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L’île intérieure 1 retour du voyageur


De cette île j’ai souvent décrit les paysages, puis les impressions qu’ils faisaient naître en moi, puis j’ai tenté de capter quelque chose de subtil qui se distillait peu à peu : une image constituée de mille couches amalgamées, condensées, transformées au fil des ans, organisme composite vivant une vie mystérieuse, autonome, imprégné des souvenirs, des rêves et des conversations tissées en marchant sur la plage, à marée basse, des observations notées en sillonnant à vélo les marais, en promenant le chien le soir dans les dunes ou méditant à l’aube, les jours de pluie. Cette image-éponge incorpore peu à peu des souvenirs d’enfance amenés là par les courants de la mémoire : cirés de mes cousins voileux suspendus sur un fil à linge, en Normandie, jetant leurs éclats d’un jaune cru dans la lumière indécise, le vert émeraude intense des salades de mer et la chevelure abondante des goémons accrochés à leur socle de granit en Bretagne. S’ajoutent à tout cela les couleurs de souvenirs imaginaires, développés le plus souvent à partir d’une image, comme cette gravure d’une marine devant laquelle je m’endormais, le soir, dans la villa de la côte normande où nous passions le mois de juillet. Tendant mon esprit vers l’autre côté de l’Atlantique, je voyais se dérouler de furieuses batailles navales en baie de Chesapeake, sous le regard des indiens dissimulés à l’ombre des forêts. Plus tard, à l’île d’Yeu, réveillé bien avant l’aurore par une escadrille de moustiques enragés, j’écoutais sur ma petite radio portable la météo marine et le Jamboree musical de Laurent Voulzy, élargissant le périmètre de mes impressions et de mes divagations à des mondes toujours plus lointains, plus divers et plus riches. Bientôt, je partirais les explorer pour de vrai. Mon appétit de voyages me conduirait vers ces villes, ces pays, ces continents, à la rencontre de ces peuples dont je tentais de deviner la culture en écoutant leurs chansons. J’irais jusqu’en Asie, où je connaîtrais les pluies tropicales tombant avec fureur sur la terre détrempée, des journées entières. Mes pieds s’enfonceraient dans un sable brûlant, vierge de toute empreinte humaine, et je goûterais des mangues d’une suavité sans pareille, le matin, face à la baie de Manille. Ce pays m’a transformé. Je m’en suis imprégné. L’humour cocasse des Philippins, leur capacité à rire de toutes leurs misères, leur gentillesse ont changé mon regard sur la vie. La pauvreté, la crasse et l’odeur de vomi n’ont fait qu’enrichir de saveurs plus fortes et plus contrastées cet adobo longuement mijoté. Matamis, mahirap, masaya : douce, dure, et drôle. La vie.
J’ai retrouvé tous ces visages, un soir, en regardant avec mon père l’émission d’Alexandra Alévêque « Drôle de ville pour une rencontre ». L’infernale vitalité de Manille m’a de nouveau sauté à la figure. Une séquence de l’émission montrait des familles installées dans le cimetière nord, oasis de calme au milieu de la gigantesque métropole. Une femme d’âge moyen moyen faisait découvrir la vue depuis la terrasse du caveau funéraire de son propre père. C’est là qu’elle habitait. A la journaliste stupéfaite, ils expliquaient que c’était l’un des rares endroits où l’on trouvait encore à se loger, dans la ville la plus dense du monde. Du linge séchait entre les tombes. Un coiffeur y proposait ses services à côté d’une épicerie minuscule et d’une école élémentaire improvisée. Dans cette ville où la mort peut vous prendre à tout âge, sous les traits d’un moustique ou d’un chien enragé, une telle cohabitation n’a rien d’exceptionnel. Il faut bien vivre, et c’est ce qu’ils font.

Je suis rentré en France.
J’ai revu plusieurs des témoins de cette enfance, récemment, lors d’une cousinade étendue jusqu’à à des branches éloignées de la famille de mon père. Nous avons beaucoup ri en imitant la voix de personnes disparues, partagé d’infimes détails connus de nous seuls, ajouté dans ce tableau les nouvelles générations, poursuivant le travail de la vie qui ne cesse de créer. Nos vies suivent des cours différents, mais nous accédons toujours à l’île intérieure, ce morceau de souvenir dont les contours, comme les îles de la Loire, se métamorphosent au fil des saisons.

La plage de la Conche île de Ré

ce qu’il y a de plus beau


Juste une image, aujourd’hui. Pour que la douleur la plus violente n’ait pas le dernier mot. Soleil brûlant comme ce trou dans mon âme. C’était à Manille, une photo prise depuis mon balcon, au soleil couchant, vers 2003-2004. Face à la baie, « Nous aurons dit souvent d’impérissables choses » etc. (Baudelaire, Au Balcon). La poésie n’était pas un art, c’était l’écrin même de la vie. C’est vers cela qu’il faudra tendre, lorsque les mots reprendront du poids, de la forme et de la consistance, lorsqu’il sera de nouveau possible de les tailler pour construire avec eux quelque chose qui tienne. A cet enfant que l’a vie m’arrache aujourd’hui, je veux offrir ce qu’il y a de plus beau. Puisque le soleil nous dévore, il faudra plonger avec lui tout au fond de l’espace,  prendre tous les risques, et chercher, chercher sans fin ce qui est déjà là. Fondre dans sa substance. Accueillir ce qui naît. Le seul remède à la douleur, c’est de la consumer.

