Un jour, le monde s’est peuplé de visages, et ces visages avaient beaucoup à dire.
Tout est visage : un corps, le son d’une voix, la démarche et l’allure d’un homme, la présence d’une femme, un paysage.
La vitesse est visage.
Le silence est visage.
Toute vie prend peu à peu la forme d’un visage.
Toute force à l’oeuvre acquiert, peu à peu, la puissance, la lisibilité d’un visage.
Le visage est rencontre, aspiration, conflit, fleuve de vie charriant ses glaçons, ses graviers, ses eaux dans des plaines accueillantes ou des pays rugueux.
Masque illuminé d’un sourire, ombre où scintille, retenue au coin de l’oeil, une larme. Il est résistance ou tendresse, ouverture ou paroi.
Visage de l’être aimé, aux joues pigmentées d’impatience, visage d’une rose, d’une rue tranquille à la fin de la journée, d’un marché animé.
Visages d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, visages d’animaux ou de foules à l’indifférence trompeuse, parcourue de mouvements, d’humeurs à déchiffrer; visages des villes et des pays traversés par le voyageur. Visage du clandestin. Dangers.
Visages transformés sans fin, forces cachées dans la lenteur, dans l’infinitésimal, rocs, falaises, mousses, rivages. Forêts, toundras. Tout est visage.
A nous d’apprendre à percevoir ce qui se joue dans cette forme, ce qui se crispe et ce qui change, d’apprendre à lui donner sa place, à modeler notre présence face à son irréductible altérité.
Car il se tient face à nous. Il vit de sa vie propre et ne nous attend pas.
Il en est parfois d’effrayants, dévorés de l’intérieur, et qui nous appellent.
D’autres qui s’excusent, qui voudraient se fondre dans la masse, et d’autres encore, si vieux qu’ils finissent par se confondre avec l’arête d’un rocher, avec un geste interrompu.
Ceux-là sont les plus beaux, ceux qui nous appellent, qui nous font grandir.
Mais qu’est-ce qu’un visage ?
