Un jour où j’avais du chagrin, mes amis m’ont prêté des livres. Des livres en papier, avec une couverture et des pages à toucher, que l’on feuillette ensemble en cherchant ses passages favoris pour se les lire, les commenter longuement, les savourer à deux. Il y en a toute une pile à côté de mon lit. Des romans, des essais, de la poésie, des livres sur l’art. Les uns sont neufs, je n’ai pu résister à la tentation de les acquérir alors même que j’avais largement de quoi m’occuper. Les autres sont plus anciens, bombés, avec des coins légèrement cornés, des couvertures où s’imprime la trace des doigts qui les ont tenues. Ceux-là s’enrichissent de lecture en lecture, ils portent en eux la mémoire de lecteurs et de lectrices attentives qui les ont incorporés dans la trame de leur vie.
De Le Clézio, Tempêtes évoque un coin d’Asie où la mer, les rochers et les hommes s’entrechoquent brutalement. L’amie qui me l’a prêté partage avec moi ce goût de l’Orient où vécut sa famille. Elle me fournit régulièrement de la très bonne came-à-lire (à moi seul tous les personnages, de John Irving), et comme nous avons le même sens de l’humour c’est à chaque fois un plaisir redoublé.
Un autre roman, dont j’oublie le titre et l’auteur (!), commence par une procession de femmes dans le nord du Vietnam : elles s’enfoncent loin dans la forêt pour y chercher du miel, renoncent à cause d’une averse, on sent la chaleur tropicale, la touffeur de la jungle et la peur des serpents, mais le roman me tombe des mains. Trop d’Asie tue l’Asie. J’enchaîne avec des essais : Cyrulnik, « de chair et d’âme », Jean-Claude Ameisen, « sur les épaules de Darwin », Frédéric Lenoir, « la guérison du monde », avant d’aller chercher mon miel dans « Le Royaume », d’Emmanuel Carrère (ce sera ma prochaine chronique). Pardon pour l’énumération en chaîne, limite « name dropping », ça fait un peu B52 larguant ses bombes au-dessus des forêts du Laos, mais mon propos n’est pas aujourd’hui de parler du contenu. Mon sujet du jour, ce sont les lectrices et les lecteurs. Et puis, on m’attend pour peindre un plafond. (Le bricolage, toutes formes de travail manuel, peindre ou poncer, idéal aussi pour guérir).
Prêter des livres est une manière qu’ont trouvé les humains de prodiguer de l’affection, de témoigner sa solidarité à ceux qui en ont besoin. C’est leur manière de contribuer au processus de guérison, comme on dirait : « tiens, prends des vitamines », ou « et si tu te remettais au sport » ? Tous ces conseils sont excellents, mais les livres offrent quelque chose de plus, quelque chose d’inestimable : ils sont comme les ambassadeurs de ceux qui nous les ont prêtés, dévoilant, par le choix des titres et des auteurs, quelque chose de leur intimité.
Et ca, c’est de la gelée royale.
J’adore, Merci Robert, je savais que tu aimerais Tempêtes. Et moi je viens de finir Le Royaume, j’attends ta chronique avec impatience… Et discutons en quand tu veux. J’en ai 2 autres dans ma besace que tu devrais aimer