Le voleur de téléphone 


Mardi soir

S’éloignant de Paris, le petit train se vidait de ses passagers, gare après gare. On entrait dans un paysage de contes, apaisé, verdoyant, où le temps s’écoulait sans heurt et sans pression. Comme un plongeur quittant l’agitation de la surface et les courants, on descendait peu à peu vers des profondeurs tranquilles.  Les souvenirs d’enfance affleuraient, l’insouciance, la douceur espérées gagnaient le corps et l’esprit détendus. Un dernier mail à envoyer, l’esprit se tournait déjà vers les proches, la famille.

Jusqu’à l’avant-dernière gare. Le train s’arrête, les portes s’ouvrent. Dans le couloir, une ombre arrive en courant par derrière, arrache mon téléphone. On se débat, le prédateur me projette en avant, s’enfuit tandis que je pars à la recherche de mes lunettes tombées sur la voie. Rien à faire, il est loin. Colère, frustration, désespoir. L’insouciance de tout à l’heure nourrit désormais un sentiment de culpabilité. Repousser l’image de cette ombre noire, toxique, obsédante, qui ne cesse de passer comme un film en boucle. La rage monte et descend, par vagues. Le viol du train m’affecte plus que le vol de l’objet. La sérénité perdue, peut-être à jamais, d’un territoire où je me croyais en sécurité. Comment recréer la bulle ? Comment faire pour éviter que le souvenir de l’agression n’imprègne désormais le petit train de sinistres appréhensions ? Comment protéger de la contamination la campagne où je me rendais, territoire du bonheur à défendre à tout prix ? Si je perds ce dernier refuge, si cet axe sort de ses gonds, le monde entier part à la dérive.

 

Mercredi

Avec des exercices de PNL je parviens à rétrécir, éloigner, déformer l’image intruse. Jouant des sous-modalités comme un chef opérateur maîtrisant sa focale, je la modifie, l’éclaircis, l’enrichis de détails ridicules. Le voleur se trouve affublé d’un chapeau de bouffon multicolore à grelots comme un humoriste à l’affiche dans le métro,  mais lorsque l’esprit s’apaise enfin, le corps se manifeste et la douleur pointe. Le seul remède consiste à se plonger dans l’action : gendarmerie, plainte, assurance, démarches …  

 

Jeudi matin

Les douze coups de midi sonnent à l’horloge du village. Une première fois, puis le rappel. Leur sonorité ronde apportée par le vent jusqu’à ma fenêtre a fait le plein de soleil en traversant le parc, et me réconforte. D’horribles images s’estompent, se dissipent. Ouvrir et respirer le parfum qui monte. La verticale du temps s’emboîte à nouveau dans l’espace : il y a de l‘ordre à nouveau dans le monde. La possibilité d’un ordre.  La paix violée, l’harmonie disloquée retrouvent un territoire. On peut s’abandonner à cela, fondre en ce lieu réel ou symbolique. On peut même le reconstruire à volonté, dans l’imagination, puisqu’on en connaît désormais le plan. Cet ordre est bien meilleur que l’éternité, puisqu’il inclut la vie. Le message est clair : c’est le son qu’il faut capturer, la sensation pure. En elle, tout peut naître à nouveau. Ce trésor toujours disponible, inviolable, est à portée de main, à portée d’oreille et de respiration. La vie est là. Frémissante. A saisir. La vie palpite, malléable et docile : à nous de lui donner forme et direction, d’imprimer le rythme des mots, la force et la couleur des émotions, la rigueur des idées. Pour cela, nous avons des mots libres, qui n’appartiennent à personne.  Nous avons le plan du refuge, et la clé. Nous avons ce pouvoir, immense et merveilleux. Rien n’est volé, rien n’est perdu. Ceux qui aiment la vie reprendront le train.

 

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Une réponse à “Le voleur de téléphone 

  1. Face a ce geste d’une grande violence, et par-delà toutes les méthodes, je propose un programme de rémission tournée vers l’attaque :

    1- raconter dans le détail son histoire au commissariat lors du dépôt de la plainte. En rajouter, pour se faire plaisir. Ne pas hésiter à pleurer, surjouer la douleur.

    2- se faire une image précise, autant que possible, du visage de l’agresseur. Dessiner son image au réel ou dans sa tête. Lui trouver un surnom.

    3- coller son image sur un tableau de fléchettes, et jouer aux fléchettes dessus abondamment pendant plusieurs jours en criant son surnom accompagné de quolibets et injures en tout genre. Version alternative avec l’image virtuelle : jouer au tennis/golf et frapper dans la balle comme si on frappait dans sa tête en criant quolibets et injures.

    5- enfin et dernier volet, racheter un appareil encore mieux que celui dérobé.

    Tout ceci sur quelques jours, apporte un certain réconfort, de la compassion pour le pauvre type ayant commis le crime, et du plaisir et de la récompense à l’avoir subi avec droiture et vaillance.

    Par ailleurs, que mes pensées bienveillantes t’accompagnent dans ce périple de récupération psychique.

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