Le procès des attentats du 13 novembre a montré une chose : c’est que la justice, avant d’être un verdict, c’est à dire une décision prise par un juge, argumentée, de déclarer coupables ou innocents les accusés, repose avant tout sur un processus. Long, minutieux, celui-ci se doit d’être équitable, et surtout il doit non seulement suivre des règles, une procédure, mais les rendre visibles, intelligibles et, ce faisant, acceptables. En ce sens le juge ne se contente pas de dire le droit, il l’incarne. Or cela importe beaucoup. C’est même essentiel. Ce processus est à la fois transformatif et restauratif. La mise en scène publique de la fabrique du droit contribue à recoudre une société déchirée. Elle donne la parole aux victimes et, par son déroulement lent, implacable, exhaustif, elle contribue au processus de guérison émotionnelle.
Ainsi prend corps le « fluctuat nec mergitur », (elle flotte, mais ne coule pas) autour duquel s’est raccroché tout un pays dans les jours, les semaines qui ont suivi les terribles attentats du 13 novembre.
Selon la Züddeutsche Zeitung, « les dix mois qui précédèrent (le verdict) étaient presque plus importants. Cela fait des mois que la France tente de retracer l’un des crimes les plus poignants de son histoire récente. Le procès n’était pas seulement le traitement d’un crime, c’était une tentative de décrire toutes les conséquences qu’un tel crime entraîne ».
Selon The Telegraph, cité par Courrier international, « ce procès était une manière de réaffirmer l’importance de la dignité et de la justice face à une barbarie aveugle ».
Or, dans l’Archipel français décrit par Jérôme Fourquet, la montée des affirmations identitaires et la diversification des systèmes de valeurs conduit à une confrontation permanente qui a besoin d’un cadre pour s’exprimer. La justice et son processus lent, solennel, délibératif, offre un tel cadre. Elle construit la paix, qui n’est pas le consensus, mais l’arbitration et le traitement des conflits selon des règles acceptées par tous.
Dans le modèle de la Spirale dynamique élaboré par Clare Graves et ses successeurs don Beck et Christopher Cowan, cela correspond au niveau d’existence identifié selon le code « DQ Bleu ». C’est le niveau à partir duquel les individus et les sociétés comprennent la nécessité des lois et des processus, et acceptent de s’y soumettre. Sans cela, il n’y a pas moyen de faire société. Le visage d’un pays n’est plus qu’un assemblage instable, offert à toutes les violences.
L’enjeu n’est pas d’imposer, dans un pur rapport de forces, les valeurs et les intérêts d’une majorité aux minorités qui s’estiment dominées. Il s’agit de créer un espace commun dans lequel non seulement le droit peut être dit (coupable ou non coupable au regard de la loi), mais aussi, en réponse à des attentes plus contemporaines de la société, de guérir, collectivement.
Cela nécessite une précieuse combinaison de rigueur, de transparence et d’empathie.
Plutôt que de s’attacher à déconstruire indéfiniment ce qui lie entre eux les éléments forcément divers d’une société, il serait judicieux d’apprécier aussi ce qui fait lien, ce qui permet de se reconstruire et de trouver sa place dans le chatoyant tissu qu’est la France.
- une pensée pour Philippe Lançon, auteur du Lambeau, rescapé de l’attentat à Charlie hebdo, et pour Catherine Meurice, championne de résilience et formidable dessinatrice
