- Immensité du champ bleu, vu depuis le sommet du pont. Le cœur dilaté bat plus fort.
- Nicolas m’accueille de sa voix haut perchée, grands gestes. Il me conduit tout au bout de l’île, à Saint-Clément, dans la maison de pêcheurs achetée par son père au début des années 70. Chaque fois qu’il revient de Bangkok, tous les trois ou quatre ans, il y reçoit ses amis, se repose, lit, se baigne et retrouve ses souvenirs d’enfance. Nous avons les mêmes, et renouons bien vite avec nos anciennes conversations de Manille.
- On parle aussi de la tempête et de ses conséquences. Dans toutes les communes de l’île, on s’affaire à reconstruire les digues. Ici et là, des pins brûlés par le sel attendent la tronçonneuse. Pour l’essentiel, rien n’a changé. Les hérons du Martray sont partis nicher un peu plus loin dans les marais. L’espace est préservé, l’expansion des villages limitée. Couleurs, proportions : tout est juste, agencé comme une fugue de Bach. Dissonance interdite, sauf dans la maison confortable et sans prétention.
- Au dîner, les amies canadiennes de Nicolas racontent leur séjour dans un temple birman, la difficulté de se déplacer en France avec un fauteuil roulant, la vie dans une société multiculturelle. On leur décrit les familles versaillaises venues retrouver « les vraies valeurs » sur cette île où les humains sont moins divers que les oiseaux.
- Fraîcheur inattendue pour un mois d’août. Les roses trémières et les belles de nuit frissonnent dans l’étroit jardin.
- Vélo dans les marais, puis vers la côte sauvage. Lumières, senteurs. Tout en haut, la note de tête herbacée, puis le fond : iode et goémon, vase à marée basse. Par endroits, la digue effondrée se mêle aux vieux bunkers glissant dans le flanc des dunes. Réparer les dégâts va coûter de plus en plus cher. Tout peut se déliter demain si les finances ne suivent plus. Les oiseaux resteront.
- Photos à faire, ou pas. Le compact suffit pour noter des idées d’image à reprendre un jour si je reviens avec le bon matériel. Etre là, prendre son temps, s’imprégner de la lumière. Par temps couvert, tout est si plat. Le marais se dérobe, rien n’accroche : ni les mots, ni les images. Cette ridicule idée qu’il suffit de s’y coller tous les jours pour que la magie naisse. Eh non ! Le marais donne, ou pas. Il va bientôt m’offrir une fameuse leçon d’écriture, mais chut !
- Au retour, un arc en ciel se déploie juste au-dessus du clocher d’Ars.
(mardi 3 août)