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La leçon d’audace


 

Nuages (Django Reinhardt)

La Sarthe, ça décape (suite)

Mardi 26 août 2010. Les travaux manuels continuent dans la Sarthe profonde. L’énorme placard de la cuisine semble reconstituer ses forces chaque nuit pour mieux me narguer au matin, comme les géants dans les contes. Serait-il ensorcelé? Il me semble parfois au bord de parler, mais ses secrets sont bien gardés. Ce n’est pas le genre de placard à se déboutonner si facilement. Tant mieux : sa réticence décuple mes forces, ma rage d’en finir. L’un des plus grands bienfaits du bricolage est d’arrêter l’essoreuse à pensées pour nous forcer à concentrer notre attention sur l’immédiat, le concret Il faut croire que le geste de poncer libère des endorphines, car je me trouve baigné d’un sentiment de grand bonheur malgré la fatigue. C’est peut-être cela, la leçon de mon placard-mentor.

Hier, dégagé trois des panneaux du bas. Le décapant fait grésiller la peinture qui se tord, frise, bouillonne. La dernière fois que nous avons décapé et repeint le monstre, c’était l’été 1980, avec un ami originaire d’Allemagne de l’Est qui venait d’être expulsé de son pays d’origine. Un sentiment d’exclusion consumait ce grand blond sardonique, mince comme un fil, qui ne trouvait jamais sa place nulle part et surtout pas dans la bourgeoise Allemagne de l’ouest. Il me communiquait sa passion du bricolage, dans laquelle il investissait toute sa fureur et sa soif de liberté. Avec lui, grâce à lui, j’éprouvais le pouvoir libérateur de la main qui crée de nouveaux territoires, un nouveau rapport au monde. Le soir, il disparaissait pendant des heures dans la bibliothèque, assouvissant son autre grande passion pour les mots, la littérature et l’imaginaire. Première expérience de l’exil, et de la déterritorialisation.

On travaillait en écoutant à la radio les nouvelles de Pologne, on découvrait le nom de Solidarnosc. Une brèche s’ouvrait dans l’empire soviétique. Coïncidence, il dormait dans la polonaise, une chambre ainsi nommée car on y accueillit des réfugiés polonais fuyant la répression des tsars en 1830.  J.. apprenait ses premiers rudiments d’Espagnol en se brossant les dents. Quinze jours plus tard, il encadrait un groupe de trente adolescentes à Valence et menait tant bien que mal les conversations avec les familles d’accueil. C’est qu’il n’avait pas froid aux yeux, sûr qu’il parviendrait à communiquer avec  ses rudiments d’Espagnol. Qu’avons-nous fait de cette audace ?

Ré moins cinq

En calculant bien, j’en ai pour cinq jours, ce qui me permettra d’attaquer la peinture dimanche, avant mon départ pour l’île de Ré. Cinq jours à brosser, décaper, gratter, respirer de la poussière et du solvant, cinq jours enfermé quand la campagne sarthoise est gorgée de soleil, tout ça pour le plaisir d’appliquer une large couche de peinture moelleuse et fraîche, à la fin, tout à la fin. Masochisme ou persévérance ?

Re-paysement

Ce journal est l’histoire d’un parti pris : le parti-pris de vivre cet été non comme une évasion hors de la vie quotidienne, mais comme une plongée au plus profond de la vie, à chaque instant, pour en ressentir toute l’intensité. L’aventure, au cours de ces quelques semaines ne consistera pas à explorer des pays lointains, à réaliser des exploits sportifs, et surtout pas à me dépayser. Ce que j’ambitionne, au contraire, c’est le re-paysement. Comme Joachim autrefois, je guéris de l’exil par l’ancrage du corps.

Le soir, j’enfourche un vélo et je pars sur les petites routes de campagne. L’odeur des balles de foin coupé se mêle au parfum des sous-bois. Dans tous les champs, des moissonneuses-batteuses en plein travail, jusque tard dans la nuit.

Plus belle la Sarthe