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La voie de l’aigle (suite)


La voie de l’aigle, bien sûr, c’est aussi celle du courage. Mais qu’est-ce que le courage dans le monde compliqué, brutal, imprévisible où nous vivons ?

Paradoxe : et si le courage commençait par une forme d’humilité ? L’aigle ne s’élève pas contre les courants ascendants : il les trouve, et s’élève avec eux. L’humilité face au réel, lorsqu’elle se combine avec une farouche détermination à tenir son cap, assure le succès dans l’économie d’énergie. Les ingénieurs appellent cela l’efficience, on pourrait aussi parler de capacité à s’adapter, de débrouillardise. Tous ces mots me plaisent bien. Ils montrent la diversité des stratégies que nous inventons pour survivre et rebondir face à l’adversité.

Car l’adversité fait partie du programme. C’est ce que l’on nous répète avec une décourageante régularité, comme s’il n’y avait pas de mérite à réussir sans effort. L’aigle, pourtant, n’a pas la folie de voler contre le vent. Il s’appuie au contraire sur lui, s’en fait un allié. Et je crois même qu’il joue, qu’il danse avec le vent. Je crois qu’il éprouve du plaisir à tournoyer, là-haut, dans les courants, et qui sait s’il ne lui arrive pas même parfois de rire, là-haut, tout là-haut dans les cimes.

Sa voie d’excellence est dans sa virtuosité à capter les spirales ascendantes, à saisir et interpréter les moindres signaux de l’atmosphère, puis à régler sa trajectoire dans l’espace du possible.

Mais où est le courage dans tout cela, me demanderez-vous ? L’aigle ne fait-il pas qu’appliquer des tactiques de survie pour se nourrir ? Et s’adapter face à l’aspérité du réel, n’est-ce pas ce que nous faisons tous les jours ? Où est l’exploit ?

Bien malin qui saurait répondre à la place des aigles mais pour nous, les humains, la virtuosité ne saurait suffire. Elle doit être accompagnée d’une solide éthique, ancrée dans des principes transparents, évolutive et pratique.

Ce qui distingue le courage du simple instinct de survie, c’est qu’il s’appuie sur des valeurs. Comme l’aigle, nous avons besoin de trouver et tenir notre cap, et les valeurs sont nos courants porteurs. Altruisme ou loyauté, sens du devoir ou passion pour la beauté, la justice, la liberté : c’est dans ces concepts en apparence abstraits que nous puisons l’énergie de nous dépasser, de prendre des risques ou tout simplement de chercher à nous améliorer, jour après jour.

Ethique et virtuosité : que l’une des deux vienne à manquer, c’est le crash. L’alliance des deux constitue la voie de l’aigle, animée par une éthique d’apprentissage. (à suivre).

Troisième et dernière partie :

Et si nous étions amenés à changer régulièrement de système de valeurs? Cela ferait-il de nous des girouettes, des alliés peu fiables, inconsistants, ou des êtres évolutifs, capables de nous adapter aux changements qui se produisent dans nos conditions d’existence ? Sommes-nous portés par des motivations identiques à vingt, quarante ou soixante ans ? En début et en fin de carrière, lorsque nous avons fait nos preuves et que nous aspirons à laisser une trace pas trop moche de notre passage sur la terre ?

A chaque vol, l’aigle s’améliore, approfondit sa connaissance de son environnement et de ses dynamiques invisibles. Transposé dans notre vie quotidienne, concrètement, cela signifie porter toute notre attention sur les opportunités d’apprentissage, même et surtout lorsque c’est difficile, lorsque cela nous met provisoirement en situation d’échec ou juste lorsque cela prend du temps et consomme de l’énergie.

Echouer fait mal à l’ego, mais c’est la voie. Pour pouvoir nous élever, pour concrétiser nos plus hautes aspirations, nous devons tout d’abord nous alléger. Or c’est du courage qu’il nous faut pour désapprendre, pour nous séparer de nos anciennes croyances, de nos anciennes façons de faire et même de nos peurs devenues, avec l’habitude, enveloppantes et douces comme un vieux pull.

Dans l’article précédent j’évoquais ce mouvement des yeux que nous pouvons faire vers le haut à droite pour nous reconnecter instantanément à nos images inspirantes, (celles qui concrétisent visuellement nos valeurs). A peine les avons-nous trouvées que notre dos se redresse, nous respirons plus librement, avec plus d’amplitude. Notre corps a trouvé ses courants porteurs.

Allier l’éthique et la virtuosité, la vue globale et le détail concret,

C’est la voie, brûlante, exaltante, et parfois risquée que nous montre l’aigle.

Balancez (tous) les porcs


Promenade hier soir avec un ami coach fraîchement arrivé à Paris. Tandis que nous marchons le long des grilles du Luxembourg, il se réjouit de la libération de la parole sur le harcèlement sexuel entraînée par l’affaire Weinstein. Alors que nous quittons les masses sombres du jardin pour nous diriger vers la Seine, il me demande : « penses-tu que cette prise de parole va s’élargir à d’autre formes de maltraitance, comme le harcèlement au travail ? » J’avoue que je n’y avais pas pensé. La plupart des articles que je lis sur ce sujet ne manquent pas de souligner que ces faits se produisent le plus souvent sur le lieu de travail, où les victimes (et les témoins) risquent leur carrière lorsqu’elles osent dénoncer leurs agresseurs. La peur du chômage, la sidération, la pression sociale jouent à fond contre la parole, et c’est précisément ce qui est en train de changer, on l’espère durablement.

C’est déjà une très bonne chose en soi. Ne sous-estimons pas le courage qu’il faut à celles qui osent enfin dénoncer l’inacceptable. Mais il y a plus. La question de mon ami pointait vers le pouvoir et son (mauvais) usage par ceux qui en sont les détenteurs, dans un contexte économique et sociétal marqué par la peur.  Qui sont les porcs, et qu’est-ce qui, dans leur environnement professionnel et culturel, les amène à croire qu’ils peuvent s’autoriser ces comportements d’une violence inadmissible ?

