Ce mot, sidération. Je repense à New York dans les jours qui ont suivi le 11 septembre. Ce qu’en disait mon ami D…, bien des années plus tard, tandis que nous marchions le long des quais de Paris jusqu’à la passerelle Simone de Beauvoir. Les new-yorkais soudain devenus plus attentifs les uns aux autres, comme les parisiens en ce moment.
Sidérés, les habitants du onzième arrondissement qui n’en peuvent plus des bougies et des fleurs, qui voudraient retrouver une vie normale, une vie comme avant, mais comme avant c’est passé comme le vent, ca ne reviendra pas plus que le vent. Comme avant c’est mort même si Paris vit tout de même sa drôle de vie. La place de la République transformée en mausolée. On pourrait la renommer Place de la Compassion, qui rime avec Nation. Bien loin de la Concorde et de tout espoir d’harmonie. Joli mot, pourtant, la Concorde. Maquillage réussi pour une scène de crimes à répétition.
Paris n’arrive pas à tourner la page en ce mois de janvier qui ne décolle pas. L’année commence avec des semelles en béton. Subir ces pesanteurs rendues plus insupportables encore par le bavardage des sachants. On se réfugie dans le cocooning, il paraît que le rose quartz est tendance. Après le sang, c’est la guimauve qui dégouline. Vomir serait thérapeutique. Ne chercher de refuge qu’en soi-même, mais un soi collectif, un soi qui se reprend, qui se parle et se tient debout. Un soi qui devient nous.
Ne trouver de salut que dans cette ouverture. Vivre la déchirure sans tenter d’atténuer la douleur, mais s’appuyer sur elle. Poser notre échelle sur ce mur afin d’aller voir ce qui pousse de l’autre côté. Viser plus haut, plus intense, oser cela. Ce que je crains le plus ce sont les colères qui ne sortent pas. Celles qu’on rumine en boulottant du chocolat, devant la télé. Sortir de la sidération. Mais quand? Comment? Chanter la Marseillaise c’est bien, ça dégage les bronches, et puis? On accroche au balcon son défi tricolore, on crie « même pas peur » en noyant ses pleurs, le chagrin ne passe pas. Ce qu’il nous faudrait c’est du rock, du rap, de la poésie rugueuse, irascible.
Il nous faut de vrais artistes-alchimistes, capables de transformer le plomb en or, les ruines en corps doux d’aquarelle, comme Anselm Kiefer et ses drôles de livres â la BNF. A la fin de l’expo c’est un corps de femme, et le pinceau retrouve le langage de l’amour. A la fin, tout à la fin. Mais l’important, c’est que ce soit possible. C’est de croire au parcours, à la sortie du labyrinthe. Une main, qui tient une autre main, puis une autre. Une parole qui circule. Des regards qui cherchent et trouvent le visage de l’autre. Un jour, peut-être, on en fera même une chanson.
Oui, je crois que l’on a besoin de parler et c’est bien que certains le fassent pour les autres. Le pouvoir de la narration est immense. Transformer le plomb en or ? Oui, avec les sciences, les arts, les sens et la glorification du travail. Comme orientation dans le labyrinthe.
Sinon, les plus beaux textes sur la sidération et autres regards (fascination) que je connaisse sont ceux de Pascal Quignard, l’excellent Pascal Quignard, qui regarde dans les scories ou les interstices de l’histoire.
Marrant, je pense maintenant qu’à l’époque où le labyrinthe était initiatique, il n’y avait pas le 2.0 ! Donc bon voyage à ce blog !
Bonjour
Merci à toi. Quelques réflexions :
1- je milite pour un monument au mort propre, à la façon de ceux qui existent dans tous les villages de france. Un monument simple, pure, hommage.
2- je partage le fait qu’il faut avancer et qu’un quartier ne peut se transformer ainsi, aussi louable soient les pensées.
3- je ne veux pas oublier quand même, mais il appartient à chacun de le garder comme il l’entend. Je passerais le message à mes enfants aussi et un jour mes petits-enfants.
4- L’art est un formidable levier pour avancer : la douleur peut s’exprimer avec beauté, sortir de nos corps pour devenir visible et réel.
Merci
MJ
Un monument propre, oui, pour canaliser le besoin de rituel sans assombrir tout un quartier, une place de la République où la vie doit continuer d’affluer au rythme des saisons. Bien sûr il ne faudra pas oublier, comment le pourrait-on d’ailleurs, mais expliquer, surtout. Quoi? Quel message? Quand? Chaque famille aura sa réponse, j’espère que nous en trouverons une collective, digne de ce pays. Je crois surtout que l’ar et la culture sont un élément clé de cette réponse. Je l’ai souvent écrit, j »y reviendrai souvent. Merci Matthieu pour tes commentaires, qui me donnent le sentiment d’écrire pour de « vrais » lecteurs.