Le soleil je rêve

Back in the Philippines


And so I am back in the Philippines, surrounded by familiar and unfamilar faces. It starts in Abu Dhabi airport, as hundreds of Filipinos working in the Middle-East, otherwise known as Overseas Foreign Workers (OFWs), prepare to board the plane. A unique ambience, made of excitement and nostalgia, as the accumulated pain and repressed fears comes closer to the surface. Some of these people have not been home for years. They long to see their relatives, to feel home again, and safe. That feeling is so palpable and moving, even a foreigner like me gets the goose bumps.

Then in Manila, the pervasive sound of laughter bubbles up around me, in malls, in elevators, in meeting rooms, in the street. People keep laughing all the time, about anything, and this is so refreshing. Its a question of attitude, a way of looking at life.

My French friends find it hard to believe I am actually here for work, but how can I ever explain how much work here can at the same time be pleasure? French companies based here know about this unique mix of professionalism and joie de vivre, as can be seen on their facebook page. Go for pink and apple green, ye super-accountants, engineers, managers!

When you are really good at what you do, and you work so hard, you can afford to go a little crazy from time to time.

And of course the culinary trip to pampanga with a bunch of ladies and art-buffs, the Beti church, Art-Nouveaux houses lost in the middle of dusty villages and the splendid swamps where birds come from all over Asia. As always the best stories come at sunset, like the great-grand mother who would be taken out of her grave by the villagers once a year for all saint’s day and exposed for a couple of days until she was authorized to go back rotting undergrouond. Now I understand better the crazyness of certain Filipino movies.


And by the way, who murdered the cute little turn-of-the Century koleyiala?

Manille remix


En route pour Manille!

Que rapporter, sans appareil photo? Des dessins, des odeurs, des sons, des couleurs, des saveurs et surtout des conversations entrelacées les unes aux autres comme ces paniers que tressent les femmes des montagnes.

La jeunesse d’Asie regarde l’avenir droit dans les yeux, affronte courageusement les obstacles et rit, rit, rit à pleine gorge. Mashable Manila : le remix créatif est-ouest ne vaut pas que pour la mode.

Travailler avec eux, c’est un plaisir, un honneur, une récompense.

J’aimerais tant que l’on regarde aussi ce côté-là, cette énergie bouillonnante, sans nier la pauvreté, la saleté repoussante, la pollution qui vous pique les yeux, vous brûle les poumons. Juste une question d’équilibre.

Que l’on rende justice à leur diginité. Et pour ceux qui n’ont pas le temps ou le goût de s’y rendre, allez voir les films de Brillante Mendoza, en commençant par le bouleversant John John ou Lola, celui sur les deux grand-mères, sorti l’année dernière. Je n’avais encore jamais vu autant d’empathie dans un traveling.

Coup de coeur à Yuthinaï


Les petits de la mouette ne sont pas forcément des mouettes

Ca s’appelle Yuthinai, c’est le blog de mon pote Thibaud Saintain, qui essaie de donner le goût de la lecture et de l’écriture aux enfants du lycée français de Bangkok, et c’est super rafraîchissant.

Thibaud intervient souvent ici, dans Buencarmino. C’est la continuation d’un dialogue commencé en 2003 chez les L…, au 38ème étage de la tour « Pacific quelque chose », à Manille, dans un quartier en construction qui ressemblait au milieu de nulle part sauf que nulle part en fait c’étaient des bidonvilles et un cimetière militaire américain (avant de mourir en Irak puis en Afghanistan, les miliaires américains avaient l’habitude de mourir dans un certain nombre d’endroits de la planète assez variés, de préférence après avoir réglé leur compte à des allemands ou à des japonais mais pas Murakami qui n’était pas né).

Je ne sais plus à quel moment la conversation est sortie des rails, on a délaissé la politique, la littérature et les Philippines pour parler de la Sarthe. Thibaud, enfin une partie de sa famille, est originaire de Saint Denis des Coudrais, et pour anticiper sur la critique de la Carte et le territoire disons que les rillettes sont un liant social inattendu mais certain pour la qualité de l’émotion. Il ne s’agit pas de jouer ici les ânes du Poitou, les imbéciles heureux qui sont nés quelque part, mais d’opposer un minimum de granularité à l’ébrasement généralisé par les meules financières (monstre doux) qui rétrécissent le monde à de petites lumières clignotant faiblement du haut d’un trente-huitième étage, comme une piste d’atterrissage pour jets privés. Parler de la Sarthe, aussi, c’était une façon de prendre un peu de distance avec la moiteur de Manille,

Les spoutniks de Roxas boulevard

avec la corruption, la cruauté, le chaos de cette ville-vampire emblématique du siècle qui commence. On ne regarde plus la France de la même façon quand on a respiré l’odeur d’urine et de vomi rance à Malaté, à Tondo ou à Pasay city.