La plupart des personnes avec qui j’échange sur ce sujet, coachs, formateurs, professionnels du recrutement et des RH, s’accordent sur le fait que la crise économique et le sentiment de précarité n’ont fait que renforcer le système de pouvoir pyramidal et le sentiment de toute puissance que certains puisent dans leur statut hiérarchique. Le harcèlement moral, si difficile à prouver devant un juge, le burnout, les abus de toutes sortes sont devenus monnaie courante. Chaque fois que j’anime une formation ou un atelier pour plus de dix personnes, je peux être sûr qu’au moins l’une d’entre elles est en butte aux menées d’un ou de plusieurs pervers narcissiques. La proportion est encore plus élevée dans le coaching individuel. Plusieurs fois, j’ai dû faire remonter des alertes aux Risques Psycho-Sociaux, suscitant la gêne de mes interlocuteurs. A chaque fois, j’ai souligné qu’il s’agissait d’une obligation légale, et qu’ils risqueraient plus (légalement) à étouffer l’affaire plutôt qu’à la traiter.

Ce qui nous ramène à la question de mon ami : peut-on espérer une libération de la parole plus vaste, élargie à toutes les situations de harcèlement, à tous les abus de pouvoir, à toutes les formes de maltraitance en entreprise, dans les administrations et même, on le sait désormais, au sein de certaines grandes organisations humanitaires ?

N’est-il pas paradoxal que ces comportements perdurent, et même s’amplifient, dans un contexte où les nouvelles formes d’organisation (agilité, sociocratie, entreprise libérée) vont toutes dans le sens d’une répartition moins hiérarchique du pouvoir, où la Génération Y apparaît fortement demandeuse d’un autre rapport au travail, où la transparence amplifiée par les réseaux sociaux devrait rendre illusoire la croyance en une impunité durable ?

Car c’est de cela qu’il s’agit. De la fin de l’impunité. La vague «# balancetonporc » qui ne cesse de s’amplifier et de se renforcer apporte l’espoir que la peur, enfin, change de camp.

Mais cela ne suffira pas. L’agression, sous toutes ses formes, continuera tant qu’une réflexion de fond sur le pouvoir et ses dérives n’aura pas lieu. Concrètement, cela passera par des dispositifs d’alerte anonymes, par la démonstration que les harceleurs seront dénoncés et que de véritables sanctions seront prises, même à l’encontre de managers soi-disant indispensables à l’entreprise. On n’en est pas là, mais le mouvement a peut-être, enfin, commencé.  L’enjeu n’est rien moins de de créer une nouvelle culture, sociétale et managériale.

Qu’en pensez-vous?

Ce qui nous rend plus forts


Chers lecteurs, chers happy few,

Tout d’abord, merci pour votre fidélité. Vous n’êtes pas très nombreux, mais votre lecture attentive et vos commentaires suffisent à entretenir la flamme.

Pardonnez la tonalité de cette chronique, sombre et combative. Les temps sont durs. On n’en est plus à donner des conseils pour réussir son début d’année, ni même à formuler des vœux. Si vous cherchez du rose bonbon, revenez dans quelques jours ou dans quelques semaines, ou lisez ce qui suit lorsque vous aurez le cœur aguerri. Entre la boxe et les bisous, difficile de tenir le juste milieu.

Il paraît que, depuis « Charlie », nous sommes devenus plus forts, plus endurants. Nous aurions développé des capacités de résilience face à l’adversité. Mais nous sommes aussi devenus plus durs, notamment envers les plus faibles, ceux que la société rejette parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils nous renvoient l’image d’une vulnérabilité qui nous fait peur. Des sociologues ont même créé le terme « pauvrophobie » pour évoquer ce phénomène. Cela ne nous honore pas.

Il y a quelques jours, l’humoriste Nicole Ferroni établissait un parallèle entre les valeurs chrétiennes et le traitement réservé par certaines communes de France aux réfugiés syriens. N’est-il pas étrange en effet de voir ceux qui se réclament ostensiblement de ces valeurs les contredire dans leur refus d’accueillir des familles forcées de fuir la guerre qui a dévasté leur pays ? Score à date : Jésus : 3, Ciotti : 0.

Ici-même, le sujet avait été abordé en 2011 (déjà !) sous le thème du « repos pendant la fuite en Egypte » (lien). S’il devait traiter le sujet aujourd’hui, le peintre devrait représenter la Sainte Famille  en migrants affublés de gilets de sauvetage orange fluo plutôt qu’en jolis drapés Renaissance. Pour le bœuf et l’âne, un rafiot en train de couler, avec des pointes de clous tournées vers l’intérieur, offrirait une représentation cruelle, mais réaliste, de la scène à faire. Imaginons Saint Joseph et la Vierge Marie débarquant sur nos côtes, les pieds en sang, affamés, trempés, grelottants.

Que pouvons-nous faire ? Ouvrir nos cœurs, déjà, et nous rappeler d’où nous venons. Accorder un regard, et peut-être un Euro, au SDF qui nous casse les oreilles dans le métro avec sa complainte usée. Ce n’est pas par paresse de se laver qu’il sent mauvais, et sa voix éraillée n’est pas plus désagréable que celle de Cécile Duflot.

Le but de cette chronique n’étant pas de distribuer des leçons de morale, la question qui nous intéresse est celle-ci : comment tenir le juste équilibre entre la force et la compassion ?

Il ne s’agit pas de choisir entre le pessimisme et l’optimisme, entre l’angélisme et la méfiance, mais plutôt d’identifier et de mobiliser ce que les coachs appellent des ressources, et les peintres : des points d’appui.

Un article américain (lien) évoquait le sujet récemment, sous le titre « how to develop mental toughness ». J’ai hésité sur la traduction du mot « toughness » : comment développer de l’endurance ? De la force mentale ? Plus que la résilience, en effet, ce qui m’intéresse, c’est la capacité de s’ouvrir au monde et d’en absorber les chocs, sans renoncer à notre sensibilité et à ce qui fait de nous des êtres humains complets, sinon accomplis.

