Bonheur de l’attention choisie


Je vous écris d’un hôtel sinistre, à Tunis, à la fin d’une journée bizarre. (Le mot « sinistre » est largement exagéré, mais il sonnait bien, pardon pour la fausse alerte). Le sujet du jour n’est pas des plus roses non plus : BuencaRmino ne s’intéresse pas qu’au dessin, à la PNL et aux sympathiques petits colibris. Parfois, des thèmes plus difficiles requièrent notre attention. Il faut les traiter aussi,  par souci d’équité, par goût du défi : pour voir jusqu’où on peut aller.

Celui-ci m’encombre l’esprit depuis quelques semaines. Le 15 août, après le suicide de Robyn Williams, mon amie Jeannie Javelosa a posté ce message sur son profil facebook. Je le traduis aujourd’hui, surmontant ma réticence à aborder ce thème pas très « fun ». Parce que cela me paraît plus que jamais nécessaire. Dans son message, elle parlait de la dépression, de ces souffrances cachées autour de nous, que nous ne voulons pas voir. Elle nous invitait à être attentifs, à prendre soin les uns des autres, à ne pas craindre de voir la face laide, rugueuse, de l’existence. Elle écrivait : « il peut arriver à chacun d’entre nous de traverser des moments difficiles. Saviez-vous que les gens qui paraissent les plus forts sont souvent les plus sensibles ? Saviez-vous que ceux qui prennent toujours soin des autres sont souvent ceux qui ont le plus besoin qu’on prenne soin d’eux ? Saviez-vous que les trois choses les plus difficiles à dire sont « je t’aime », « pardon », et « j’ai besoin d’aide » ? Parfois, il faut aller au-delà du sourire d’une personne qui semble heureuse pour percevoir comme elle souffre en réalité. » Jeannie et moi avons tous deux perdu des proches qui, un beau jour, n’ont pas trouvé l’énergie de vivre une minute de plus. Il faut en parler, à tout prix, briser le tabou. Mais pas à la manière ignoblement commerciale dont le fit une grande agence de communication proposant d’en faire un « sujet de conversation », comme on dit aux Etats-Unis. Prévention, oui, récupération, non merci.

Voilà plus d’un mois que, sur l’invitation de Jeannie, j’ai re-posté cet appel à la vigilance et à la compassion sur mon profil, sans mettre à exécution mon intention originelle de le traduire. Et puis voici qu’un article du Monde consacré à l‘essayiste suisse Yves Citton, (lien ici) spécialiste du « capitalisme attentionnel », revient sur le sujet de l’attention. Abordé sous un angle économique, cela donne : « l’attention est devenue le capital de ce nouveau monde, sa richesse et l’objet de toutes ses convoitises ». Et bien sûr, pour faire monter sa « cote », il faut éviter comme la peste d’écrire sur des sujets tels que le suicide ou la dépression. Tant pis pour ma cote. Que dit-il encore ? « Nous sommes à la croisée des Chemins. Chacun peut apprendre à gérer ses ressources attentionnelles (!) pour être plus « compétitif »… ou alors, nous pouvons apprendre à nous rendre plus attentifs les uns aux autres, ainsi qu’aux relations qui tissent notre vie commune ». Yves Citton écrit sur des sujets peu propices à attirer l’attention, justement. Ce qui le rend tout à fait sympathique.  Amoureux des livres, il propose une « écologie de l’attention » (liens ici  et ici)

On y trouve cette idée que l’attention profonde – aux autres, à des musiques, à des œuvres d’art, nous propose une  qualité d’expérience extraordinaire à condition de savoir nous rendre disponibles et de faire ce choix consciemment. C’est ici que reviennent les roses : leur parfum nous promet bonheur et puissance. Vous les méritez bien, vous qui avez fait l’effort de lire jusqu’ici.

3 réponses à “Bonheur de l’attention choisie

  1. Merci pour ce texte magnifique Robert!
    Il suscite en moi des réflexions qui ont besoin de « sortir », pour me lâcher, enfin ! Ce thème, cette qualité de l’attention me sont chers, suscitent de grandes questions : bonheur? Peut-être. Sacerdoce, souvent.
    Je vois ci-dessus deux types d’attention : l’une, fonctionnelle, car effectivement notre cerveau se développe au contact de « l’autre », se nuance en fonction de ce qu’on lit, des personnes que l’on côtoie, etc…(voir le livre magnifique « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » de co-auteurs notoires). Celle-là suscite maintes questions sur son devenir, face à tous les réseaux, outils, etc, qui se développent. Celle-là à mon sens uniquement peut (?) se « commercialiser ». Mais je mise que cela n’ira pas bien loin !
    L’autre, essentielle, vitale à chacun, ne se monnaie pas, ne s’invente pas, sans bien sûr qu’il y ait une frontière imperméable entre les deux. Je pense que face à quelqu’un de « faussement » attentif, un signal d’alarme, une « incongruence », se déclenchent. Et s’il est déjà tellement difficile de se confier, d’appeler à l’aide, le fera-t-on face à quelqu’un que l’on ne ressent pas « vrai »?Car être attentif dans ce sens noble du terme implique d’aimer l’autre, de le respecter en sa qualité d’Être.
    Je suis d’accord : avec plus d’attention, de compassion les uns envers les autres, tout irait bien mieux. Mais dans des cas extrêmes, toute l’attention du monde peut-elle vraiment quelque-chose pour quelqu’un qui ne « peut » plus? Je ne le pense pas. Je l’espère, mais… »Je t’aime’, oui. « Pardon », oui. « J’ai besoin d’aide »…? Grande question. Peut-être pour pouvoir le dire faut-il aussi avoir entendu en face une « permission », un « possible » qui ne sont pas toujours possibles (faciles) à octroyer. Il faut alors une grande force et/ou un grand Amour. Peut-être le plus grand des amours ou la plus grande des forces sont-ils d’essayer d’ouvrir cette porte en acceptant en toute humilité que l’on ne pourra pas grand-chose? Peut-être pouvons-nous pour le moins être là pour ouvrir cette porte? Bien sûr, j’ai aussi vécu cela, quoi faire d’autre? Chacun de nous n’est-il pas au final seul dans les moments clefs de sa vie – ou de sa mort?
    Et surtout, cette attention là peut-elle se « créer »? Se « gérer »? Je ne le pense pas. Tout au plus se comprendre et se développer, se canaliser aussi avec le temps…Elle me renvoie à ceux que l’on appelle les « hypersensibles », en prise permanente avec leur environnement…Quel enfer ! Et / ou quel Bonheur !
    Merci pour ces partages !

  2. Bon ce matin, je t’ai regretté, et je crois aussi que j’ai dit « je t’aime » au groupe en parlant de mon métier !
    Amitiés à toi, c’est super tes textes, je n’ai juste pas assez de temps pour les lire profondément !
    M

    • Merci Matthieu et Elisabeth pour vos commentaires.

      Vous avez raison, Elisabeth: pour pouvoir (oser) demander de l’aide, il faut percevoir une permission, et c’est pourquoi je « nous » invite tous, moi-même compris, à essayer du mieux que nous pouvons d’être attentifs et de donner cette permission à l’autre, d’un regard ou de la parole. Il m’est arrivé récemment de devoir refuser quelque chose à une voisine et pourtant je savais que cela avait dû lui coûter de faire cette demande, aussi, j’ai ajouté : mais vous avez eu raison de demander, n’hésitez pas à une autre occasion. Pour la libérer de toute gêne, comme font si bien les japonais. Huit ans d’Asie, c’est formateur.

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