Archives de Catégorie: Nature

La forêt de Saint Clair


Cette forêt n’est pas silencieuse.

Ce n’est pas le contraire d’une ville, offrant aux citadins épuisés le trésor de son calme.

C’est un monde où la vie grouille sous les pierres, dans le tronc des châtaigniers déracinés, dans le touffu des ronces.

Elle existe pour elle-même, pas pour notre plaisir. Et cette vie suit ses propres lois, s’organise, partage les ressources et le territoire. Grimpereaux, geais des chênes, locustelles, pinsons, bruants, s’avertissent de notre passage et poursuivent leurs activités.

C’est un habitat vivant, vibrant, puissamment odorant, un espace intermédiaire aux mille visages.

Tôt le matin, ce territoire bruisse, jacasse, craque et crie, parcouru de ruisseaux glougloutants, feuillolant au gré du vent, souffrant de la sécheresse et cherchant le moyen de survivre.

Comme nous, la forêt vit une catastrophe.

A son orée, la fontaine de Saint Clair offre, à qui le demande, fraîcheur et discernement.

Rassemblant quelques feuilles jaunies, des mousses et des branches, je compose un mandala forestier.

Sur les vieilles pierres luisantes, il propose un motif de lien, de gratitude et d’ouverture.

La rencontre se fait. Plus loin, la pierre touchée dans le chemin libère un flot d’images, d’émotions.

Joie, douceur inattendue, surprise, guérison.

Et pour toute eau, des larmes.

Les Génies des Sapins


J’avais tout juste le temps d’aller voir les sapins, qui m’avaient accueilli quelques jours plus tôt, lors d’une randonnée sur les hauts de Saint Cergue, dans le Jura suisse.

Nous avions traversé une prairie où des vaches, rendues nerveuses par la sécheresse et la présence de loups, cherchaient en vain de quoi se nourrir parmi les herbes desséchées. Les clarines accrochées à leur cou massif résonnaient dans l’espace, au rythme lent de leurs déplacements. Marchant au milieu du troupeau, nous étions attentifs à ne pas les effrayer par des mouvements brusques.

La chaleur de l’après-midi commençait à s’atténuer. Une douce odeur d’alpages, de résine et de bois fraîchement coupé flottait dans l’air tiède. Après avoir traversé la forêt, nous avons débouché dans un espace découvert, ponctué de quelques sapins. Je les ai contemplés longuement, un par un. Plusieurs d’entre eux avaient été frappés par la foudre. Il n’en restait plus qu’un tronc noirci et des branches calcinées. L’un d’entre eux, curieusement, n’avait brûlé qu’à moitié, l’autre moitié portant encore des branchages verts. Survivrait-il ? Les autres semblaient résilients, leurs aiguilles d’un beau vert foncé témoignant d’une vitalité rassurante. La lumière du soir les habillait, soulignait la beauté singulière, la grâce, la posture et le caractère de chacun. Et chacun, à sa place, incarnait une présence vivante, unique dans son être et dans sa forme, les uns tournés vers le lac, les autres en lisière de la forêt ou dispersés dans l’espace. Je les ai salués, tour à tour, avec un sentiment de gratitude et de respect.

  • Merci, les sapins, pour votre accueil aimable et généreux
  • Avec plaisir (je décelai comme une légère trace d’accent suisse, mais sans doute était-ce l’effet de mon imagination)
  • Cette année, je me suis senti plus proche de vous. C’est peut-être une illusion, mais il m’a semblé ressentir votre présence rayonnante lorsque je vous ai regardés dans le soleil couchant.

Silence.

  • Votre odeur aussi, j’avais l’impression qu’elle me faisait du bien.

Silence.

  • Je voulais aussi vous demander pardon pour toutes les souffrances que nous vous causons, la sécheresse, les feux, les insectes qui vous dévorent. Je sais qu’ils se multiplient à cause du réchauffement causé par nous, les humains.
  • En effet (c’était dit d’une voix légèrement grésillante, comme un poste de radio mal réglé)
  • Alors voilà, je m’en vais
  • Nous aussi, nous allons partir
  • Vous allez partir ? Où ça ?

Aussitôt, j’ai regretté la stupidité de ma question. Je suis resté un moment silencieux, songeur, assis sur un rocher.

Et puis j’ai eu l’impression que le rocher, aussi, avait quelque chose à me dire. (à suivre).

Note de l’auteur : faire parler une montagne, un lac, des sapins, avec une voix et un vocabulaire « humains », comme s’ils étaient des pantins animés par un ventriloque, est à l’opposé de notre projet d’écriture relationnelle, non-anthropocentrée, respectueuse du vivant dans toutes ses formes et tous ses règnes. Nous avons dû nous y résoudre pour cette série, dans le souci pédagogique d’inviter les humains à adopter un instant, serait-ce de manière artificielle, le point de vue d’autres espèces. Pour découvrir une manière différente d’écouter et de dialoguer avec le vivant, nous recommandons chaleureusement la lecture du livre d’Estelle Zhong Mengual, « Apprendre à voir. Le point de vue du vivant ». Actes Sud, 2021. Elle y décrit la façon dont les plantes communiquent, par modification successive de leur morphologie, génération après génération, en réponse à l’évolution de leur environnement et des autres espèces vivantes. Respecter leur altérité commanderait de s’abstenir de projeter sur elles des émotions et des pensées humaines, ce que nous avons fait ici, à regret. Les plantes peuvent également communiquer au moyen d’émissions chimiques, voire radioélectriques, comme évoqué par différents auteurs. Mais elles n’emploient pas de vocabulaire humain. C’est à nous d’apprendre à communiquer avec elles, en développant notre réceptivité, notre sens de l’écoute et de l’observation.

Le Génie du lac


(suite du Génie de la Montagne » et « les trois génies »)

Le Mont Blanc semblait flotter, détaché, au-dessus de la ligne des sapins dont le séparait une zone floue, articulée dans des dégradés de bleu et de blanc.

Décontenancé par son attitude, je me suis tourné vers l’esprit du lac.

  • Génie du Lac, je suis venu te dire que je m’en vais.

… silence.

