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Vous avez dit futile?


 

Il fait si beau ce matin, le ciel est si pur, que je dois m’excuser par avance auprès de vous d’aborder un sujet plus grave que de coutume. Un sujet que l’on peut aussi choisir de traiter d’une touche légère, avec bienveillance, comme on accueille chez soi un visiteur trempé sous l’averse. Il s’agit de la peur, et des ressources qu’elle nous permet de mobiliser.

La peur est une déferlante. Il faut la prendre à plein corps, de face, et se laisser traverser par elle pour se retrouver ensuite hébétés, glacés mais debout, rassemblés, tonifiés, vivants.

Il suffit d’une alerte un peu sérieuse pour soi-même ou pour ses proches et toute la légèreté de l’été s’évapore. Quand le bon fonctionnement du corps n’est plus garanti, on se sent comme le passager d’un bateau sur lequel vient de se déclarer une voie d’eau. La certitude de rejoindre le rivage, sur lequel on se tenait tout à l’heure, heureux parmi les autres vacanciers, scrutant l’horizon où se déployaient des voiles multicolores, se dérobe.

Les courants, les remous nous déstabilisent. Notre perception de l’environnement se modifie. La mer dans laquelle on se baignait il y a quelques heures avec tant de confiance et de plaisir s’est tout à coup transformée en un risque mortel qu’il nous faut parer à tout prix. Toutes nos facultés se concentrent et le stress, augmentant nos forces et notre vigilance, réduit notre champ de vision pour en éliminer tout ce qui ne concerne pas le danger immédiat.

Pourtant, la beauté du monde qui nous entoure n’a pas disparu. La même lumière continue ses jeux argentés sur la crête des vagues, mais nous la ressentons comme une présence indifférente, ironique ou cruelle, pareille à ces dieux de l’antiquité se divertissant au spectacle du malheur humain.

Il faut une volonté particulièrement bien entraînée pour continuer à jouir de tout ce qui était là, tout à l’heure, et qui n’a pas changé. Apprendre à s’en nourrir, à puiser force et courage dans ces éléments qui ne nous veulent rien, ni bien ni mal.

Maintenir cette alliance est un travail de tous les instants, dans lequel s’aiguise notre perception. Il nécessite une impeccable clarté d’esprit, un amour de la vie chevillé au corps, et quelque chose de plus : la persévérance des sportifs de haut niveau, des musiciens, des ingénieurs, ou de quiconque a besoin d’atteindre et de maintenir le plus haut niveau de performance. C’est une décision qu’il nous appartient de prendre. Quel regard choisissons-nous de porter sur les événements qui nous affectent ? Si nous le voulons, tout, même la peur, se transforme en ressource. Le moindre caillou sur le chemin devient trésor, l’obstacle une occasion d’exercer notre agilité. Aimons la peur, à condition de la chevaucher habilement : soyons champions de surf, épousons la vague, absorbons toute son énergie pour rejaillir, là-haut, dans le soleil, terrifiés mais ravis.

Si vous êtes encore en vacances, pardon pour le ton sérieux de cette chronique. Voyez-là comme une ligne d’horizon, d’un bleu plus foncé, qui rend par contraste encore plus éclatant le bleu joyeux de la mer la plus proche. Entendez-là comme un appel à goûter l’instant présent, à le savourer dans tout ce qu’il a d’éphémère et de précieux. Considérez-la comme un bruit qui, lorsqu’il cesse, rend au calme environnant toute sa plénitude. Appréciez l’imperfection dans la perfection.

Comme le chantait Léonard Cohen :

« Il y a au cœur de toute chose une fêlure,

Et c’est par elle que passe la lumière »

 

Coup de coeur à Edgar Morin


Après Stéphane Hessel et son best-seller « Indignez-vous », un autre vieillard indigné, Edgard Morin, nous livre dans la Voie Humaine ses réflexions sur l’année 2010 : « Partout les forces de dislocation et de décomposition progressent. Toutefois, les décompositions sont nécessaires aux nouvelles compositions, et un peu partout celles-ci surgissent à la base des sociétés. Partout, les forces de résistance, de régénération, d’invention, de création se multiplient, mais dispersées, sans liaison, sans organisation, sans centres, sans tête.  »

« L’année 2010 a fait surgir en Internet de nouvelles possibilités de résistance et de régénération » (…)  » Ce qui est remarquable est que les Etats ne se préoccupent nullement de maîtrise ou au moins contrôler le « marché », c’est à dire la spéculation et le capitalisme financier, mais par contre s’efforcent de juguler les forces démocratisantes et libertaires qui font la vertu d’Internet. La course a commencé entre le désespérant probable et l’improbable porteur d’espoir ».

Quelle magnifique lucidité, quelle force de conviction!

On a mentionné le rôle des réseaux sociaux dans la révolution tunisienne. Les outils sont là, que souhaitons-nous en faire? Dans la sinistrose ambiante, la bonne nouvelle, c’est qu’il y a une envie d’agir, et le paradoxe apparent est que ce sont ici des vieillards qui montrent la voie. De l’autre côté de la Méditerranée, la jeunesse a bravé tous les interdits. Que ce soit pour les peuples ou pour les individus, rien de grand ne se fait sans tout d’abord vaincre sa peur.

Il y a dans l’air une odeur de jasmin.

Traversée de la peur


La peur nous accompagnait depuis si longtemps qu’elle nous était devenue familière : une ombre imperceptible, une partie de nous-mêmes. Elle assombrissait l’éclat de nos jouissances, ralentissait l’élan de nos paroles et de nos gestes.
Celui qui serait venu nous dire : « on peut vivre sans peur », l’aurions-nous écouté ?
Or, tandis que s’approchaient les derniers jours de l’été, quelque chose d’incroyable se produisit. La peur nous apparut soudain comme un hôte indésirable. Son poids devint trop lourd, et nous avons cherché le moyen de nous en débarrasser.
Nous avons commencé par repérer ses traces, discrètement, pour ne pas alerter sa vigilance. Nous avons reconnu son ombre sur les photos, les zones plus ternes sur la carnation de nos visages, où l’on discernait sa présence.
C’est alors que nous avons compris : la peur était partout. Son empire était immense, elle régnait jusqu’au plus profond de nos cellules, jusque dans les recoins les plus reculés de notre cerveau dont elle réorganisait les circuits à notre insu.
Il allait falloir agir avec résolution, avec une ruse, une persévérance infinies. Il nous faudrait nouer contre elle de solides alliances et nous forger des armes. La guerre serait longue et cruelle. Enfin, nous sommes parvenus au cœur du système, dans son repaire le plus profond. Après des mois d’une traque impitoyable, la peur était face à nous, gigantesque, obèse, nourrie de tous nos sacrifices, de nos prières, de nos renoncements, enhardie par nos offrandes. On ne voyait que ses pieds, tandis que sa tête se perdait dans les nuages.
Nous avons senti notre courage nous abandonner devant le mur de la cascade grondante. Le vacarme était assourdissant. La vapeur amollissait notre résolution. Alors, l’un d’entre nous a eu l’idée de tendre une passerelle jusqu’à l’autre bord et c’est ainsi que nous sommes passés, tout d’abord en rêve, puis pour de bon.

(rappel : lire la fin du courage, de Cynthia Fleury)

AVARAP : école de courage.