Archives de Catégorie: Afrique

La poésie, madame, et les Oiseaux Rares


Pourquoi la poésie africaine n’est-elle pas invitée au festival d’Avignon cette année? Mystère.

Il faut se gorger de poésie, l’aimer comme on respire, ou comme on jette un défi.

Un défi à la banalité. A la résignation. A tout ce que vous voudrez.

C’est une exigence folle, un étonnement constant.

Car la poésie n’est pas chère, mais elle n’est jamais gratuite.

Hommage aux Oiseaux Rares (Les Oiseaux Rares), magnifique librairie du quartier Croulebarbe où vibrent les mots, les idées, où l’on peut entendre parfois des auteurs lire des extraits de romans, de poèmes,  où l’on trouve, posé parmi tant de trésors, un recueil de Nimrod.

« J’aurais un royaume en bois flottés » (nrf Poésie/Gallimard) contient d’inestimables pépites, comme celle-ci, rude et contemporaine :

« Ils les frappent avec des tuyaux d’arrosage

Ils les frappent avec des tuyaux en latex

Ils les frappent sous le soleil de midi

Ils les frappent en double salto »

ou bien :

« J’ai souvenir de cet éléphant qui s’éloigna

Comme se déploie

Le dédain »

Ainsi nous frappe la vie, et nous nous déployons en salto, comme ces étudiants tchadiens maltraités par la police. Après, ce qui revient, c’est encore la vie. Mais une vie plus brillante, plus dense, plus rauque. Un écart. Ce qu’elle nous propose? Naître à la poésie. Jour après jour.

 

 

 

 

Méditerranée


Il y a, de l’autre côté de la Méditerranée, un pays qui demande à vivre. Un pays que j’aime, où les femmes et les hommes savent rire d’eux-mêmes et des petits soucis de la vie quotidienne, un pays qui nous ressemble, auquel nous rattachent de nombreux liens. Un pays qui a fait une révolution pour sa dignité et qui a donné à cette révolution le nom d’une fleur. Un pays dans lequel il y a un musée, et dans ce musée on peut voir une fresque romaine dont la photo illustrait nos livres de latin, en cinquième.  Ce musée, c’est le Bardo, un hymne à la civilisation méditerranéenne lorsqu’elle chante le bonheur de vivre et d’accueillir ses amis dans la joie, avec des blagues, des fruits et des olives. Ce pays, c‘est la Tunisie, et puisque le printemps arrive, et qu’ils ont besoin de notre soutien comme nous avons eu besoin du soutien du monde après le 11 janvier, j’invite chacune et chacun à suivre l’exemple du blogger El Kasbah et à réserver au plus vite un week-end pour aller voir ou revoir ce pays, ce musée, cette fresque. Nous aussi nous avons été frappés, et nous espérions peut être pouvoir enfin tourner la page avec l’arrivée des beaux jours, retrouver une vie normale. Mais il n’y a pas de vie normale. Il y a la vie tout court, celle que nous devons vivre avec dignité, celle qui demande des actes de solidarité avec nos frères tunisiens. Pour qu’à nouveau, pour que toujours, come au temps d’Ulysse et de Virgile, la Méditerranée ne sépare pas les peuples, mais les relie.

Méditerranée

Césars 2015 Timbuktu fait briller l’Afrique


Ravi que Timbuktu (bande annonce), le très émouvant film du mauritanien Abderrahmane Sissako, ait remporté sept statuettes aux Césars 2015, avec un petit clignement de joie supplémentaire pour l’acteur Reda Kateb, excellent dans le Serment d’Hyppocrate et aussi dans Loin des hommes, de David Oelhoffen qu’il faut vite aller voir avant qu’il ne disparaisse des écrans.

Bien sûr, il y a le contexte, l’esprit du 11 janvier : la société du spectacle  s’octroie facilement un brevet de  largeur d’esprit valorisant la diversité : « vous voyez, on ne tombe pas dans l’amalgame, la preuve on récompense un film africain, et même sept fois ». A moins qu’elle n’ait voulu nous rassurer : « DAECH est aux portes de l’Europe, les terroristes sont parmi nous, mai voyez il y a encore des gentils imams qui tentent de résister à la stupidité criminelle au nom d’un islam traditionnel plus humain, et de jolies amoureuses africaines qui chantent avec une belle voix traînante ».

Mais réjouissons-nous tout de même, en toute simplicité.  Les Césars étaient largement mérités, car Timbuktu est un film magnifique. Il va falloir s’habituer dès aujourd’hui à prononcer le nom d’Ab-der-rah-mane Sis-sa-ko (vous voyez, Nathalie Baye, ça n’est pas si difficile, comme le disait Alex Taylor sur France Inter en se moquant gentiment de l’actrice francilienne qui butait sur ces syllabes). Allez on le ré-écrit une dernière fois pour le moteur de recherche de Google et pour les lecteurs distraits, il s’agit d’Abderrahmane Sissako.

Avec ce film, c’est l’Afrique d’aujourd’hui qui fait irruption sur notre écran mental. Une Afrique pleine de vie, de dignité, qui ne mendie pas mais qui lutte pour s’en sortir malgré les obstacles. Depuis toujours, la ville de Timbuktu (Tombouctou) était la porte du continent pour les voyageurs venus du nord. C’était une ville savante, où des familles se transmettaient de siècle en siècle de très riches bibliothèques avec l’amour des livres et du savoir. L’esprit de résistance dont font preuve ses habitants dans le film puise à cette source-là, dans la fierté d’une culture ancienne que l’on venait consulter de très loin. Lorsque sont arrivés les imposteurs, ces familles ont caché les précieux manuscrits ou les ont évacués a péril de leur vie.

Quelles que soient les motivations des votants, retenons pour l’histoire que dans dix ans, lorsqu’un film issu du continent africain remportera son premier oscar à Hollywood, on se souviendra peut-être que la première marche aura été gravie ici, à Paris. Réjouissons-nous aussi de cela, d’être citoyens d’une ville où l’on sait accueillir un tel chef d’oeuvre. Des dialogues ciselés, dans plusieurs langues, car l’Afrique est tout aussi polyglotte et multi-culturelle que bien des métropoles occidentales. On se souviendra peut-être d’avoir entendu cette réplique : « porter des gants pour vendre du poisson? Coupez-moi les mains tout de suite ». Révolte et dignité.

A propos de gants, mon ami italien Francesco T… me racontait avec beaucoup d’émotion sa visite à Tombouctou, en l’an 2000 : les gants, ce jour-là, étaient imposés pour tourner les pages des livres conservés dans l’immémoriale bibliothèque.

Ce film, il faut le voir pour son message, bien entendu, mais aussi pour ses actrices et ses acteurs, pour sa lumière, pour ses cadrages tellement généreux qu’on croit voir passer, entre deux dunes, la si légère ombre du Petit prince et de son renard apprivoisé.

Ce film ose regarder l’horreur en face mais sans tomber dans la complaisance.  Il faut se laisser bercer par la douceur et la mélancolie de sa musique, y puiser de l’amour et du courage.

Et puis tiens, une idée entendue récemment pour lutter contre l’obscurantisme : et si on ouvrait les bibliothèques le dimanche? Chiche?