Du lac émanait une odeur fraîche, légèrement tourbeuse. Le vent soulevait des frises d’écume courant sur la surface agitée, bosselée de petites vagues.

  • Et toi, n’as-tu rien à me dire, aucun conseil à me donner ? Cette année n’est pas comme les autres, le pays se dessèche, les forêts brûlent, il y a la guerre à nos portes, le monde est en crise et nos amis sont découragés, tétanisés. Je vais avoir besoin de courage, de discernement, de persévérance.
  • En effet

La voix me parvient des profondeurs du lac, froide et comme ralentie.

… Silence

  • Merci, alors
  • De quoi me remercies-tu ?
  • De ta présence calme et tranquille, de ta fraîcheur, de l’espace ouvert que tu nous offres, et qui ne dresse aucun obstacle au regard entre la montagne et nous.
  • Autre chose ?
  • Je te remercie d’être ce miroir bienveillant, qui nous accueille et ne juge pas. Cette année, je l’ai reçu comme une forme d’amitié.
  • Je m’en réjouis. Y a-t-il encore autre chose qui soit différent cette année ?
  • La confiance que je ressens, lorsque je me pose calmement sur tes rives.
  • As-tu besoin d’autre chose encore ?
  • Non, je te remercie.

C’est alors que je me suis souvenu de l’abeille.

Le Génie de la Montagne


Avant de partir, je suis allé voir le Génie de la Montagne.

Sur la rive opposée du lac, lointain, ses massives épaules émergeant d’un manteau de nuages meringués, son sommet teinté de rose par le soleil couchant, le Mont Blanc reposait dans sa majesté de sommet de l’Europe, puissamment ancré dans son socle géologique, impérial, jupitérien, presque intimidant s’il n’avait été voilé d’une mince pellicule atmosphérique.

Un long moment, je suis resté en silence, attendant qu’il me dise quelque chose, qu’il me donne un conseil, un signe d’encouragement.

Au bout d’un moment, comme rien ne venait, je me suis tourné vers lui et je lui ai dit, avec ma voix intérieure :

  • Génie de la Montagne, je m’en vais, je rentre chez moi.

La réponse est venue, sous la forme d’une vibration lente, caverneuse, alourdie par son passage à travers d’innombrables couches sédimentaires ne laissant passer que les mots essentiels :

  • je sais
  • C’est tout ce que tu as à me dire?
  • Qu’est-ce que tu attends de moi?
  • Comment repars-tu?
  • Je me sens… revigoré, propre
  • Alors c’est bien

Puis le Génie retomba dans un silence buté, minéral, hypothermique, pour les deux ou trois prochains millions d’années.

Décontenancé, je me tournai vers le Génie du Lac. (à suivre)

Pluie bénie


Elle n’a pas duré longtemps, mais la petite averse aura suffi pour apporter un peu de fraîcheur et nous solidariser avec le vivant.

Les arbres et les animaux soulagés respirent, l’herbe se redresse, reverdit, les buissons répandent leurs odeurs humides, forestières.

Une forme d’amitié circule.

Une fois sortis de la bulle, nous acceptons de souffrir ou de nous réjouir avec eux. Espèce parmi les espèces. Accablés quand ils le sont, revigorés tout comme eux.

Nos ancêtres agriculteurs aimaient la pluie d’été, modérée, désaltérante, parfumée, une pluie bénie.

Son passage éphémère, insuffisant, transforme en jardin le sous-bois desséché.

Puis tout s’évapore.

Photo Christine Marsan

La petite fille l’abeille et le Mont Blanc


  • L’abeille

Ce matin, sur la pelouse, j’ai marché sur une abeille.

Son dard planté dans mon pied m’a rappelé qu’elle aussi était chez elle, au bord de ce lac où vont nager les humains.

J’ai ressenti une douleur vive mais temporaire.

Elle en est morte. Je tenterai de m’en souvenir.

  • La petite fille sur la pelouse

Elle aussi s’est fait piquer par une abeille.

Elle pleure, hurle. Sa mère tente de la calmer, sort son extracteur de venin.

Quel souvenir en gardera t-elle ? Haïra t’elle la petite butineuse ?

La scène se répète plusieurs fois au bord du lac.

  • Le Mont Blanc

De l’autre côté du lac, le géant cerné de nuages demeure, impassible

Nos petites aventures se déroulent à ses pieds majestueux

Mais il souffre lui aussi de la chaleur, sa couronne de neige fond.

A quoi ressemblons-nous, vus de l’autre rive ?

le Mont Blanc vu de Nyons

Libérez la dopamine!


13 Juillet 2919, ile de Ré

Par sa beauté, la richesse des espèces qu’elle abrite et sa vulnérabilité aux aléas climatiques, sans compter l’impact immédiat des cent mille humains qui s’y pressent tous les ans, l’île de Ré est un lieu emblématique de ce qui se joue en ce moment, partout sur la planète.