Je vous donne le lien ici, et j’y reviendrai dès que j’aurai le temps de développer le sujet.

En attendant, je vous souhaite de développer de la force et de l’endurance, mais aussi beaucoup de tendresse, en cette nouvelle année qui va secouer fort. Qu’elle révèle les talents cachés, la grandeur, la générosité qui ne demandent qu’à s’épanouir. Et n’oubliez-pas : soyez bien entourés.

PS : un mot, bien sûr, à propos d’Istanbul. Cette ville que je ne connais pas encore, et dont l’histoire me fascine, tout comme sa position à cheval sur l’Europe et l’Asie, cette ville est aujourd’hui meurtrie par un nouvel attentat, et j’aimerais apporter toute mon empathie et tout mon soutien à ses habitants. Mais puisqu’on parle de la Turquie, je ne peux pas m’abstenir de citer l’écrivaine Asli Erdogan, dont la résistance face à l’oppression est une leçon de courage pour tous. Et je mentionnerai cette autre écrivaine, Elif Shafak, pour son merveilleux « la bâtarde d’Istanbul ».

Sa voix nous accompagnera


Nicole de Chancey nous a quittés le 14 juillet. D’origine belge, elle a choisi le jour de la fête nationale des français pour s’éclipser, discrètement, avec un clin d’œil malicieux bien dans son style.

Comment vous parler de Nicole ? Un petit bout de femme rousse, élégante, nez et voix pointus. Des mots clairs, précis, alignés sur le fil de sa pensée comme des hirondelles prêtes à s’envoler, perdant d’ailleurs parfois ce fil et revenant se poser après un petit tour dans le bleu du ciel. Des gestes posés, réfléchis, pour souligner ses phrases ou pour se recentrer. Une présence. Je l’avais dessinée au stylo bille, dans mon « cahier de pnl », un jour où la discussion traînait en longueur. Sa patience avait des limites : il était dans son rôle de nous responsabiliser, lorsque les questions dissimulaient de plus en plus mal la peur de se jeter à l’eau.   Après tout, nous n’étions pas là pour argumenter sur les diverses théories du coaching, mais pour apprendre à le pratiquer. L’une de ses métaphores préférées l’illustrait à merveille : « ça doit rentrer dans les muscles », disait-elle souvent, pour bien ancrer la dimension corporelle qui rapprochait le coaching de ses origines sportives.

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Liberté


Curieux que ce mot de Liberté ne soit jamais encore apparu sur ce site ouvert à toutes celles et tous ceux qui désirent se mettre en mouvement.

Liberté de commencer.

D’écarter les appréhensions, les doutes.

Passer à l’action.

Ne viser que le plaisir de faire, sans même savoir avec certitude si le succès sera au rendez-vous.

Goûter ce sentiment qui s’épanouit, sur le bout de la langue : un goût de quelque chose qui bouge.

Etre le moment, l’étincelle, féconder l’instant.

Choisir de donner du sens, d’apporter la lumière où il n’y avait rien.

Sentir, autour de soi, la présence de toutes celles et tous ceux qui nous encouragent: des amis, des modèles, héros imaginaires ou bien réels.

Encore Cynthia Fleury : « nul besoin pour le courageux d’espérer trouver l’instant gracieux. La volonté de le provoquer lui suffit » (La fin du courage, p.96).

Et, plus haut : « tout peut devenir occasion pour une conscience en verve capable de féconder le hasard et de le rendre opérant » (p.95).

C’est ainsi que l’on devient libre, en exerçant son pouvoir de lancer le dé sur la table, en riant – ou bien la gorge nouée d’angoisse. Lèvres tordues. Mais quand même.

Celui qui commence attire la lumière – et les obstacles.

Ils viendront, c’est certain.

C’est là que nous aurons besoin du second courage : le courage de continuer.

 

Message envoyé à mes nièces et à mes neveux


Dimanche 11 janvier 2015, 10h30 du matin.

Il se passe en ce moment dans notre pays quelque chose d’historique, comme il en arrive seulement une ou deux fois par siècle. Vous vous demandez sans doute, comme tout le monde, quel sens donner à ces événements tragiques qui nous ont secoués si profondément. Je pense beaucoup à vous, où que vous soyez, et je me souviens combien c’est difficile de vivre de tels moments quand on est loin. Je me souviens de 2005, lorsque je voyais mon pays brûler au loin, depuis mon écran de télé, à Manille. Dans ces moments, il faut résister à la colère et chercher quelque chose de plus profond en soi, quelque chose qui nous rassemble et qui permet de vivre ensemble.

Tout à l’heure, comme des centaines de milliers, peut-être un million de français, avec leurs amis venus de tous les pays, j’irai marcher. Je ne marcherai pas contre, mais POUR. Pour la liberté d’expression, pour la fraternité, pour donner un sens à ce moment d’unité dans la diversité. Je marcherai pour poser des limites à la haine, à la violence, à l’intolérance et à toutes les discriminations. Sur France Info, la philosophe Cynthia Fleury vient de dire que nous assistons au premier événement, historique, de la France mondialisée.  Nous assistons à la naissance de la Génération Charlie. Ce que signifie cette expression n’est pas encore  écrit : ce sens, il nous appartient de le construire. Ce monde qui vient, c’est celui dans lequel vous habiterez, vous et vos enfants. Il se construit sur nos actes et sur nos choix, mais aussi sur nos absences d’actes et nos absences de choix. Vous le continuerez lorsque nous ne serons plus là. C’est une responsabilité que nous partageons. Quelle sera la place de la liberté, dans ce monde qui vient ? Quelle place pour la diversité ? Est-ce que chacun pourra vivre comme il l’entend, à sa manière, dans le respect des autres ?

