les petites flaques accumulées au pied des arbres. L’eau coule sans cesse, de toutes parts, au point qu’il est difficile de distinguer le fleuve de ses affluents. (…) Avec l’expérience, on parvient à deviner l’arrivée de la pluie, lui racontent d’autres randonneurs. Avec l’expérience, on apprend à distinguer les couleurs des différents nuages.»
Un roman-radeau, pour partir à la dérive sur un fleuve de mots et d’images. Laissez-vous tenter.
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Le mystérieux sixième sens de la Dame à la Licorne


Histoire d'Intuition

Datant du XVe siècle, la tenture de la Dame à la Licorne, serait, selon les chercheurs médiévistes, une allégorie de nos cinq sens, et la révélation d’un ultime, le « sixième », sens du coeur et porte d’accès au monde spirituel.

intuition, sixième sens, dame à la licorne Pendant des siècles, la célèbre tapisserie médiévale de la dame à la Licorne a gardé son mystère, jusqu’à ce que, dans les années 1920, puis en 2000, le chercheurs médiévistes s’accordent sur une interprétation spirituelle de l’oeuvre. La Dame à la Licorne exprime l’accession au mystérieux « sixième sens ». (Détail du troisième tableau de la tenture représentant « Le Goût »)

D’un symbolisme et d’une force expressive rare, la tenture de la dame à la Licorne, exposée au musée de Cluny, à Paris, est considérée comme l’un des chefs d’œuvre de l’art occidental médiéval. Datant du XVe siècle, et probablement tissée en Belgique, elle se décline en six tapisseries, autant de tableaux mettant en…

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Coup de cœur aux artistes Philippins


Les artistes Philippins sont à l’honneur à Sète avec l’exposition de Manuel Ocampo « Manila Vice ». L’artiste et curateur ambitionne de faire de Manille une ville d’art mondiale. Lorsqu’on est familier de la vitalité de la scène créative des Philippines, on ne peut que souscrire et lui souhaiter beaucoup de réussite.

A voir au Musee International des Arts Modestes (MIAM Museum, http://www.miam.org) in Sète, France.

http://www.ambafrance-ph.org/Manuel-Ocampo-s-Manila-Vice-Making,2348

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Et si vous n’avez pas le temps d’aller jusqu’à Sète, ne ratez pas la splendide exposition du Quai Branly : Philippines, archipel des échanges

http://www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/a-l-affiche/philippines-archipel-des-echanges.html

Et Phèdre au labyrinthe


(Reprise du 18 août)

3. « Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Avec vous se serait retrouvée ou perdue »

Parfaite métaphore de l’amour : se perdre ensemble, ensemble se retrouver.  Ceux qui n’ont jamais trouvé l’âme soeur et qu’on entend gémir, les soirs de grand vent. Ceux qui n’ont su trouver le chemin menant du territoire vers la langue, où continue de vivre une âme dansante, et qui perdent la poésie. « Avec vous descendue » : flamme vacillant dans les couloirs souterrains, bruits de pas furtifs, avancer guidés par le son d’une voix, la vibration unique entre toutes de la langue française, un pli dans la nuit lisse de l’ignorance et de la barbarie. La suivre et déboucher avec elle en pleine lumière. Croire en elle, par un acte d’amour et de volonté, fidèles à la voix grave de l’ami disparu qui nous récitait « Phèdre », ou plutôt la gravait en nous.

 

bon anniversaire David Pini


Cher David,

Mercredi, comme tous les mercredis désormais, j’irai dessiner, mais tu ne seras pas le modèle au centre de l’atelier. Aujourd’hui, c’est toi que j’interroge, David, mon ami d’enfance. Que ferons-nous de ta colère? A toi, l’ami qui n’a pu trouver sa voix, je dédie cette série d’articles, et surtout l’épilogue de mon « Journal estival » (a suivre). De peur de ne pas y arriver, je commence par Bercy.

Ce jour-là tu m’as donné ma première et dernière leçon de photographie. Nous avions marché depuis l’Hôtel de Ville sur les quais interdits à la circulation. Tu me racontais ton 9/11 vu depuis le studio de Merce Cunningham, au coeur de l’action, le désarroi des étudiants, le tien. La Performance meurtrière d’Al Qaïda venait de tracer la frontière absolue de l’Art Contemporain, l’ultime obscénité, transgression autoréalisatrice après quoi viendrait la petite musique de Radiohead, « No Alarms and no Surprises please », leurs guitares désolées, leurs voix plaintives, supplication de l’occident tétanisé. Tu ressentais aussi le besoin de ralentir, c’est pourquoi tu étais revenu te poser à Paris.