C’est pourquoi je n’ai pas été surpris de trouver hier, dans une librairie de Saint Martin en Ré, un livre assez savant sur les diverses mesures qui pourraient être prises pour la protéger. Il s’en vendra tout au plus quelques dizaines d’exemplaires,
mais ce qui compte, c’est qu’il participe déjà d’une recherche de solutions, au-delà du constat.
Nous sommes tous concernés.
L’été, de plus en plus, est la saison des bilans et des remises en question de notre mode de vie. Comment habiter cette planète sans la détruire? Les canicules à répétition, le contact plus intime avec la nature et les dégâts que lui inflige notre civilisation, la disparition des espèces familières (grenouilles, hirondelles, mésanges) accélère cette prise de conscience et va même jusqu’à provoquer, ces certains, ce que les psychologues ont nommé « éco-anxiété ». https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/l-eco-anxiete-ou-la-detresse-due-au-changement-climatique_132187
Le risque est de sombrer dans un sentiment de désespoir démobilisateur : à quoi bon faire tous ces efforts pour changer mon mode de vie si c’est fichu de toute façon?
Nous avons longuement évoqué ce sujet avec Christine Marsan. Pour elle, l’urgence est de changer d’imaginaire : sans nier le risque d’un effondrement, thèse développée par les collapsologues, elle prône la création d’un nouvel imaginaire. Son livre pour une Néo- RenaiSens (nouvelle édition à paraître à la rentrée) propose un changement de civilisation, centrée sur de nouvelles valeurs. De même, quand le sociologue Bruno Latour propose dans « Où atterrir » de centrer notre attention sur le Terrestre, il ne propose pas de revenir à l’ancienne conception du Territoire comme un lieu à cerner de murs pour le protéger. Ce serait illusoire. Mais « porter notre attention sur » signifie établir un inventaire minutieux de ce qui vit, ici et maintenant, des relations – pas seulement économiques – qui relient tous ces êtres entre eux et au lieu dans lequel ils vivent.
C’est à partir d’un tel inventaire que nous pourrons -devrons, c’est une question de survie – inventer de nouveaux modes de vie soutenables.
La crise d’éco-anxiété ne m’a pas épargné. J’y ai plongé moi-même, il y a tout juste un an. La seule réponse convaincante que j’aie pu trouver a été le passage à l’action. Pour moi, c’est l’écriture, puisque c’est ce que je sais faire. Contribuer par l’écriture, puis par mon action de coach, formateur et conférencier à la création d’une culture de la Résilience et de la Coopération : croyez-moi, ce n’est pas un gadget, un truc de bobo. C’est moyen que j’ai trouvé pour ne pas sombrer dans le désespoir.
Je dois à la générosité des amis qui m’hébergent de pouvoir le faire dans un cadre magnifique, avec un grand sentiment de joie et de gratitude qui me remplissent de bénéfique dopamine. C’est tout le bien que je vous souhaite, où que vous soyez.

Quand revient la lumière


La Terre est notre territoire. Notre famille, c’est le vivant. Les aimer, c’est s’aimer soi-même.

Ce matin, à la campagne, réveillé par les cris des corbeaux, j’ai reçu ce magnifique message que j’aimerais partager avec vous. Il vient d’une amie avec qui nous avions parlé du climat, du risque d’effondrement de la civilisation humaine etc. C’est une très belle réponse au sentiment d’angoisse qui monte (ou à la politique de l’autruche de certains). En ce jour où nous méditons sur les disparus de nos lignées familiales et sur les liens d’amour, ce message nous remet dans le courant de la vie :

« Suite à notre discussion au téléphone et aux différents articles sur le climat et les actualités
J’ai eu cette réfléxion que j’ai mis du temps à formuler
Elle me paraît essentielle
Peut etre Ca te parlera
Peut être pourrons nous en discuter

Le résultat de l’état de la terre et ce que nous en faisons, il n’est pas un état lié à ces 50 dernières années, il est le résultat d’une évolution.
L’évolution de l’homme.
Si on regarde en arrière, l’industrialisation et le développement du capitalisme sont les conséquences de conquêtes. Rien que la conquête des Indes et des Amériques où l’Occident va dominer par la violence les peuples qu’il considère comme sauvages, ou encore le principe de domination de la Nature par l’homme qui plus tard donnera l’agriculture.
Il n y a pas ici à juger de notre évolution, Elle n’est ni Bien ni mal, Elle est.
Le judéo-christianisme a apporté beaucoup de transformations et jusqu’il y a peu inscrites dans notre inconscient collectif occidental.
La notion de faute de culpabilité de Bon de mauvais, la position de soumission infantile face à un dieu Pere Tout puissant, l’homme qui remet sa puissance au Pere(Freud parle de ca il me semble).
Aujourdhui cette impuissance et cette culpabilité face au Monde sont un aveu de désamour et de séparation Pour l’homme.
On se sent impuissant à faire car on se croit séparé de la terre, séparé du Monde et des autres et coupable. (Commentaire de Robert : la méditation en pleine conscience permet justement de remédier à ce sentiment de séparation d’avec nos propres ressentis, avec les autres, avec les espèces vivantes et avec le monde)
Le Monde est ce qu’il est et nous avons bien du mal à le regarder en face. Inconfort.
Car c’est un Miroir tendu de ce que nous sommes : nous traitons la terre et les autres comme nous nous traitons nous-mêmes.
Pourquoi lutter ?pourquoi se mettre en colere ou se débattre ?
Ça ne changera rien la terre le Monde seront Toujours le reflet de la manière dont nous nous traitons.
On aura beau chercher des coupables, accuser le voisin ou se culpabiliser, tant qu’on ne prend pas conscience que nous nous traitons mal nous meme comme on traite le monde, sans Amour, rien ne sera contagieux.
Nous n’avons jamais été séparés ni de Dieu ni de la terre
On veut se le faire croire
On a toujours voulu croire qu’on etait des êtres impuissants
On a oublié, perdu le contact avec notre propre puissance, à travers le processus de notre évolution.
En 2018 émerge une prise de conscience de cette Non-séparation. Elle se traduit souvent, dans un premier temps, par une angoisse, une forme de sidération qui nous paralyse. On sait bien qu’on ne peut plus revenir en arrière, faire comme si on ne savait pas. Mais la tâche nous paraît immense, insurmontable, et nos forces trop petites pour relever ce défi. Le risque, à ce stade, c’est le désespoir, la tentation de s’abandonner à des conduites d’évitement. Puisqu’on va dans le mur, fumons un gros joint en regardant Netflix. Ce sentiment d’impuissance est une illusion que nous pouvons dissiper. Nous sommes travaillés par le sentiment de la nécessité urgente, non pas de sauver la Terre (Elle ést le résultat de millions d’années d’évolution) mais d’ouvrir notre conscience sur cette Non-séparation et de nous aimer nous mêmes afin que nous puissions aimer l’Autre, Le Monde, le vivant dans toutes ses manifestations.
Si on zappe cette première étape tout se cassera la gueule et ca sera vain.
Vouloir aller se battre ou sauver qui que ce soit si on n’apprend pas à ouvrir sa conscience, à s’aimer et etre conscient de son pouvoir de créer, de decreer,du divin en nous
Rien n’est séparé
Il n’y a pas la vie terrestre d’un côté et la spiritualité de l’autre
La spiritualité n’est pas un loisir pour moi
C’est la vie
Et etre congruent selon moi c’est vivre chaque minute en prenant conscience de sa Non séparation, de l’amour qui est partout dans Tout.
Ét a notre échelle à nous, rien que le savoir et en le vivant on peut aider les autres à le réaliser et à répandre cette energie d’amour et ainsi de suite comme un magnifique virus ».
Fin du message reçu.
J’ajoute : c’est précisément que ce nous nous efforçons de faire dans le cadre du parcours #AlterCoop avec Christine Marsan et aussi ce que faitStéphane Riot (voir ses publications récentes) et tant d’autres, chacun dans son coin et, de plus en plus, en constellation.