Il y a du travail, ça ne se fera pas tout seul. Ainsi cet extrait d’un témoignage de mon amie C.M, que je publierai en entier demain ici-même : « Connaître l’autre, partager sa culture et la nôtre, éduquer les enfants à la tolérance, donner une chance aux plus pauvres, fabriquer de la justice sociale et de la justice tout court. Mais tout autant, condamner et sanctionner sans restriction tous ceux qui font leur beurre de la radicalisation, du retour aux heures les plus sombres de l’obscurantisme en fanatisant sans peine les plus faibles. »

Ces derniers jours,  la presse a publié le témoignage de professeurs qui racontaient les difficultés qu’ils éprouvaient à parler des événements tragiques de ces derniers jours avec leurs élèves. Ces élèves, il faut les entendre avec respect, avec plus que jamais le sens de la fraternité. Il faut les amener dans la conversation générale, et construire avec eux, sans chercher à leur imposer tel ou tel point de vue. On parlera beaucoup de laïcité dans la presse. La laïcité, cela ne signifie pas d’interdire toutes les croyances, mais de les permettre toutes.  On doit pouvoir parler de tout, sans peur, et je vous  y encourage. J’étais à l’île Maurice au mois d’août, ils y arrivent très bien. Pourquoi pas nous ?

Nous avons la chance de former une belle famille, aimante et diverse, une famille dans laquelle chacune et chacun trouve sa place. Des catholiques, des musulmans, des athées, une bouddhiste, un spiritualiste …bon,  ça manque de juifs, mais il reste une place, au bout de la table. On est taquins, malicieux, on ne s’épargne pas, mais on s’aime et on n’a pas peur de se le dire. Je suis fier de notre famille, et j’aimerais aujourd’hui que la France nous ressemble un peu.

Ajouté dimanche soir : oui, la France nous ressemble, et nous lui ressemblons, et j’en suis infiniment heureux. Cette marche était tellement pacifique, et drôle, et grave en même temps. On a beaucoup ri, d’un rire bienveillant. Beaucoup de questions demeurent ouvertes. Nous allons devons réfléchir, discuter, confronter nos points de vue pour construire des réponses acceptables et vivables. Le courage, maintenant, ce sera d’aller vers l’Autre, et vers l’Autre en nous.

Et, tiens, pour finir sur une note d’humour, je mets ici un lien vers le message de l’humoriste Sonia Orosamane à « tous les cinglés, jhadistes, pianistes, cyclistes…   ici :  » https://www.google.fr/webhp?sourceid=chrome-instant&rlz=1C1CHVN_frFR517FR517&ion=1&espv=2&ie=UTF-8#q=samia%20grosemane

Nous sommes Charlie


 

Donc, ce sera la guerre. Mais la guerre selon nos termes, avec nos armes. Nous cultiverons les liens, l’amour, le talent. La solidarité. Nous serons du côté de la vie, avec détermination, et ne céderons pas un pouce de liberté. Que la blessure nous aide à garder la conscience claire et vive. Que la joie revienne, vite, une joie lucide et forte. Nous retrouverons le goût de rire, non pas d’un rire grinçant, mais d’un rire qui libère.

Mais pour l’instant, c’est difficile. Gorges nouées des journalistes et chroniqueurs, ce matin, sur France Inter. La rage et l’incertitude. On parle, autour des machines à café : besoin d’échanger, d’être ensemble. La France est en état de choc. Les témoignages de solidarité affluent du monde entier et font chaud au cœur. C’est aussi cela qui donne la force de rester digne et de repousser la tentation de la haine.

Hier soir, j’avais prévu de revenir dessiner dans l’atelier de modèle d’Aracanthe, pour la première fois depuis trois ans.  L’ambiance était calme et grave, pesante et fermée comme les visages des parisiens dans le métro, dans les rues mouillées. Huit dessinateurs concentrés, le modèle enchaînant les poses toutes les deux minutes avec beaucoup de professionnalisme et de talent. Nous pensions tous aux journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo. Leur impertinence a  donné le ton de notre adolescence.  Plus tard, ils ont repris avec courage le flambeau de la liberté la plus extrême, nous autorisant ainsi à occuper largement tout l’espace du milieu.  On n’entendait  que le bruit des crayons et des pointes sur les feuilles, le tictac de l’horloge rythmant la durée des poses. Finalement c’est le modèle qui a pris l’initiative de rompre le silence, s’exclamant d’une voix pointue avec toute l’impertinence nécessaire  : « cette pose s’appelle « tu les aimes mes fesses »  (en allusion à la célèbre réplique de Brigitte Bardot dans le Mépris, et à la caricature qui en avait été faite). Tout le monde a éclaté de rire, la chape de plomb  s’est fissurée. On ne la laissera pas se refermer, ceci est mon vœu et ma résolution pour cette nouvelle année.

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Bribes 10.2


Magnifique ce poème d’Analogos qui traduit bien ce que nous ressentons tous ce matin.

de rouille d’os et de courage


Un exemplaire de la Croix ramassé dans le métro nous annonce qu’on va vers noël.

Ca tombe bien.

Je veux dire : il était temps.

Pour répondre au mail d’un ami qui a besoin d’encouragements, je relis Cynthia Fleury, la fin du courage (lien).  En 2011 (des super-réserves de courage) j’avais déjà évoqué, mais trop brièvement, ce livre-coup de poing à l’estomac.

Ca commence très fort, avec une préface d’une densité rugueuse, explosive. Le genre d’impression qu’on doit avoir quand on est aspiré dans un trou noir. Sauf que personne n’est revenu pour en parler.

Elle, oui, elle est sortie de son trou noir. Mais de justesse. On sent qu’elle n’est pas passée loin, et cela donne au livre un caractère d’urgence et d’authenticité qui manque dans la production contemporaine.

Je pense en particulier à Frédéric Lenoir. Dommage qu’il écrive mou, sans aspérités, car c’est un très bon trendspotteur, il faut lui reconnaître au moins ça. La Guérison du monde, par exemple,  évoque la tentation du découragement. Chez lui, cela donne : « il existe des antidotes au poison du découragement et de la passivité qu’il entraîne. Il convient d’abord d’avoir à l’esprit que le monde que nous voyons à travers les médias n’est pas le monde réel,  mais un spectacle du monde quotidiennement mis en scène par les médias selon une partition limitée à la litanie des mauvaises nouvelles » (p.276). Sauf que se retrouver comme mon ami E. par terre avec le visage éclaté, un AVC et l’assurance qui se dérobe, ça n’est pas un spectacle, c’est une réalité pour un certain nombre de gens autour de nous.

