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Seul avec Cézanne


Hier matin, presque par hasard, je me suis retrouvé seul face aux magnifiques Cézanne de la collection Morozov, exposée à la Fondation Louis Vuitton.

Epuisé par une longue séquence de travail et par une douloureuse fêlure au bras qui tarde à guérir, je m’étais octroyé ce moment de répit – par crainte aussi d’un nouveau confinement qui m’eût privé de voir cet ensemble extraordinaire avant qu’il ne reparte pour Moscou.

Me voici donc dans une salle dédiée aux paysages. Il n’y a pas grand monde, hormis deux parisiens blasés qui se plaignent d’une vue du Jas de bouffant, par Cézanne. Ils lui reprochent une certaine froideur, qu’ils attribuent à l’absence de personnages humains. Je ne peux m’empêcher de maudire intérieurement cette espèce humaine et son impérieux besoin d’envahir le moindre espace, jusqu’aux toiles de Cézanne, réservant mes imprécations pour la sous-espèce la plus stupide, la plus arrogante et la plus invasive, l’homo parisiensis, à laquelle j’ai le malheureux privilège d’appartenir. Que n’ai-je pris la précaution d’emporter mes boules quiès ! Elles m’eussent préservé de ces babillages irritants, même proférés à voix basse. J’en suis là de ces réflexions, lorsque mon œil est irrésistiblement attiré vers la toile suivante. Avant même de l’avoir véritablement vue, quelque chose en moi tressaille.

Je connais ce signal : il me prévient qu’une expérience toute particulière m’attend, et m’invite à me préparer en faisant le vide en moi pour l’accueillir dignement, avec tous les égards dus à quelque chose d’exceptionnel, qui me comblera bientôt d’une émotion rare, délicieuse, transformant tout mon être en une version de lui-même plus subtile, plus légère et joyeuse. Grâce à mon maître Proust, sensei occidental, je sais qu’il me sera donné, dans quelques instants, d’entrer en communication directe avec l’intention de l’artiste, de percevoir sa communion avec le motif, avec ce qui aura filtré de son travail, goutte à goutte, n’en conservant que l’essentiel. Et je sais aussi que cette émotion pure me reliera à la longue lignée de tous ses prédécesseurs, célébrant la beauté dans l’application de leurs gestes et dans l’affinement de leur perception, mais aussi dans les regards éduqués, de génération en génération, par tous les admirateurs qui ont su transmettre le goût, la capacité à recevoir, à s’émerveiller, jusqu’aux hommes et aux femmes qui ont rendu possible cette exposition et nous permettent aujourd’hui  d’entrer en résonnance avec l’une des plus belles expressions qui soient de la vie et de son mouvement.

D’un point de vue neurologique, je sais que mon œil a capté quelque chose, l’a transmis au cerveau, et que l’information, travaillée dans les replis de ma mémoire, s’est combinée avec d’anciennes émotions ravivées chaque fois qu’il m’a été donné de contempler certaines œuvres d‘art, d’entendre certaines musiques. D’un point de vue cognitif, me revient l’image de Bergotte, le petit pan de mur jaune, les pommes de terre mal digérées, je fais un pas en arrière pour laisser passer les parisiens blasés tout en savourant les images qui remontent à ma mémoire. Je sais ce qu’il faut faire, cela fait des décennies que je m’entraîne. Et j’ai tout mon temps. Je me sens stable émotionnellement, tandis que défilent en moi les images de ces livres d’art offerts par mes parents à cet âge où se forment nos capacités perceptives et notre imagination : Ver Meer, les peintres de Montparnasse, Modigliani, les primitifs Flamands. Grâce à cette éducation précoce, j’ai appris à distinguer les rapports de forme et de couleur justes, à scruter les détails, à suivre le pli d’une nappe se poursuivant en perspective oblique et sinueuse jusqu’au pied coudé d’un guéridon, remontant dans un coin le long d’un plinthe de bois sombre,  sur laquelle se détache hardiment la forme géométrique d’un pot de porcelaine tendu, par son bec, vers l’extérieur de la composition à laquelle le relient les couleurs des fruits et des branches, dans une harmonie d’orangés, de verts et de blancs cassés, le tout fusionnant pour créer une impression de calme désordre exhalant une odeur de poire mûrissante, de pommes sûres et de thé russe à la bergamote. Comment tout cela tient-il, sur cette nappe oblique semblant glisser vers le spectateur dans un mouvement que rien ne semble pouvoir arrêter, jusqu’à l’inévitable catastrophe ? Est-ce le bois de la table qui, par ses tonalités neutres et tactiles, nous rassure inconsciemment ? Ou l’agencement, parmi les replis de la nappe, des fruits et des objets, dont l’équilibre paraît s’établir indépendamment des lois de la pesanteur ? Ne serait-ce pas le guéridon dont on entrevoit juste le pied, tout en haut à droite, qui retient l’élan fou des choses emportées par le flux de la vie, tel un conducteur de char guidant ses chevaux au bout de rênes déployées en éventail, à la fois tendues et flottantes, marquées par les lignes rouges brodées de la nappe ? Et n’est-ce pas le visage grimaçant du conducteur de char que l’on aperçoit, entre les pieds du guéridon, dont il semble coiffé ? Folie ! Méfions-nous des natures mortes, elles sont grosses de tempêtes et Cézanne le savait, qui sut si bien marier les formes précises, rassurantes, de Chardin, avec la fureur de son siècle envahissant, non filtrée, la conscience du pauvre Van Gogh.