Hey man slow down

Cette femme lisant sur la pelouse a capté nos regards au moment où tu me parlais de Bénédicte P, de Merce, et puis d’un autre, inélégant, dont on ne parlera pas ici, même si ta douleur continue de tourner.

Tu as posé sur la liseuse un regard plein de tendresse. Peux-être pensais-tu à ta mère, qui avait tant lu. Et puis, discrètement,  tu m’as indiqué le bon angle.

L’inconnue de Bercy

Une second photo, la tête un peu plus penchée de la femme, comme affaissée, toujours plus absorbée dans la matière du récit, comme j’apprends à les dessiner aujourd’hui, bien au centre de la feuille. Paris si calme en ce mois de juillet 2008 redoutait une autre canicule. Les enfants jouaient dans les fontaines, sur les escaliers menant à la passerelle Simone de Beauvoir. Tu m’as parlé de la Flûte Enchantée, j’ai pris quelques photos de toi au pied des tours de la Grand Bibliothèque.  Encore des tours, celles-ci pleines de livres et dédiées au savoir. Un dimanche à Paris.

Les photos suivantes, celles du Kremlin-Bicêtre, je ne veux plus les voir, ce n’est pas toi, ce corps paralysé, scandaleux, ta voix clouée, ta voix de basse si singulière, qui faisait peur aux petits enfants, l’idéal instrument pour chanter du Racine ou Boris Godounov.

Je veux garder le souvenir de ta dignité face à toutes les bassesses. Je veux garder à l’oreille le son de ta voix proclamant la rébellion, s’emparant de l’espace, agrippant le revers de nos peurs. Je veux garder de toi cette image verticale : dressé dans la lumière, insolent, nerveux, criant encore après que tout soit devenu cendre opaque et grumeau. Debout.

douce tyrannie (suite)


Douce tyrannie: la douceur d’un monde sans aspérités, sans résistances, où la main deviendrait le témoin de notre désamour envers le monde réel. Désengagement.

Pressé par le temps, je vous redonne ici le lien vers le Guide du démocrate mentionné par Thibaud dans son commentaire sur les monstres gentils, dans la catégorie « résistance au quotidien ». Un extrait marrant : « dans leur immense majorité (eh oui) les démocrates pensent qu’ouvrir un sachet c’est facile mais que laver-éplucher-couper-cuire des légumes c’est pénible. En fait, et c’est bien déprimant, mais le démocrate préfère les chips ou le sachet de pâtes à passer au micro-ondes avec la sauce lyophilisée qui va avec plutôt qu’une soupe de patates douces au gingembre à qui prend 5 minutes à cuisiner. Dommage. »
De là à dire que les vrais démocrates sont ceux qui mettent la main à la pâte, ou plutôt dans le gingembre, il n’y a qu’une bouchée…

Et j’intègre ici la réponse de Thibaud Saintain :

Pressé aussi, mais j’ai l’impression d’entendre le même son de cloche chez Chomsky, avec des nuances… Quelle drôlerie dans le livre que tu re-signales ! Ça a le mérite de réveiller, tout en piquant, mais vers le rire.
Chez Chomsky, (Dix stratégies de manipulation de masses dans les média) je me méfie d’une vision tragique, dans le fait qu’on attribue un caractère intentionnel à la manipulation… Mais la « grammaire », les modalités de cette dernière me paraissent pertinemment décrites.

« Poète est pour nous celui qui rompt l’accoutumance ».

Et ma réponse à la réponse : j’ai du mal avec l’esprit de sérieux, la lourdeur de Chomsky. Ce qui me pose problème, c’est le côté « théorie du complot ». Bien sûr, il y a une convergence de manipulations, mais il serait malhonnête de cacher que nous en sommes bien souvent les complices, par notre paresse, notre insouciance ou  notre légèreté. Retrouvons l’épluche-légumes au fond de notre tiroir,  ce sera déjà un grand pas vers plus d’autonomie et de responsabilité.
(Voir articles précédents dans la catégorie « la main », mots-clés : poncer, placard, masochisme ou persévérance, etc).