Chez Cynthia Fleury, cela donne, en plus violent : « c’est étrange de savoir que « tenir », à l’instant, ce sera surtout ne pas passer à l’acte ».  Et plus loin : « l’apprentissage de la mort, est-ce celui du courage ? Savoir qu’il va falloir tenir alors que rien ne tient ? » Elle emploie souvent ce mot, « tenir », les poings crispés mais ne lâchant rien.  J’y pensais dimanche soir en regardant de rouille et d’os, le magnifique film de Jacques Audiard avec Marion Cottillard et Mathias Schoenarts. Eux aussi « tiennent », et finissent par guérir non sans prendre au passage une sacrée dégelée (au sens propre comme au figuré). Qu’elle est belle, courageuse, émouvante, Stéphanie, face à la mer, lorsqu’elle retrouve les gestes de la dompteuse. Lenoir, ou son éditeur,  aurait titré : « danse avec les orques ». (J’ai l’air de me moquer, comme ça, mais cela ne vous dispense pas de le lire.)

Mais revenons à Cynthia Fleury : « nous vivons dans des sociétés irréductibles et sans force. Des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n’est plus enseigné. Mais » (quand je vous dis qu’elle ne lâche pas), « qu’est-ce que l’humanité sans le courage ? Si ma chute peut sembler poétique, celle qui est collective est gluante. Et je vois bien que le salut ne viendra que de quelques individus prêts à s’extraire de la glu, sachant qu’il n’y a pas de succès au bout du courage. Il est sans victoire. » et là, le diamant noir, l’appel à mobilisation générale si on ne veut pas moisir avec les trous du cul de la Complaisance généralisée jusqu’à la fin des temps : « La vrai civilisation, celle de l’éthique, est sans consécration. Les cathédrales de l’éthique son devant nous. (…) Et dans cette époque sans courage, nous sommes encore tous naissants ». (…) Comment faire ? Qui pour m’extraire du mirage du découragement ?   (Les même mots que chez Lenoir mais elle appuie là où ça fait mal : sur le détonateur). »Car il me reste un brin d’éducation pour savoir que ce n’est qu’un mirage. Qu’il n’y a pas de découragement. Que le courage est là ; comme le ciel à portée de regard ».

Je l’aime vraiment bien, la Cynthia-pitbull. Et me revient l’une des plus belles répliques de Marion-Stéphanie dans « de rouille et d’os » : « la délicatesse, tu sais très bien ce que c’est, tu n’as pas arrêté d’en avoir avec moi depuis le début ».

Alors lui, force brute, s’exécute avec une puissance, un amour, une humilité totales, comme on lave les pieds d’un SDF.

Voilà, avec toutes ces digressions je n’ai toujours pas évoqué le Royaume, d’Emmanuel Carrère, mais en fait si.

Bon courage, mon pote. Guéris vite.

Coup de coeur au blog Analogos


Juste un coup de coeur aujourd’hui : le blog de Francis Royo : Analogos et sa page d’aphorismes Aporos. Où je m’aperçois, en choisissant les « tags » de cet article, que « naufrage » et « courage » font une rime riche. Matière à méditer, contenue dans peu de mots, poésie sans éclats de voix. Ouverture et lumière au bout des tunnels de cendre. S’autoriser la poésie quand la douleur persiste.

http://analogos.org/category/aporos/

Aporos 254

caresser les naufrages du bout du cœur c’est encore s’accrocher à une île

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Aporos 252

l’originalité indémodable de l’instant est de n’être plus

Une question de perspective


« Nous me méditons pas pour résoudre nos problèmes, mais pour qu’ils ne prennent pas toute la place », énonce Christophe André (encore lui) dans « Méditer jour après jour ». Question de perspective, en somme. Or, ce déplacement peut changer beaucoup de choses. Le simple fait de prendre de la distance envers ce qui nous étrangle ou nous obsède permet de regagner l’espace nécessaire à l’action. On pourrait écrire la même chose à propos des vacances. Une amie américaine s’interrogeait, il y a quelques semaines : «pourquoi nous autres américains prenons-nous si peu de vacances » ? Je lui avais proposé, au choix : l’amour du travail, ou la peur du vide ?
Pour nous, français, c’est un temps de repos, mais aussi un temps pour resserrer des liens avec nos proches. Une heure de bricolage ou de jardinage, une balade à vélo, un jeu rapprochent les générations même lorsque la parole est compliquée, les références diverses. De petits actes de solidarité s’improvisent. On veille sur les plus jeunes ou sur les anciens. Comme un photographe s’exerçant à ajuster sa profondeur de champ, les familles et les individus qui les composent trouvent de nouveaux réglages dans leurs relations. Les compromis, soudain, paraissent moins difficiles. Ce que l’on capture alors, il faudrait penser à le ressortir en hiver, car c’est à cette source que nous pouvons puiser, parfois, la force d’accomplir des choses extraordinaires.

