Dans la solitude des champs de coton : le texte de Koltès, l’intensité de Chéreau, la violence des transactions humaines. Une première phrase tellement pénétrante qu’elle s’et incrustée dans ma mémoire, dès la première lecture, et pour toujours. Les actrices qui ont travaillé avec lui évoquent le regard de Chéreau, un regard de dessinateur, qui voit comme on écoute, un regard qui cherche et et qui trouve la lumière, qui mesure très exactement l’espace entre les êtres et la justesse des rapports.
Koltès, « Dans la solitude des champs de coton » :
« Un deal est une transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées ou strictement contrôlées, et qui se conclut, dans des espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet usage, entre pourvoyeurs et quémandeurs, par entente tacite, signes conventionnels ou conversation à double sens — dans le but de contourner les risques de trahison et d’escroquerie qu’une telle opération implique —, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, indépendamment des heures d’ouverture réglementaires des lieux de commerce homologués, mais plutôt aux heures de fermeture de ceux-ci. »
Préambule à Dans la solitude des champs de coton.
LE DEALER
Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ; car si je suis à cette place depuis plus longtemps que vous et pour plus longtemps que vous, et que même cette heure qui est celle des rapports sauvages entre les hommes et les animaux ne m’en chasse pas, c’est que j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi, et c’est comme un poids dont il faut que je me débarrasse sur quiconque, homme ou animal, qui passe devant moi.
C’est pourquoi je m’approche de vous, malgré l’heure qui est celle où d’ordinaire l’homme et l’animal se jettent sauvagement l’un sur l’autre, je m’approche, moi, de vous, les mains ouvertes et les paumes tournées vers vous, avec l’humilité de celui qui propose face à celui qui achète, avec l’humilité de celui qui possède face à celui qui désire ; et je vois votre désir comme on voit une lumière qui s’allume, à une fenêtre tout en haut d’un immeuble, dans le crépuscule ; je m’approche de vous comme le crépuscule approche cette première lumière, doucement, respectueusement, presque affectueusement, laissant tout en bas dans la rue l’animal et l’homme tirer sur leurs laisses et se montrer sauvagement les dents. »
Je pense à notre ami David Pini, qui le lisait si bien, de sa voix-Godounov. Octobre est un mois pour l’humilité. Hommage à David. http://wp.me/p11JeL-gL