La peur nous accompagnait depuis si longtemps qu’elle nous était devenue familière : une ombre imperceptible, une partie de nous-mêmes. Elle assombrissait l’éclat de nos jouissances, ralentissait l’élan de nos paroles et de nos gestes.
Celui qui serait venu nous dire : « on peut vivre sans peur », l’aurions-nous écouté ?
Or, tandis que s’approchaient les derniers jours de l’été, quelque chose d’incroyable se produisit. La peur nous apparut soudain comme un hôte indésirable. Son poids devint trop lourd, et nous avons cherché le moyen de nous en débarrasser.
Nous avons commencé par repérer ses traces, discrètement, pour ne pas alerter sa vigilance. Nous avons reconnu son ombre sur les photos, les zones plus ternes sur la carnation de nos visages, où l’on discernait sa présence.
C’est alors que nous avons compris : la peur était partout. Son empire était immense, elle régnait jusqu’au plus profond de nos cellules, jusque dans les recoins les plus reculés de notre cerveau dont elle réorganisait les circuits à notre insu.
Il allait falloir agir avec résolution, avec une ruse, une persévérance infinies. Il nous faudrait nouer contre elle de solides alliances et nous forger des armes. La guerre serait longue et cruelle. Enfin, nous sommes parvenus au cœur du système, dans son repaire le plus profond. Après des mois d’une traque impitoyable, la peur était face à nous, gigantesque, obèse, nourrie de tous nos sacrifices, de nos prières, de nos renoncements, enhardie par nos offrandes. On ne voyait que ses pieds, tandis que sa tête se perdait dans les nuages.
Nous avons senti notre courage nous abandonner devant le mur de la cascade grondante. Le vacarme était assourdissant. La vapeur amollissait notre résolution. Alors, l’un d’entre nous a eu l’idée de tendre une passerelle jusqu’à l’autre bord et c’est ainsi que nous sommes passés, tout d’abord en rêve, puis pour de bon.
(rappel : lire la fin du courage, de Cynthia Fleury)
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