Tenir (loin des gourous aux belles dents blanches)


Comment font-ils ? C’est la question que l’on se pose parfois, face au récit de combats rudes, qui en auraient fait renoncer plus d’un. Et pourtant, ils tiennent. Des femmes, des hommes, ordinaires ou célèbres, avec une sorte de courage particulier. Rarement spectaculaire. Ils, elles posent des actes qui finissent par s’accumuler avec la lenteur séculaire des stalactites au fond des grottes. Un jour, on s’aperçoit que quelque chose est là, vertical, et que ça tient. Une vie droite ou tordue sous la violence des pressions subies. Mais une vie tout de même.
Samedi dernier, le supplément « culture » du Monde livrait deux portraits de personnalités combatives, obstinées, magnifiques dans leur colère et leur intégrité. Judith, mère d’un garçon dyslexique, ne baisse jamais les bras face au système scolaire qui n’a de cesse de repousser son enfant à la marge. Elle forme avec son fils un tandem vacillant, mais qui va, chacun mobilisant ses ressources propres : capacité de s’attacher des amis protecteurs pour lui, rébellion persuasive pour elle. Le peintre Martial Raysse a passé plus de vingt années dans un exil intérieur, ignoré des galeristes et du public, préférant se nourrir de son potager et de son poulailler plutôt que de se compromettre à reproduire indéfiniment les mêmes formules. Il faut absolument voir sa rétrospective au centre Pompidou.
Ce qui les fait tenir ? La dignité, bien sûr, une vision, des valeurs droites comme des tiges de fer dans le béton armé.
Dans son best-seller « Pouvoir illimité », le coach et PNL-iste Anthony Robbins conseille à ses lecteurs de chercher des « modèles », c’est-à-dire des personnes qui atteignent leurs objectifs, et de les imiter. L’imitation, insiste-t-il, est la clé du succès. L’idée est de s’inspirer d’eux pour comprendre le système de croyances positives qu’elles ont su se construire, d’identifier leur stratégies et tous les ajustements au jour le jour qui finissent par dessiner une trajectoire gagnante, certes pas rectiligne, et non dénuée d’obstacles, mais d’obstacles surmontés, patiemment, avec persévérance et peut-être même la sourde rage de celles et ceux qui serrent les dents, encore et encore, là où tant d’autres auraient depuis longtemps baissé les bras.
On était loin de l’Amérique triomphante et des gourous aux belles dents blanches, avec ces deux portraits du Monde, et pourtant c’est bien cette attitude-là que je vous propose, à votre tour, d’imiter. Car il y a du bonheur, du plaisir, au bout de ce chemin-là. Dans Vivre, Mihaly Czickszentmihaly, l’un des pères de la psychologie positive, décrit l’expérience du flow, lorsque pris par une tâche captivante on oublie jusqu’au sens du temps qui passe.
J’étais moi-même si absorbé dans la rédaction de cet article que je n’ai pas vu venir le « voleur des trains », qui m’arrache le portable qui me servait de modem. Coup de chance, je venais juste de transférer les photos de la rétrospective Martial Raysse au Centre Pompidou. (ici)
Belle occasion de mettre en pratique, immédiatement, ma petite leçon de persévérance.

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Une leçon de courage et de leadership


Ecrire à chaud, vite, pendant que l’émotion bouillonne dans ma tête et dans mon corps. Témoigner d’une force inouïe, qui soulève des montagnes, et de l’humour, qui en allège le poids. Aujourd’hui je veux vous parler de Philippe Croizon, athlète de haut niveau, humoriste aux savoureux talents de conteur, doué d’un leadership exceptionnel. Qui se trouve, par ailleurs, être en situation de handicap.

Dernier intervenant au HappyLab Forum, hier après midi, Philippe Croizon nous a bouleversés, transportés, transis, tout en nous secouant de rire à chaque instant de son récit.

A peine installé sur le podium avec l’aide d’une accompagnatrice, Philippe agite les moignons de ses bras dépourvus de leurs prothèses, parcourt la salle d’un regard circulaire et balance, jovial : « pas de bras, pas de micro ». La référence au film les Intouchables est très juste : on peut rire avec les personnes en situation de handicap, d’un rire libérateur, solidaire, qui dissout instantanément la gène et les angoisses.

Le ton est donné. Maintenant, vous pouvez regarder les images; ici : http://www.azurelite.net/nadf/Philippe-CROIZON_a15.html?com et vous pouvez ême soutenir son association Handicap2000.

Avec le plus grand naturel, l’homme qui a traversé la Manche puis relié cinq continents à la nage nous donne une formidable leçon de courage et de leadership. Les sceptiques évoqueront le voyeurisme et l’exploitation de la corde sensible, alors qu’il s’agit de tout le contraire. Philippe Croizon ne demande pas que l’on s’apitoie sur son sort, il nous invite à trouver en nous les ressorts du courage et de la persévérance. Avec un humour désarmant, il raconte comment il a piégé le Conseil général de son département, « contraint » de le soutenir après une déclaration improvisée sur France3, puis ses rencontres avec les divers sponsors, un par un, et les yeux dans les yeux. Il évoque longuement le soutien de toute son équipe, jusqu’aux derniers kilomètres, en vue des côtes françaises, encadré par deux champions du cœur et de la natation et porté par la pensée de ses fils et « des deux cent personnes qui s’étaient engagées avec lui ».

Car le leadership c’est entre autres cette capacité qu’ont ou que développent certaines personnes à en entraîner d’autres dans une aventure qui les dépasse. On retrouve chez Philippe toutes les qualités des grands leaders: la vision, l’audace, le courage, une formidable empathie et le talent de faire partager ses rêves les plus ambitieux. Ambitieux, mais pas fous : Philippe a su s’entourer d’une équipe à la technicité éprouvée. Comme tous les grands leaders, il possède le sens des réalités et la capacité à « faire advenir » les rêves par l’action.

A la fin de sa conférence, le sentiment qui domine dans la salle est mêlé d’admiration, de gratitude, et de bonheur. Le bonheur d’avoir partagé un moment très intense, et, je l’espère, d’avoir trouvé pour soi-même l’envie d’accomplir à notre tour quelque chose d’extraordinaire. On n’est pas dans l’univers des Bisounours, mais dans une conception du bonheur vécu comme un dépassement de soi, face à l’adversité.

On se dit que la générosité, comme le rire, est l’un des choses au monde les plus contagieuses.

Et puis revient l’image de ces deux garçons, pour lesquels il avait choisi, dans le plus noir moment, de revenir du côté de la vie. L’évidence alors s’impose que l’on vient d’entendre une formidable histoire d’amour.

Merci à Joanna Quelen, au HappyLab et à tous les participants.