Le changement dont il est question est tout à la fois économique, sociétal, culturel et spirituel mais avant tout émotionnel. Il engage toutes les dimensions de l’être. Le mental seul ne possède pas le pouvoir de traction nécessaire pour accomplir la transformation de nos croyances et de nos modes de vie. Pire : l’approche mentale suscite incrédulités, résistance, indifférence, quand l’amour et l’empathie aplanissent au contraire ces obstacles. Notre culture rationnelle se méfie de l’émotion car elle est souvent employée par les démagogues. Mais le violon n’est pas responsable de la mauvaise musique. A nous d’apprendre à en tirer des sons harmonieux. L’Hymne à la joie de Beethoven n’a pas été composé pour nous faire aimer l’Europe libérale et bureaucratiques mais la joie de vivre et la fraternité.
Je vous souhaite un bon premier novembre dans l’Amour de soi, des autres et du vivant.

Réveil dans les bois


Je partage ici un texte de Mathis leCorbot qui résonne parfaitement avec le livre de Peter Wohlleben sur La vie secrète des animaux.

reveil-dans-les-bois/Réveil dans les bois

C’est une chose que j’admire et dont j’aimerais être capable : pouvoir identifier les oiseaux et nommer leur chant, car c’est la première marque de reconnaissance et de respect, la plus nécessaire aussi. On ne protège bien que ce qu’on sait nommer.

Bonne lecture et bel été.

Ce qu’on apprend des pierres


« Tu ne lâches donc jamais rien, même en vacances » ? S’exclame une amie à qui je viens d’envoyer le lien vers un précédent article de BuencaRmino.
Comment dire ? D’une part, l’été ne coïncide pas obligatoirement avec les vacances. Ou bien, il faudrait écrire vacances sans S, au singulier : LA vacance. C’est-à-dire une forme de vide. L’absence de pression, de tâches professionnelles à accomplir. Mais LES vacances ? Marguerite Duras écrivait dans les Petits chevaux de Tarquinia : « il n’y a pas de vacances à l’amour ». Comme il n’y en a pas non plus à la parentalité (laisser ses enfants en pension chez les grands-parents ne signifie pas que l’on cesse de s’en soucier, n’est-ce pas ?).
Mais pourquoi s’imposer d’écrire, quand rien n’y oblige ? Pourquoi ne pas juste lâcher prise, se détendre et profiter de ce moment privilégié ? Je pourrais me contenter de répondre « pour le plaisir », mais ce ne serait pas juste. Ecrire n’est pas toujours un plaisir, mais c’est une source de satisfaction. Certains d’entre vous savent même qu’il s’agit pour moi, souvent, d’un processus assez laborieux, dont le résultat n’est pas toujours à la hauteur du temps et de l’énergie investis.
J’écris comme d’autres courent, font leurs abdos, pour l’entraînement. Et parce que le plaisir, la possibilité du plaisir, est au bout. Sans garantie, mais suffisamment souvent pour que cela en vaille la peine. Parmi les besoins fondamentaux de l’être humain identifiés par le psychologue Abraham Malsow, il y a le besoin de s’accomplir. Or c’est dans le processus d’écriture, en posant des mots sur des sensations, en creusant des questions vagues, indécises, émergentes, que je parviens à poser quelques idées sur lesquelles je peux ensuite m’appuyer pour progresser. Cela prend parfois des années. En témoigne cette série un peu ratée sur l’observation minutieuse et la relation au monde qui nous entoure (la reine des grenouilles), la pression que l’espèce humaine fait peser sur le vivant, les offenses à la beauté. Mais il y a quelque chose d’autre. Depuis plusieurs années, j’observe que ma relation au territoire, marquée initialement par l’esthétique (je le goûtais en « consommateur ») évolue vers une prise de conscience de l’interdépendance qui nous lie au vivant. Autrefois, j’appréciais la beauté du paysage et je mettais tous mes efforts à bien le décrire. Dans un deuxième temps, j’ai tenté de partager les sensations, le fruit des méditations qu’il m’inspirait. Ce que j’ai nommé, dans un article plus ancien, d’un mot inventé : l’immergence ». (Sur ce sujet, après « la reine des grenouilles », une amie lectrice a retrouvé cet autre article, plus ancien et plus réussi : Puissance de la lenteur)
Bien sûr, on pourrait tout à fait se contenter de passer ses vacances dans de beaux endroits, de les apprécier pour ce qu’ils nous offrent, et de se détendre. On l’a bien mérité, sans doute. Or, depuis quelques années, revenant tous les ans dans certains endroits (comme la Sarthe par exemple), je ne peux m’empêcher de constater la raréfaction des oiseaux, des insectes (abeilles, papillons, et tant d’autres que je ne sais même pas nommer), des grenouilles donc, les maladies qui frappent les marronniers, les platanes et tous ces arbres si communs qu’on avait fini par les croire éternels, au moins en tant qu’espèce. Mais il faut abattre, un à un, les marronniers malades, au risque qu’ils ne tombent sur la maison du voisin. Les abeilles meurent, tous les ans, et celles qui survivent ne produisent plus rien. Le silence règne, le soir, au bord des mares, et si nous avons la chance de pouvoir encore entendre chanter des oiseaux, c’est qu’il reste encore suffisamment d’arbres pour les abriter. La déconnexion d’avec le territoire, c’est aussi se demander que faire des ordures ménagères si l’on est venu à la campagne juste pour un week-end et qu’on n’a le droit de les déposer à un certain endroit que le jeudi suivant… C’est à de telles questions que l’on prend conscience, concrètement, que quelque chose est déréglé.
Si vous avez continué à lire jusqu’ici, je crains que votre moral n’en ait pris un coup. Voilà pourquoi, cette année, les publications de BuencaRmino se font de plus en plus rares. Mon objectif n’est pas de vous désespérer, mais je ne peux pas, non plus, continuer de faire comme si tout allait bien.
L’idée que le territoire soit constitutif de notre identité, par l’accumulation de souvenirs et tout ce qui nous lie à ses anciens occupants, revient comme un leitmotiv dans BuencaRmino. Les générations passent, nous transmettent la mémoire de lieux. Nous choisissons alors de l’honorer, ou de l’ignorer. Mais nous sommes encore dans le symbolique, l’émotionnel, la culture familiale ou régionale. La question qui se pose aujourd’hui est celle des moyens de subsistance. Celle de la survie. La nôtre, pas seulement celle des espèces menacées.
L’exploit serait de tenir l’équilibre entre les deux versants de cette réalité : les joies de la connexion avec la nature, et la désolation qu’amènent les prises de conscience nécessaires. Il y a quelques jours, lors d’une randonnée dans les Alpes suisses, j’ai dû marcher sur une telle ligne de crête, étroite, entre deux à pics. Le sentier était couvert de petites pierres glissantes, obligeant les marcheurs à une vigilance extrême. Tout en regardant de très près où nous mettions le pieds, il nous arrivait aussi de lever de temps à autres la tête pour admirer la splendeur des glaciers qui s’étendaient devant nous, tout en haut. A droite, à gauche, ruisselaient d’invisibles torrents. Des marmottes cachées entre les rochers sifflaient, de temps à autre. Les randonneurs se saluaient avec beaucoup de courtoisie, se cédaient le passage, plaisantaient joyeusement. Instables et dures, les pierres du sentier m’ont rappelé la nécessité d’une présence extrême à ce que l’on est en train de faire. Ne rien lâcher, même en vacances, pour se sentir vivre avec intensité, revenir, partager. Ca vaut la peine.1202389341_1355529267BI.jpg