Mais cela, c’est ce qui m’attend à l’étage supérieur, dans une toute petite salle où je pourrai contempler, quasiment seul, deux des plus belles natures mortes jamais peintes par Cézanne.

Pour l’instant, donc, je retiens mon œil tenté de filer vers sa droite, prenant le temps d’éliminer tout ce qui ne relève pas en moi d’un immense sentiment de gratitude. J’accepte d’avance l’irrégularité des lignes et tout ce qui viendra bousculer en moi le besoin d’ordre et de paix, tandis que la douleur lancinante, revenue dans mon bras et dans mon poignet, me rappelle que les sensations de mon corps seront les premières à accueillir ce qui frémit, tout près, et à devoir le contenir.

Alors, je me tourne vers la Sainte Victoire – car c’est elle, bien sûr, qui m’attendait, majestueusement exposée sur son pan de mur, et je commence l’ascension de ses flancs, plan par plan, attiré par la résonance magnétique extraordinairement puissante qui s’amplifie, émanant à la fois de l’image vue dans son ensemble, et de chaque détail qui la renforce et la précise.

C’est tout d’abord un petit chemin de terre jaune, sec, vibrant, qui bientôt s’enfonce à l’ombre d’un arbre étonnant, au feuillage ramassé en une boule de forme inquiétante, comme le gardien d’un seuil que l’on franchirait à ses risques et périls.  La zone intermédiaire, où disparaît le sentier, alterne des verts et des jaunes brossés sans ménagement, espace que l’on imagine crissant de cigales. Une maison dans les mêmes couleurs, posée de travers en surplomb sur la gauche, signale la fin de la zone habitée par les humains. Juste dernière le bâtiment cerné de traits noirs commence la zone proprement minérale, architecturée d’à-plats gris et mauves. Plus de sentier. L’œil contourne une arête vive, repère un petit point vert signalant un passage possible et poursuit, de là, son ascension. S’il parvient au sommet de l’arête, à peu près aux deux tiers de la toile, il peut alors prendre son élan et, comme un randonneur renversant le cou en arrière pour tenter d’apercevoir le sommet, il peut prendre la mesure de ce qui jaillit à la verticale face à lui : la paroi monstrueuse, raide, sans compromis, du massif de la Sainte Baume, rattachant la chaîne pyrénéo-provençale à celle des Alpes occidentales en un surgissement tectonique déferlant à travers les âges, depuis le temps des dinosaures jusqu’à nous.

Et de cela, Cézanne, debout face à son chevalet, les yeux plissés sous son large chapeau de paille, est le témoin. Mais aussi le passeur, humble et magnifique. L’invisible humain dans la toile, c’est lui. Et grâce à lui, c’est nous.

Comme la montagne emprisonnant dans sa forme ramassée le chaos des forces telluriques, déchirant le ciel stupéfait dans lequel elle semble projeter des giclées de lave invisible, le tableau contient toute la folie de la vie, les hasards de l’évolution, le travail des millions d’années, l’impérieuse nécessité de stabiliser, même provisoirement, quelque chose que  l’on puisse nommer, et pour cela, pour l’infinie persévérance avec laquelle, pendant des décennies, il n’a cessé de reprendre son travail et de perfectionner son talent, tel un maître en arts martiaux japonais, pour sa capacité à nous transmettre cette lumière sans qu’elle nous brûle, à rendre perceptibles ces forces sans qu’elles nous déchirent, pour sa solitude consentie face au roc, pour ce chemin qu’il trace et nous propose, pour son infinie générosité, pour son acharnement, pour ce bonheur d’apprendre à voir et à sentir, offrons-lui en retour le présent de notre infinie gratitude.

Joyeux noël.

https://www.morozovcollection.com/index.php/cezanne-2/
Montagne Sainte Victoire (1896)
Acheté chez Vollard en 1907
Huile sur toile 78,5 x 98,5 cm
Musée de l’Hermitage

Un nouveau tour de manège


Si vous vous demandez que lire cet été, sur la plage, au café ou confortablement installé à l’ombre d’un arbre, je vous recommande chaleureusement le dernier ouvrage traduit en français de Tiziano Terziani, Connu à travers le monde entier pour « un devin m’a dit ».