Les « moi tout seul » de ces enfants sont autant de petits grains de diamant coincés dans la meule, et j’aime ça.

Pastilles de Ré



  1. Immensité du champ bleu, vu depuis le sommet du pont. Le cœur dilaté bat plus fort.
  2. Nicolas m’accueille de sa voix haut perchée, grands gestes. Il me conduit tout au bout de l’île, à Saint-Clément, dans la maison de pêcheurs achetée par son père au début des années 70. Chaque fois qu’il revient de Bangkok, tous les trois ou quatre ans, il y reçoit ses amis, se repose, lit, se baigne et retrouve ses souvenirs d’enfance. Nous avons les mêmes, et renouons bien vite avec nos anciennes conversations de Manille.
  3. On parle aussi de la tempête et de ses conséquences. Dans toutes les communes de l’île, on s’affaire à reconstruire les digues. Ici et là, des pins brûlés par le sel attendent la tronçonneuse. Pour l’essentiel, rien n’a changé. Les hérons du Martray sont partis nicher un peu plus loin dans les marais. L’espace est préservé, l’expansion des villages limitée. Couleurs, proportions : tout est juste, agencé comme une fugue de Bach. Dissonance interdite, sauf dans la maison confortable et sans prétention.
  4. Au dîner, les amies canadiennes de Nicolas racontent leur séjour dans un temple birman, la difficulté de se déplacer en  France avec un fauteuil roulant, la vie dans une société multiculturelle. On leur décrit les familles versaillaises venues retrouver « les vraies valeurs » sur cette île où les humains sont moins divers que les oiseaux.
  5. Fraîcheur inattendue pour un mois d’août. Les roses trémières et les belles de nuit frissonnent dans l’étroit jardin.
  6. Vélo dans les marais, puis vers la côte sauvage. Lumières, senteurs. Tout en haut, la note de tête herbacée, puis le fond : iode et goémon, vase à marée basse. Par endroits, la digue effondrée se mêle aux vieux bunkers glissant dans le flanc des dunes. Réparer les dégâts va coûter de plus en plus cher. Tout peut se déliter demain si les finances ne suivent plus. Les oiseaux resteront.
  7. Photos à faire, ou pas. Le compact suffit pour noter des idées d’image à reprendre un jour si je reviens avec le bon matériel. Etre là, prendre son temps, s’imprégner de  la lumière. Par temps couvert, tout est si plat. Le marais se dérobe, rien n’accroche : ni les mots, ni les images. Cette ridicule idée qu’il suffit de s’y coller tous les jours pour que la magie naisse. Eh non ! Le marais donne, ou pas. Il va bientôt m’offrir une fameuse leçon d’écriture, mais chut !
  8. Au retour, un arc en ciel se déploie juste au-dessus du clocher d’Ars.

 

Amer clocher

 

(mardi 3 août)

Le vent nous portera


Blue Marianne

Retour du Mans, Z.A Nord

« Je n’ai pas peur de la route, faudra voir, faut qu’on y goûte, des méandres au creux des reins, et tout ira bien … le vent nous portera »

Accords de guitare plaqués, rythme sautillant, voix nasale, « le vent nous portera » de Noir Désir jaillit de l’autoradio. Ce n’est pas ma jeunesse, pas ma génération, je n’écoutais pas cette musique mais je danse dans la voiture, les mains sur le volant, mes pots de peinture dans le coffre et les yeux grands ouverts. Porté par l’urgence moqueuse de cet hymne à tous les croqueurs de piment. Fuck les conformismes, hurlaient les enfants de la crise et de Rimbaud. Ils se la jouaient rebelle tout en préparant leurs concours.

Je m’arrache aux banlieues du Mans. Le rock et l’Asie transpirent par tous les pores de ma peau. Moi qui parlais de re-paysement, rien à faire, je ne rentre plus dans les cases. Pauvre Gen Y, si rapidement passée de la révolte au CV, rackettée de ses illusions avant même d’avoir eu le temps d’en goûter la saveur.

« Ce parfum de nos années mortes ce qui peut frapper à ta porte, infinité de destins, on en pose un, qu’est-ce qu’on en  retient le vent l’emportera »….

Ce jeune couple d’expats, à Manille, me l’a fait découvrir. A la manière dont ils dansaient sur cette musique, passionnément, désespérément, chavirés de nostalgie, j’ai compris qu’elle incarnait toute l’énergie, la révolte de leur jeunesse, le début de leur amour et l’espoir d’une vie plus vraie, plus intense.

La semaine prochaine on se retrouve à l’île de Ré. Ils me raconteront leur carrière dans la finance et l’enfant qu’ils élèvent en apesanteur, entre Shanghai, Séoul et Ceylan.

Et la peinture ?

 

Et la peinture?

 

(Samedi 30)