Les deux Génies, le prince et la grenouille


Netflix n’étant pas encore arrivé au pays des Génies, certains soirs, ils s’ennuyaient fort.

La fraîcheur venait enfin de tomber après plusieurs semaines d’une canicule intense qui avait frappé toute la Lacustrie du Nord. Le Génie des mots, penché sur l’écran d’un PC, entendit une voix impérieuse :

  • Frotte !

Il se retourna. Cela venait d’une vieille lampe à pétrole posée sur le piano derrière lui.

  • Plaît-il ?
  • Frotte donc, abruti !
  • Abruti toi-même !
  • Encodé !
  • Pétasse !
  • Polychrone !
  • Juriste !
  • On avait dit pas d’attaques personnelles ! Si tu triches à chaque fois…
  • Triche ou magie, la frontière est mince.
  • Je te rappelle que c’est moi qui suis supposé jouer avec les mots.
  • Comme tu veux, mais frotte, sinon : pan sur le bec !

Avec un peu de lassitude, le Génie des mots frotta la lampe. Un Génie bleu, luisant, souriant, déplia son corps body-buildé, puis se mit à sautiller sur un pied, la tête penchée sur le côté.

  • Qu’est-ce qu’il t’arrive ? S’étonna le Génie des mots, pourtant habitué aux manières étranges de son comparse.

Une petite goutte d’huile sortit à ce moment-là de l’oreille du Génie de la lampe.

  • C’est la vieille, elle se relâche un peu sur le ménage, avec la canicule. Alors dis-moi, tu bloques ?
  • Un peu, oui. J’aimerais venir en aide à ce blogger mais son histoire de prince et de grenouille ne m’inspire pas trop.
  • Fais-voir le titre ? Confessions d’une grenouille ? C’est une blague ?
  • Ca ne te plaît pas ?
  • C’est nul ! Est-ce qu’il n’avait pas déjà commencé quelque chose sous le titre « la reine des grenouilles » ? (https://buencarmino.com/2011/09/25/la-reine-des-grenouilles-13/)
  • Justement, ça fait déjà de longues années. Le drame, c’est que le sujet n’intéresse personne alors que ces pauvres petites bêtes sont en voie de disparition accélérée. Le journaliste du Monde qui avait écrit le premier article dédié à cette tragédie avait dû commencer par une supplication : « ne tournez pas la page » ! c’est dire si tout le monde s’en moque.
  • Ne parlons pas de moquerie. Pas encore.
  • Oui, c’est vrai. Interdit de spoiler. Tout de même tu sais bien que la disparition des petites bêtes fait pleurer cinq minutes, et puis on zappe.
  • C’est pour ça qu’il n’a pas fini son histoire ?
  • Je ne sais pas. Il y avait pourtant des répliques assez savoureuses.
  • Oui mais bon, une histoire de grenouille qui demande à un peintre de faire son portrait… c’est pas très vendeur quoi…
  • Voilà, et plus tard il s’en mord les doigts car les grenouilles ont disparu, elles n’ont pas pu lui transmettre un secret très important, qui concerne le sort de l’humanité. Il s’agissait d’éviter une catastrophe et maintenant, qu’est-ce qu’on va faire ?
  • Le truc qui me chiffonne, c’est que normalement c’est une jeune fille qui doit embrasser la grenouille et après, « bim » elle se transforme en prince non ? Ou alors la grenouille est gay ?
  • Ca y est j’ai compris, la grenouille est trans. Le sujet, c’est l’histoire d’un être délicat, sensible à la beauté, affectueux, obligé de vivre dans le corps d’une brute épaisse couverte de pustules.
  • Les grenouilles ne sont pas couvertes de pustules, tu confonds avec les crapauds.
  • Bon, alors on fait fausse route.
  • Je crois.

Long silence.

Le Génie de la lampe plissa son front bleu.

