Ravi que Timbuktu (bande annonce), le très émouvant film du mauritanien Abderrahmane Sissako, ait remporté sept statuettes aux Césars 2015, avec un petit clignement de joie supplémentaire pour l’acteur Reda Kateb, excellent dans le Serment d’Hyppocrate et aussi dans Loin des hommes, de David Oelhoffen qu’il faut vite aller voir avant qu’il ne disparaisse des écrans.
Bien sûr, il y a le contexte, l’esprit du 11 janvier : la société du spectacle s’octroie facilement un brevet de largeur d’esprit valorisant la diversité : « vous voyez, on ne tombe pas dans l’amalgame, la preuve on récompense un film africain, et même sept fois ». A moins qu’elle n’ait voulu nous rassurer : « DAECH est aux portes de l’Europe, les terroristes sont parmi nous, mai voyez il y a encore des gentils imams qui tentent de résister à la stupidité criminelle au nom d’un islam traditionnel plus humain, et de jolies amoureuses africaines qui chantent avec une belle voix traînante ».
Mais réjouissons-nous tout de même, en toute simplicité. Les Césars étaient largement mérités, car Timbuktu est un film magnifique. Il va falloir s’habituer dès aujourd’hui à prononcer le nom d’Ab-der-rah-mane Sis-sa-ko (vous voyez, Nathalie Baye, ça n’est pas si difficile, comme le disait Alex Taylor sur France Inter en se moquant gentiment de l’actrice francilienne qui butait sur ces syllabes). Allez on le ré-écrit une dernière fois pour le moteur de recherche de Google et pour les lecteurs distraits, il s’agit d’Abderrahmane Sissako.
Avec ce film, c’est l’Afrique d’aujourd’hui qui fait irruption sur notre écran mental. Une Afrique pleine de vie, de dignité, qui ne mendie pas mais qui lutte pour s’en sortir malgré les obstacles. Depuis toujours, la ville de Timbuktu (Tombouctou) était la porte du continent pour les voyageurs venus du nord. C’était une ville savante, où des familles se transmettaient de siècle en siècle de très riches bibliothèques avec l’amour des livres et du savoir. L’esprit de résistance dont font preuve ses habitants dans le film puise à cette source-là, dans la fierté d’une culture ancienne que l’on venait consulter de très loin. Lorsque sont arrivés les imposteurs, ces familles ont caché les précieux manuscrits ou les ont évacués a péril de leur vie.
Quelles que soient les motivations des votants, retenons pour l’histoire que dans dix ans, lorsqu’un film issu du continent africain remportera son premier oscar à Hollywood, on se souviendra peut-être que la première marche aura été gravie ici, à Paris. Réjouissons-nous aussi de cela, d’être citoyens d’une ville où l’on sait accueillir un tel chef d’oeuvre. Des dialogues ciselés, dans plusieurs langues, car l’Afrique est tout aussi polyglotte et multi-culturelle que bien des métropoles occidentales. On se souviendra peut-être d’avoir entendu cette réplique : « porter des gants pour vendre du poisson? Coupez-moi les mains tout de suite ». Révolte et dignité.
A propos de gants, mon ami italien Francesco T… me racontait avec beaucoup d’émotion sa visite à Tombouctou, en l’an 2000 : les gants, ce jour-là, étaient imposés pour tourner les pages des livres conservés dans l’immémoriale bibliothèque.
Ce film, il faut le voir pour son message, bien entendu, mais aussi pour ses actrices et ses acteurs, pour sa lumière, pour ses cadrages tellement généreux qu’on croit voir passer, entre deux dunes, la si légère ombre du Petit prince et de son renard apprivoisé.
Ce film ose regarder l’horreur en face mais sans tomber dans la complaisance. Il faut se laisser bercer par la douceur et la mélancolie de sa musique, y puiser de l’amour et du courage.
Et puis tiens, une idée entendue récemment pour lutter contre l’obscurantisme : et si on ouvrait les bibliothèques le dimanche? Chiche?