La colère est une énergie comme une autre, mais plus dense, plus lourde, et plus difficile à gérer. L’important, c’est la forme et la direction qu’on lui donne.
On peut la laisser bouillir sous le couvercle, à petit feu, la contenir un temps, la laisser refroidir ou choisir au contraire de lui donner libre cours. Elle peut alors prendre la forme d’une giclée de lave, d’une éruption solaire, d’un camion fou lancé sur l’autoroute ou d’une bombe à fragmentation. Mais ce camion, qui le pilote? Qui voulons-nous punir? Nous-même? Les autres? Le Monde, ou le Destin?
Le simple fait de clarifier nos intentions transforme cette énergie, lui donne un sens, une impulsion plus réfléchie. Le torrent, sans rien perdre de sa puissance initiale, peut alors devenir un fleuve majestueux sur lequel nous prendrons plaisir à naviguer. Si ce qui motivait la colère était au départ un sentiment d’injustice, nous mettrons désormais tous nos efforts à la réparer, ou à l’empêcher de se reproduire. Il se peut même qu’en résulte un sentiment d’harmonie, tandis que chercher à obtenir vengeance ne nous aurait procuré qu’un mieux-être éphémère. Rétablir la communication avec une personne dont nous pensions qu’elle nous avait offensés, réussir à exprimer un besoin, notre point de vue : tout cela, finalement, nous fait un bien plus durable que la rumination ou l’explosion incontrôlée. Mais pour que cela fonctionne, il faut tout d’abord autoriser, je dirais même savourer le ressenti de la colère dans toute son intensité. Le fleuve ne remontera pas vers la source : accordons-lui la gloire d’atteindre son estuaire.
Pour le dire autrement, il y a des colères qui nous emprisonnent, et d’autres qui libèrent. Laisser vivre et grandir cette émotion, sans nous laisser dominer par elle, nous donne une chance de connaître un sentiment de bonheur paradoxal, inattendu, très intense, et très personnel. Il y a dans cette victoire quelque chose d’un exploit sportif, la joie de l’accomplissement dans la maîtrise. Cette énergie, prenons-là comme un ballon qui cherche un but. Et marquons.
« Pourquoi ne pas la faire mûrir dans sa cave, comme un bon vin » … hum, cela s’appelle une proposition qui ne se refuse pas … Il y a des « héros » qui mettent une vie entière à réparer des « injustices » ou qui font de la colère un moteur de leur action ans le monde, et c’est très bien, pourvu qu’à la fin les arômes s’équilibrent et s’affinent. Mûrir, c’est construire.
avec plaisir pour la proposition, à l’occasion d’un moment à organiser !
M
De la colère naisse des crises, des crises des changements, des changements des améliorations de vie, rajouterais-je.
Mais si toute colère n’est pas bonne comme vous le dites plus haut, qu’en est-il de ces colères sourdes, profondes, qui se terrent au fond de soi, se transforment en hargne ou rage de vivre. Des colères qui durent des années.
Naguère, j’avais un tee-shirt que j’aimais beaucoup. L’image imprimée dessus représentait un jeune homme, tranquille, une longue paille entre les lèvres, un sourire esquissé, un peu narquois peut-être. Une phrase encadrée l’image : la rage de vivre ! J’aime donc cette colère tapie au fond de soi. Elle s’écoule tous les jours un peu, se façonne au contact des épreuves de vie, s’enrichie des expériences quotidiennes, pour finir par permettre l’expression, avec passion en engagement, de toutes les injustices et pesantes frustrations ?
Une rage de vivre, avec toute la haine que cela comporte !
J’aime cette colère là, davantage que l’autre, plus impulsive, plus engageante parfois physiquement. Alors pourquoi ne pas enfouir er refouler parfois la colère de l’instant, pour la faire mûrir à l’intérieur de son être, à la façon d’un vin dans sa cave ?
M