  • Reprenons au début. Il faut chercher les indices. Comme quand elle lui dit « peut-être suis-je un peu plus qu’une simple grenouille des marais»… ca doit signifier quelque chose.
  • C’est ça. En fait, il n’a pas su poser la bonne question, par manque de curiosité.
  • Grave péché, le manque de curiosité !
  • Terrible !
  • A cause du manque de curiosité des humains je suis contraint de passer des siècles et des siècles enfermé dans une lampe qui pue l’huile rancie, moi qui ai tant de merveilles à offrir.
  • C’est nul, compatit le Génie des mots. Il faudrait trouver une grenouille et l’interroger.
  • Mais où veux-tu qu’on trouve une grenouille ?
  • Eh bien, dans la chambre des enfants. Il y en a une, en peluche.
  • Tu crois qu’on arrivera à la faire parler ?
  • Dis-donc, on est les experts ou pas ? Un peu d’assertivité, mec ! Fais briller tes neurones !

En un éclair, les deux génies se transportèrent dans la chambre d’enfant où ils dénichèrent une grenouille en peluche verte, aux membres un peu mâchouillés, vaguement décousue, les doigts de pied palmés peints en rouge, une sorte de couronne jaune sur la tête.

  • Vous êtes la reine des grenouilles ? S’enquit courtoisement le Génie des mots.
  • Ben ouais mon pote, répondit d’une voix rocaillo-gouailleuse la créature mâchouillée, qui leur faisait de plus en plus penser à Marguerite Duras, ou à la célèbre éditrice Françoise Verny avec sa grosse tête sans cou enfoncée directement entre ses épaules massives. Sur qui tu pensais tomber mon chéri ? La reine des pommes ?
  • Delighted, enchanté, hurla le Génie de la lampe avec l’enthousiasme exagéré d’un personnage de Tex Avery. Lui c’est Bob le Suave, il travaille dans la communication, et moi, Boose-K, dans la fumisterie.
  • Je croyais que c’était la même chose ?
  • Pas du tout ! Lui, c’est le Génie des mots, et moi je suis dans la lampe. Littéralement, à l’intérieur de la lampe.
  • Renversant, et vous lui voulez quoi, à la reine des grenouilles ? répondit la peluche.
  • On est venus pour un petit renseignement, gloussa Bob le Suave.
  • Ca va vous coûter cher, mes agneaux. Très cher.
  • Oh come on la vieille, fais pas ta bitch, t’as passé l’âge de jouer les fucking reyna de la playa.
  • On vient t’offrir le come-back sur un plateau d’argent et tu mégotes le scénario ? Renchérit le Génie bleu.
  • Justement, mes loulous, à propos de scénario, vous voulez savoir la fin ou on la joue au poker ?
  • Ne vous moquez pas de nous, Reine. C’est pas parce qu’on est des Génies qu’on se croit plus malins que les autres.

Le visage de la grenouille se contracta en un horrible rictus. Visiblement, le coup avait porté, mais lequel ?

  • Je ne me moque pas, les bichons. Plus jamais je ne me moquerai de qui que ce soit, ni moi ni personne de ma race. Latone, ça vous dit quelque chose ?
  • Ca dépend, se hasarda le Génie de la lampe. La tonne de quoi ?
  • OK, vous n’êtes pas au parfum, répartit la Créature en fourrageant à l’intérieur de son estomac déchiré, d’où elle sortit une clé usb. Il y a une variante de l’histoire, avec une autre fin. (à suivre)

Un jardin en Touraine


A l’ombre d’un clocher quasi millénaire, penché comme celui de Combray, c’est un village cossu aux belles maisons de tuffeau clair. Une longue rue descend parmi les propriétés ceintes de murs, d’où s’échappent des parfums de lilas et de glycines. Un portail d’un bleu pâle ouvre sur un espace impressionniste, ancien verger où les herbes poussent dru, où des iris sauvages jettent des touches de mauve, où les traces de la tondeuse à gazon dessinent un malicieux labyrinthe. Des outils de jardinage abandonnés sur la terrasse invitent à la paresse. La douceur de l’air est palpable.

Deux chats règnent sur ce jardin, terreur des pigeons et des taupes. Des arbres fruitiers, des fleurs en buisson ralentissent l’écoulement du regard. Par moments, un rayon de soleil vient caresser la joue du visiteur exténué. Quelqu’un propose du café. Puis on ira marcher, rien ne presse.

Au fond de cette vallée coule une rivière animée de courants, de tourbillons, de petites bulles pétillantes. Comme dans la méditation, elles remontent à la surface et crèvent, ou se laissent entraîner vers l’aval. Une odeur familière de feuilles et d’eau imprègne ce paysage. Fraîcheur d’avril, tempérée, changeante. Une branche penchée au-dessus du courant scintille comme les gouttes de lumière dans un tableau de VerMeer. On pense à Corot, à Poussin, puis on oublie les références. Même la mélancolie se délite. Il aurait fallu venir avec un chien, ou pêcher. Lire, peut-être, mais les aphorismes de Lin-Tsi prêtés par un ami me tombent des mains. Plus tard, je l’abandonne pour Un été avec Montaigne, d’Antoine Compagnon.

Revenus sur la terrasse, nous reprenons le fil d’une très ancienne conversation. L’Asie, bien sûr, et l’amitié. Le courage qu’il faut parfois pour se dire des choses déstabilisantes, et qui font avancer. La comédie du sens, on tâtonne.

Pourquoi Montaigne s’est-il mis à écrire les Essais ? s’interroge Compagnon. Pour canaliser ses folles pensées qui courent en tous sens « comme un cheval échappé ». Ordre et désordre, dans le lieu/paysage et dans la pensée. L’écriture et le jardinage, deux manières d’apprivoiser le désordre sans chercher à le supprimer. Il en résulte un ordre vivant, comme les mouvements de l’eau dans la rivière. Ce chaos est régi par des lois, il génère l’apparition de propriétés émergentes, tout comme le choix de tondre à diverses hauteurs l’herbe du jardin nous renseigne sur les intentions du jardinier. Ou sur ses goûts.