Merci aux éditions « les cinq continents » pour ce beau cadeau estival.

Extrait de la présentation : « Voyager a toujours été pour Tiziano Terzani une seconde nature.
Sauf que ce voyage pas comme les autres, dont il est question dans ce livre, est aussi son plus difficile. Quand on lui diagnostique un cancer qui met sa vie en péril, c’est naturellement qu’il part en quête du remède qui le sauvera. Mais où chercher ? »

http://www.lescinqcontinents.com/infos/index.php?2015/03/18/995-un-autre-tour-de-manege-de-tiziano-terzani-intervalles-2015

Corps langage mémoire le projet EPLV au MOTIF


Corps, langage, mémoire : retrouvez les thèmes chers à BuencaRmino entrelacés, amplifiés, vibrants, dans cette exposition à vivre.

BuencaRmino vous invite à venir découvrir, à l’occasion de la 22e édition des Portes ouvertes des Ateliers d’Artistes de Belleville Belleville, du vendredi 27 au lundi 30 mai 2011 – 14h à 21h

une nouvelle forme de collaboration artistique : EPLV – les Exclus : Peinture en Livre… en Vidéo
corps – langages – mémoires

une installation d’arts visuels et vivants
production Aracanthe, conception Mirella Rosner

Une démarche qui magnifie le livre.
Des artistes s’emparent de quelques exemplaires destinés à la destruction et construisent une oeuvre transversale : écriture, corps, peinture, musique, vidéo, scénographie, recyclage.
Vous êtes invité à déambuler dans l’œuvre, parmi des totems qui abritent chacun un couple livre peint – vidéo.
Tout au long des 4 jours de présentation, l’oeuvre est nourrie en direct par des performances issues d’une réflexion sur l’exclusion, l’identité, la mémoire, le temps.

le MOTif
6 villa Marcel-Lods, Passage de l’Atlas 75019 M° Belleville

n°94 sur le plan des AAB

contact communication Laure Samuel – 06 61 30 53 79

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Espiègleries (Haddock au pays des licornes roses)


Au pays des licornes roses, il faut s’attendre à d’improbables rencontres. Mais de là à prendre la licorne rose pour un doudou, et le capitaine Haddock pour un bisounours, faudrait pas se payer notre Castafiore.

Basquiat ou le sacre des couleurs


Pourquoi est-ce que personne (ou presque) ne parle de la couleur dans la peinture de Basquiat?

Enfin, presque personne. Il y a Vie des Arts sous le titre « Basquiat, le dernier des modernes » (qui n’est donc plus Francis Bacon). Je cite : « Basquiat a compris qu’un artiste c’est quelqu’un qui parle à un public en dessinant avec sa main ». La phrase est moins anodine qu’il n’y paraît : dans le monde de l’Art Contemporain, « dessiner avec sa main » est quelque chose de sacrilège. Il faut manipuler des concepts, détourner des oeuvres antérieures, installer, mais surtout pas dessiner des formes sensibles. Quand à parler au public… depuis les années 60, on ne parle plus au public, on s’entre-valide entre experts, collectionneurs et journalistes dans un mouvement circulaire destiné à entretenir la spéculation. Basquiat arrive dans ce petit jeu bien réglé comme un chien dans un jeu de quilles. C’est ce que dit la citation de  Marc Mayer : « Basquiat émerge dans les années 1980 au moment où les milieux artistiques dénient l’hégémonie du modernisme. Cette dénégation provient du sentiment que les artistes éprouvent d’être coupés du public, en somme de constituer un groupe dont les codes et les discours ne sont partagés que par des initiés appartenant à des milieux fermés. Apparaît ainsi le désir chez certains d’entre eux de s’adresser directement aux gens, aux simples amateurs, aux curieux. D’où la nécessité de rompre avec le discours moderniste. Basquiat, au contraire, perçoit l’art moderne comme une réforme légitime du langage de l’art. Mais il se demande pourquoi cet idiome est devenu cloîtré. Il s’est tellement purifié que, selon lui, on ne reconnaît plus rien de ses intentions premières. Il constate qu’il n’y a plus ni objets ni images. Ils ont été remplacés par le texte. La littérature a gagné sur l’art ».

Et la couleur, dans tout cela? La réintroduction de la couleur est tout sauf innocente.