Résistance et scepticisme


Le Voyage du héros, c’est aussi cela : trouver le courage de résister, isolé dans la foule, garder son calme et ses convictions, D’autres fois ce sera plus discret, car la ruse appartient à la panoplie du héros tout comme les armes conventionnelles, celles qui brillent au soleil.

Margotte a mal au dos


Comment parler de la douleur, de ses plis et de ses replis, de ses traces, de ses fulgurances ? Comment le faire sans verser dans la complaisance esthétisante ou sentimentale ? Et comment éviter la tentation du faux détachement supposé « prendre du recul », apporter du sens et toutes ces balivernes? On tergiverse, on se donne des principes, on s’interdit de naviguer dans les eaux molles de la consolation, cette position de repli si commode quand l’art et la littérature renoncent à transformer l’homme et le monde. Vouloir consoler, distraire, ce serait trahir la promesse, la mission sacrée. On est coach, alors on y croit. Quand vient la douleur, on se terre en silence, on attend qu’elle passe, on se met en mode « économie d’énergie », puis l’on se remet à parler. D’autre chose. Il est tellement plus facile de parler du courage, qui fait souvent défaut, ou de l’espoir qu’on rallume à coups de citations poétiques (René Char : « c’est la nuit qu’il faut croire à l’aurore »).
Et puis il y a Margotte.
Margotte a mal au dos. Tout le temps. Des douleurs terribles provoquées par une maladie au nom bizarre, qu’elle évoque dans son blog Somethingintherain. Parfois, Margotte écrit que la vie lui pèse, elle écrit dans son blog : « Certains jours, certains soirs, je me plains. J’ai mal. J’ai mal tout le temps, certains moments plus que d’autres, plus profondément. Cette douleur me pourrit la vie, me donne parfois envie de la quitter, la vie. (…) En fait, j’ai une maladie. Enfin, ils appellent ça un syndrome, ça me donne l’air moins malade : du moins c’est l’effet que ça me fait. Dites, qu’est-ce que c’est la différence entre une maladie et un syndrome ? C’est plus gentil, un syndrome ? Le mien, quand on me l’a présenté, il m’a plu parce qu’il était poétique : de l’air dans l’os. C’est joli, c’est comme si j’allais m’envoler. Puis après on m’a fait redescendre : Ehlers Danlos, le syndrome d’Ehlers Danlos hypermobile. SED pour les intimes. Vous pouvez regarder sur internet mais ça vous fera peut-être un peu peur. Alors restez avec moi, je suis gentille. Ce syndrome, il ne l’est pas. »
Un syndrome au nom poétique. C’est sans doute cela qui nous rapproche, cette attention particulière qui nous permet de capter la moindre molécule de poésie, où qu’elle soit, et jusque dans ce qui nous fait mal. Un jour, à l’occasion d’un texte où l’on évoquait Proust, Margotte fait irruption sur BuenaRmino et la question ressurgit. Que répondre à Margotte, sinon qu’on n’est pas sa douleur, qu’elle passe et nous traverse, comme la Ménie Hellequin dans le superbe roman de Fred Vargas, mais que la forêt demeure, et se reconstitue. Qui a écrit : « nous sommes cette partie de la forêt qui un jour s’est mise à penser » ? A penser, à vivre, à sentir. Et cela, nous le sommes toujours. Donner de l’attention à tout cela, qui vibre et vit, c’est commencer à desserrer l’étau de la douleur, une façon de ne pas lui donner le dernier mot.

Hannah Arendt ou la violence de la pensée


Hannah Arendt de Margarethe Von Trotta est un film nécessaire et grave sur le courage de penser – par soi-même,  à contre-courant s’il le faut. L’acte de penser est décrit tout d’abord comme une discipline : face au nazi responsable de millions de morts, la philosophe efface de son cerveau toute idée préconçue. Elle accomplit cette chose très difficile qui consiste à se contenter de voir et d’entendre ce qui se dit, dans la salle d’audience du tribunal, en repoussant le plus longtemps possible  la tentation d’interpréter. La violence des réactions suscitées dès la parution dans le New Yorker de son premier article sur le procès Eichman met en lumière la difficulté de penser là où l’on n’attendait qu’un portrait du monstre. Car l’homme responsable de six millions de morts ne peut être qu’un monstre. En parler sans émotion relève de la plus singulière arrogance, et c’est précisément ce qu’on lui reproche. Penser, au lieu de compatir : de nos jours, cela vous vaudrait le titre honni d’intellectuelle. Le courage de la philosophe est exemplaire, et pourrait nous inspirer. Elle révèle combien la haine de la pensée est devenue la norme dans notre société loliste. Avant d’aller voir le film, lisez ou relisez ses livres, comme nous y invite Rue89. http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/04/24/avant-daller-voir-film-hannah-arendt-lisez-241752 Puis, s’il vous reste un peu de temps, lisez Cynthi Fleury qui parle si bien du courage, et de sa fin. https://www.youtube.com/watch?v=LKA-SOht4xE

Guillebaud, Mandela et le monstre doux


Ne craignons pas d’échouer, ni de réussir : le courage est d’affronter l’échec et la réussite avec un coeur serein, en prenant exemple sur les hommes et les femmes qui ont osé se dresser pour vivre une vie digne, pour eux et pour les autres. De nouvelles dominations se mettent en place, d’autant plus redoutables qu’elles s’installent de manière insidieuse, et le plus souvent avec notre consentement. Jean-Claude Guillebaud les décrit sans complaisance dans son dernier livre, « la vie vivante, contre les nouveaux pudibondss », où il fait l’éloge de la chair vivante, contre les nouveaux puritains qui veulent nous libérer de la chair et du réel.

Citation : « Ainsi, sous couvert de « libération », la nouvelle pudibonderie conforte étrangement ce qu’il y a de pire dans le puritanisme religieux hérité du XIXe siècle. Et pas seulement au sujet des moeurs. Dans le discours néolibéral, l’adjectif « performant » désigne le Bien suprême. Mais ni le « système » ni ses logiciels ne savent prendre en compte des choses aussi fondamentales que la confiance, la solidarité, l’empathie, la gratuité, la cohésion sociale.