De même, en passant de Lin-Tsi,le célèbre maître T’chan,  à Montaigne, je savoure la sagesse du philosophe qui n’affirme rien, ne propose pas de « solution », mais ne renonce pas pour autant à chercher, sinon du sens, du moins une manière supportable de vivre au milieu des turbulences. Il s’interroge : « que sais-je » ? Et sa question creuse un gouffre dans lequel disparaissent toutes les haines.

Le marron d’Hudson ou les saisons du changement


marronsLe marron, frais sorti de sa bogue, doux au toucher, lisse et d’un beau brun luisant, de quoi nous parle-t-il ? De l’automne et de ses sortilèges, de l’enfance, des promenades sous les arbres penchés, sur un tapis de feuilles colorées, où les bruits s’amortissent. On le ramasse, on le tient dans la paume de sa main pour le plaisir de goûter sa tiédeur, sa rondeur apaisante, bienveillante, amicale.

Il ne promet rien, pas même la conservation des souvenirs plaisants, encore moins le retour des beaux jours, car on sait que l’hiver approche, mais le tenir ainsi nous fait du bien. Sa discrétion rassure. C’est un ami fidèle, sur qui l’on sait pouvoir compter. Sa magie n’a rien de spectaculaire, mais elle touche à l’essentiel. Car ce beau fruit possède le pouvoir d’absorber une partie de nos chagrins, d’alléger nos craintes, et de nous ramener dans le cocon de l’instant présent.

C’est un doudou naturel, protecteur et consolateur, comme ces musiques qu’on écoute en boucle à l’adolescence, déchirés par la nécessité d’aimer et de grandir, de rupture en rupture.

Il y a de la joie dans sa manière de refléter la lumière. Il l’enrichit d’une tonalité généreuse, synonyme d’abondance et de satiété. Grâce à lui, l’automne devient une saison de la résilience, un temps de récolte où la vie révèle de nouveaux accords, plus riches, plus complexes et plus variés que ceux des saisons pleines. Les concerti pour mandoline, de Vivaldi, font merveilleusement chatoyer ces sonorités délicates, soleils de fin d’après-midi passant à travers des feuillages ou multipliés dans le courant d’une rivière.

Le coach Hudson, au beau nom de fleuve nord-américain, a formalisé dans sa théorie du changement la métaphore des quatre saisons comme cycle du renouvellement, que précèdent le tri, l’abandon, la germination. Rien ne sert de vouloir accélérer le processus. Chaque étape est nécessaire.

Le marron, dans sa complétude, nous renvoie quelque chose de nous-mêmes. Il nous dit que nous possédons les ressources et le talent nécessaires pour rebondir, quand le moment sera venu. Mais il nous donne aussi l’autorisation de prendre un temps de repos, un temps pour soi. Ce besoin de confort, d’intériorité, parfois stigmatisé comme une tendance à l’égoïsme, écoutons-le. Ne craignons pas le silence, l’immobilité : c’est le terreau dans lequel germinent les projets les plus audacieux. Dans ces moments-là, soyons de bons compagnons pour nous-mêmes. Apprenons à apprécier ce qui est là, comme on passe un chiffon imbibé de cire sur des meubles en bois pour accentuer leur luisant.

Ce marron, recueilli dans une forêt de France, évoque aussi pour moi l’Amérique du nord, des envies de voyages, et de très belles conversations. Que vous dit-il ?

 

Le retour à la ville (les pompiers, la guêpe et les Pokemon)


Si vous lisez cette chronique en ce moment, c’est que vous êtes encore en vacances, ou que vous aimeriez y être encore. Ce serait chouette, évidemment, de pouvoir être toujours en vacances.

Prendre son temps, vivre la saison pleinement, dans un environnement sensoriel riche, entouré de gens qu’on aime. Tâter des orteils le sable tiède, humer l’odeur de noisettes d’un sentier de rando, se donner à fond en kayak ou sur une planche de surf.

Ou rentrer. Mener à bien des projets, faire des rencontres stimulantes, exercer ses talents à réaliser quelque chose d’utile. Concrétiser ses utopies.

Voir plus large, seul ou à plusieurs.

« Utiliser avec audace des lieux temporairement inoccupés, accueillir des personnes démunies, des associations et entreprises solidaires ». Transformer un ex-hôpital en jardin, rucher, espace de coworking, centre d’hébergement pour migrants et mineurs en danger, scouts espagnols en uniforme beige avec foulard bien proprement roulé, bricoleurs et autres fêtards occasionnels : idée géniale, vibrante et fertile. Provocante, à l’image du parapluie rouge accroché à l’entrée de la Lingerie, aux Grands Voisins (www.lesgrandsvoisins.org).  De l’autre côté du mur, la Fondation Cartier propose jusqu’à la mi-décembre une exposition sur « le grand orchestre des animaux ». (lien ici) d’après le travail de Bernie Krause, musicien et bioacousticien américain. « une invitation à une méditation qui nous replace au cœur de tous les habitants et de toutes les espèces vivant sur notre planète ». (lien ici)

Assisterions-nous au grand retour de la nature dans la ville ? A la constitution d’un territoire expérimental, provisoire, ancrage de futurs souvenirs mémorables? Il y aurait là de quoi adoucir la peine de toutes celles et tous ceux pour qui les vacances représentent une occasion de renouer le contact avec les espaces naturels, les animaux, les plantes. Pour ces amateurs de découvertes et d’oxygène, le retour en ville évoque une plongée dans un monde stérile, asphyxiant d’un point de vue esthétique, relationnel et sensoriel.

Commentateur et lecteur assidu, l’ami M… s’enthousiasme pour la perméaculture et ce qu’il perçoit comme un mouvement de retour à la terre. Plus précisément, il faudrait évoquer un retour de la terre, ou de l’agricole, dans la ville. Autrefois, cela n’avait rien d’exceptionnel, et l’auteur de ces lignes se souvient d’avoir entendu chanter le dernier coq rue Notre-Dame des Champs. Des voisins nous ont raconté qu’on y trayait encore des vaches au début des années soixante.