Pourquoi est-ce que personne ne dit les à-plats, les recouvrements subtils de bombe et pastel gras, les jaunes crades, les bleus dissonants, les verts atroces, les roses pâles, déjantés, parfois sensuels et doux comme des nuages de barbapapa? Basquiat n’emploie jamais deux fois la même nuance de couleur. Il les emploie en a-plats conducteurs d’états émotionnels, d’énergies qui ont tout à voir avec les stridences du monde latino-caribéen (têtes de mort droit sorties d’un festval mexicain), et pas grand chose avec la fadeur du monde WASP. Warhol, en comparaison, c’est le Quartier de Haute Sécurité, la cellule de privation sensorielle pour les grands bandits de l’art sensuel. Basquiat, c’est peut-être une préfiguration de ce à quoi ressemblera l’art des pays du sud lorsqu’ils se seront libérés de la tutelle duchampienne en cours dans les pays du nord? Quand on en aura fini avec les urinoirs, on pourra peut-être se réapproprier la force et le langage de la couleur?

Si l’on parle si peu de la couleur dans son œuvre, c’est peut-être par réticence à imaginer qu’il ait pu trouver du bonheur à peindre? Non pas le bonheur supposé naïf, sans nuages, des anciens, mais du bonheur tout de même, celui qui toujours accompagne une grande libération d’énergie dans un geste juste, comme un boxeur peut trouver du plaisir à se battre après un entraînement méticuleux (Basquiat était une véritable éponge visuelle, il connaissait parfaitement le monde des images), un coureur de marathon à dépasser les limites de sa souffrance, un programmeur à boucler son logiciel.

Bien sûr il y a les graffiti, les copyrights et les couronnes, le travail sur les palissades et la rage, mais la couleur, les tonalités chaque fois différentes qui donnent à chacune de ses toiles une vibration tout à fait singulière?

Singularité latino-tropicale, qui détonne dans la fadeur nord-américaine. Le reste vous laisse un goût de Campbell Soup passée.

Bien sûr, la mort est là, mais elle a l’éclat des fanfares mexicaines, crépitante couronne de pétards explosant un soir de nouvel an, quelque part dans un pays du Grand Sud.

Quand la fumée se dissipe, à l’aube, un chien rit.

Mac-Val et crottes de nez


« Les enfants sont privés de beau », explique doctement Serge Moati, alors pour y remédier, le Mac-Val les invite à faire n’importe quoi (lu dans le Parisien, sic, sick et complètement sick). C’est donc toute l’ambition qu’on a pour eux, « n’importe quoi »?

Rassurez-moi, j’ai raté la joke? J’entends d’ici les cris de joie : ouaaais, trop fort, on va pouvoir peindre avec des crottes de nez et du chouimgom! (Et la marmotte, elle tient la caisse chez Larry Gagosian?)

Sinon, si on a confiance dans leur capacité à apprécier la beauté sensible, on peut aussi essayer d’éduquer leur regard, comme le fait magnifiquement la newsletter de la FID (Foire Internationale du Dessin) qui publie tous les mois un dessin original. Sur abonnement.

Murakami et les variations Houellebecq


 

 

le laboratoire photographique de Moulins%rt

En raison d’un conflit interne à la rédaction sur la ligne éditoriale de Buencarmino, il n’a pas été possible de faire paraître les derniers articles du « Journal estival ».

La rédaction se déchire entre la tendance « Variations Goldberg » (Canal historique) et la tendance « Lady Gaga » (canal contemporain), qui a manifesté son désir de voir traités des sujets plus actuels, liés, entre autres, à l’Art Contemporain, à l’art numérique et à la vie urbaine, par exemple la nouvelle version des Inrock ou la controverse autour de l’exposition Murakami dans le château de Versailles.  Selon un délégué syndical, « il serait temps de parler un peu moins de bobos, de châtos, et un peu plus de musicôs, sans compter la sortie des romans de Philippe Forest, de Claro et de Houellebecq, tout de même plus actuels que Proust ». une troisième tendance, intitulée « variations Gaga », serait à la recherche d’un compromis éditorial acceptable par tous, « dans un esprit reflétant la diversité des cultures contemporaines, sans toutefois négliger l’importance du patrimoine ».
Pendant ce temps, les partisans de la tendance Goldberg appellent à une manifestation devant le château de Versailles pour protester contre la « dégénérescence et la pornographie« . les premiers arrivés gagneront un serre-tête ou un pull Saint-James bleu marine et des mocassins à glands.
Quand au fondateur de ce blog, Philippe de Boncarmin, il n’a toujours pas reparu après da tentative d’exploration du laboratoire photographique de C…, connu des initiés comme « le Moulinsart Sarthois » Les dernières paroles entendues  étaient « ça sent le rat crevé ». La police n’ayant pas droit de cité sur ce blog, c’est sa soeur, Madeleine de Boncarmin, qui mène les recherches.

Nous prions les fidèles lecteurs et lectrices de bien vouloir nous excuser pour la gêne occasionnée, y compris l’apparition des fautes d’orthographe dans ce blog qui était jusqu’ici d’une tenue impeccable.

 

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