La Vie vivante, celle qu’il faut défendre bec et ongles, c’est celle qui échappe aux algorithmes des ordinateurs, à l’hégémonie des « experts » et des dominants, qui confondent « ce qui se compte » avec ce qui compte. »

Plus ancien, mais toujours d ‘une actualité brûlante, le discours de Nelson Mandela lors de son investiture comme président de l’Afrique du Sud en 1994: »Notre crainte la plus profonde n’est pas d’être insuffisants. Notre crainte la plus profonde est d’être puissants au-delà de toute mesure. C’est notre propre lumière et non pas notre obscurité qui nous fait le plus peur. Nous nous demandons  » qui suis-je pour être brillant, superbe, talentueux, fabuleux? »

Il faudrait plutôt demander qui êtes-vous pour ne pas l’être? Vous êtes Enfant de Dieu ! Vous faire tout petit ne sert pas le monde. Ce n’est pas une preuve d’intelligence de se rapetisser pour éviter aux autres un sentiment d’insécurité. Nous sommes nés pour faire éclater la Gloire de Dieu qui est en nous. Elle n’est pas réservée à quelques-uns. Elle est en chacun de nous et, en faisant briller notre propre lumière, inconsciemment, nous donnons aux autres la permission de faire de même. Etant libérés de notre propre crainte, notre présence automatiquement libère les autres. » (auteur inconnu)

des super réserves de courage


On parle beaucoup de Stéphane Hessel et de son livre « Indignez-vous« , publié chez Indigènes Edition, et c’est très bien, car la sagesse parfois (souvent?) consiste à se révolter contre l’insupportable.Mais un autre livre paru en 2010 mérite toute notre attention : il s’agit du magnifique livre de Cynthia Fleury sur le courage (Cynthia Fleury, la fin du courage)

Qu’est-ce que c’est, le courage ? Comment ça vient ? Comment se constituer des super-réserves de courage? Courage de se réveiller tous les jours, à chacun ses raisons : l’ambition, le défi, l’amour, la persévérance. Tous ces mots simples au goût savoureux de pomme fraîche, à croquer. Dans le courage semble s’offrir une sortie du temps, « comme s’il existait un passage secret entre la vie et l’éternité ». Horizon toujours ouvert.

2011 année du colibri


L’année du colibri

Depuis que Nicole de Chancey nous a raconté l’histoire du colibri, j’y reviens souvent, et ne cesse d’y trouver toujours plus de matière à méditer.

J’aimerais vous la raconter à mon tour en guise d’inspiration pour cette nouvelle année. Un jour, un gigantesque  incendie ravage la forêt d’Amazonie. Pressés par les flammes, enveloppés d’âcres tourbillons de fumée qui les prennent à la gorge, les animaux s’enfuient de tous côtés, se bousculant dans un sauve-qui peut général. Réfugié sur la berge du fleuve, un jaguar à la puissante musculature observe l’étrange manège du colibri. En temps ordinaire, le seigneur de la jungle ne perdrait pas son temps à suivre les faits et gestes du petit volatile, jouissant parmi les habitants de la forêt d’une réputation de frivolité pour son habitude de voleter de fleur en fleur tel un éclair bleu vif, recueillant au passage le délicieux nectar de son bec long et effilé. On prétend même, car la jungle en temps ordinaire bruisse de commérages, qu’il  lui arrive de s’enivrer de nectar, et de tenir ensuite des propos fort peu cohérents. Aujourd’hui, cependant, l’obstination du colibri qui   ne cesse d’effectuer des aller-retour entre le fleuve et la forêt dévorée par le feu l’intrigue. A chaque voyage, il puise dans le fleuve une minuscule goutte d’eau qu’il s’en va verser sur les flammes, au péril de sa vie. Etonné par cet effort qui lui semble bien futile au regard des proportions gigantesques de l’incendie, le jaguar demande au colibri : « mais, que fais-tu » ? Et sans se démonter, le colibri répond : « je fais ma part ».

Faire sa part

Cette histoire m’enchante par sa simplicité pleine de profondeur. Elle en appelle à cette valeur très contemporaine de la responsabilité, individuelle et collective, avec un très juste sens des proportions. Car ce qu’elle propose de faire à chacun d’entrez nous, c’est de prendre sa part, toute sa part, et rien que sa part. Il ne s’agit pas de s’épuiser à tenter l’impossible, ce qui nous conduirait à l’échec et donc à la perte de l’estime de soi. Il ne s’agit pas non plus de se croiser les bras ou de se jeter dans la distraction sous prétexte que tout effort serait vain face à l’immensité de la tâche. Entre ces deux extrêmes, avec infiniment de tact, le colibri nous ouvre un espace de liberté et nous redonne du pouvoir face à l’inéluctable. Il nous incite à mobiliser nos talents, à les déployer au service d’une cause noble et digne d’effort. Car le colibri n’est pas du genre à asséner des leçons de morale : il donne l’exemple, en toute humilité, mais aussi avec la pleine conscience de la valeur de sa contribution. J’entends beaucoup de juste fierté dans « je fais ma part ».

Le courage du colibri

Faire sa part, c’est assumer sa part de responsabilité dans ce monde, et d’abord dans sa vie. C’est faire de son mieux, et ne pas culpabiliser si l’on ne parvient pas à éteindre l’incendie à soi tout seul. C’est supposer aussi que l’on ne restera peut-être pas seul bien longtemps, c’est croire en la capacité des autres à se mobiliser à leur tour, inspirés par l’exemple et le courage du colibri. C’est l’expression d’une valeur fortement démocratique et solidaire, dans le respect de soi et de ses talents : ma contribution vaut celle de chacun, participe d’une dynamique générale. C’est une voix dans un chœur puissant.

Apprécions enfin le style du récit, qui fait toute sa force : la goutte d’eau transportée dans le bec du colibri peut être minuscule, la portée de son geste n’en est pas moins immense. Il y a dans ce contraste une élégance qui me ravit.

Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne année, joyeuse, productive et gourmande.