Pour autant, la cohabitation ne va pas de soi. Les diverses populations se croisent plus qu’elles ne se rencontrent. Les contacts se limitent à un match de foot, un coup de main pour bricoler. L’apiculteur (Miel de Quartier) explique aux résidents africains qu’ils n’ont rien à craindre des abeilles, les musiques se mélangent plus que les humains. Au moins, on n’y bouscule pas violemment une personne convalescente, vulnérable et visiblement peu sûre d’elle, sous prétexte de chercher des Pokémon, comme on a pu le voir au parc de la Villette, avant de leur hurler que « quand on est handicapé, on reste chez soi ». Douceur bobo contre nouvelle sauvagerie digitale. Choisir son camp : je préfère boire de bières au gingembre avec des bobos que courir avec des crétins. La cohabitation avec les guêpes installées dans une botte de paille se révèle plus difficile, mais les jeunes campeuses espagnoles semblent beaucoup apprécier l’intervention des beaux pompiers français musclés, bronzés,équipés d’un casque de Darth Vador blanc contre les piqûres.   Le dialogue s’établit facilement.

En un mot, le pari n’est pas encore gagné, mais l’important est que cela se passe aujourd’hui, en plein cœur de la capitale, dans un quartier chic et non dans l’une de ces friches coincées entre deux voies de chemin de fer ou au bord du périphérique.

Allez-y, rencontrez les porteurs de projets et les résidents : cela vous fera un bol d’air, et cela pourrait même vous donner des idées.

 

Saison de l’écoute


Mais que c’est beau, l’automne. Cette année peut-être encore plus. Ecouter comme on respire, comme on boit. Il y a de la poésie dans l’air. Ce matin le vent venu de la Normandie jette une pluie de feuilles jaunes à travers la rue soudain calme, enrichie de tout cet or. Je jurerais sentir une odeur de pommes.

BuencaRmino

Au départ, la cendre et le cri
On n’y coupe pas, le frémissement contenu
Les arbres nus comme des bronches
Pour capturer le bleu du ciel

La cascade  sous l’écorce
Et la floraison tremble :
Toute une fourmilière
Courant sur les branches
Une chanson mûrissant
Jusqu’à la plénitude du fruit

Le vieil or tombe en octobre
Avec un bruit blet
On cherche alors le goût
De la sève, on l’a
Sur le bout de la langue,
Et puis trois petites pommes rouges qu’on interroge
Une idée perce

Après, tout recommence


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Rando-logie fin des vacances


Cette petite chronique estivale se termine en images.

Une fois par an, plus souvent si possible, le corps et l’âme ont besoin d’aller respirer l’air des cimes.

A Nayes 4

Du lac Léman aux rochers de la Naye, un petit train à crémaillère, bien nommé « le train du chocolat », emmène les randonneurs de toutes les nationalités vers les alpages. De là, chacun choisit son itinéraire en fonction de sa forme physique et de son temps. Sommets, torrents, sapins, fleurs, les ingrédients habituels sont au rendez-vous.

Dès que l’on s’éloigne un peu du sommet le plus visité, la montagne est déserte, ou presque. De loin en loin, le son des cloches nous rappelle que nous sommes sur le territoire des vaches. Par chance, il fera bleu presque jusqu’au bout. Disons même : céruléen. Un endroit merveilleux pour organiser une chasse aux œufs de Pâques.

Pas de grandes envolées lyriques : marcher, c’est poser un pied devant l’autre, et recommencer.

Un randonneur coréen ne cesse de répéter « magnificent, magnificent ». Pour la peine, on lui propose de le prendre en photo.

C’est la fin des vacances, on vous souhaite bon courage et bonne rentrée.

Léman Montreux 3Léman Montreux 5

Naye 1

La carte le territoire et le GPS (1/3)


Oser sa vie : bien sûr. Buencarmino, dès le début, souscrit à cet objectif ambitieux, et se propose d’encourager quiconque se met en chemin. La PNL est un outil formidable pour cela, à condition d’être pratiquée avec discernement et bienveillance. Catherine Cudicio, dans le Grand Livre de la PNL, donne cette définition : « la PNL, utilisée pour le développement personnel, aide l’individu à réaligner sa carte du monde en fonction des buts choisis. En effet, ce ne sont pas tant les difficultés réelles qui tendent à empêcher d’atteindre un objectif, mais bien davantage la représentation de celles-ci ». En plus sobre, version Sénèque, cela donne : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». Autrement dit, la représentation que nous nous faisons de la difficulté, qui est une croyance (la carte), serait un obstacle souvent plus effrayant que la réalité « objective » (le territoire).

Oui mais… le coach, dans sa pratique, doit à ses clients de les accompagner avec bienveillance, selon la règle des 3P : Permission, Protection, et Puissance. Or le souci de la Protection incite à ne pas exposer son client à des dangers ou à des obstacles hors de sa portée. Devenir chirurgien ou un grand violoniste, passé un certain âge, n’est sans doute pas une ambition très réaliste. Le coach doit alors accompagner son client, l’aider à détecter les besoins, les centres d’intérêt sous-jacents à cette ambition pour le réorienter vers des activités permettant de satisfaire ses besoins, de nourrir ses intérêts, d’honorer ses valeurs. En somme, il doit l’aider à trouver un territoire où investir son énergie et ses talents. Pour le dire en langage d’aujourd’hui : avant d’allumer le GPS, il convient de bien choisir sa destination.

Illustration : carte de l’île de Ré.Image

La Fontaine, les grenouilles et les deux égéries


Légendes sarthoises.

Au bord de la douve, un héron cendré se rejoue La Fontaine en cherchant des grenouilles. Dès la nuit tombée, lapins, renards, blaireaux, chouettes et chevreuils prennent possession des lieux. Nous les suivons, fascinés, de fenêtre en fenêtre, toutes lumières éteintes, écoutant le chant des grillons, la respiration des animaux dans la prairie, en attendant de voir se lever les premières étoiles.

Se souvenir du regard de l’enfant qui voit sa première étoile filante

Les grenouille sisters nous font leur concert pour fêter l’ouverture de l’été. Je danse avec mes deux égéries qui m’entraînent, de la terre aux étoiles and back. Je pense à vous.

(Dimanche 31)