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2011 année du colibri


L’année du colibri

Depuis que Nicole de Chancey nous a raconté l’histoire du colibri, j’y reviens souvent, et ne cesse d’y trouver toujours plus de matière à méditer.

J’aimerais vous la raconter à mon tour en guise d’inspiration pour cette nouvelle année. Un jour, un gigantesque  incendie ravage la forêt d’Amazonie. Pressés par les flammes, enveloppés d’âcres tourbillons de fumée qui les prennent à la gorge, les animaux s’enfuient de tous côtés, se bousculant dans un sauve-qui peut général. Réfugié sur la berge du fleuve, un jaguar à la puissante musculature observe l’étrange manège du colibri. En temps ordinaire, le seigneur de la jungle ne perdrait pas son temps à suivre les faits et gestes du petit volatile, jouissant parmi les habitants de la forêt d’une réputation de frivolité pour son habitude de voleter de fleur en fleur tel un éclair bleu vif, recueillant au passage le délicieux nectar de son bec long et effilé. On prétend même, car la jungle en temps ordinaire bruisse de commérages, qu’il  lui arrive de s’enivrer de nectar, et de tenir ensuite des propos fort peu cohérents. Aujourd’hui, cependant, l’obstination du colibri qui   ne cesse d’effectuer des aller-retour entre le fleuve et la forêt dévorée par le feu l’intrigue. A chaque voyage, il puise dans le fleuve une minuscule goutte d’eau qu’il s’en va verser sur les flammes, au péril de sa vie. Etonné par cet effort qui lui semble bien futile au regard des proportions gigantesques de l’incendie, le jaguar demande au colibri : « mais, que fais-tu » ? Et sans se démonter, le colibri répond : « je fais ma part ».

Faire sa part

Cette histoire m’enchante par sa simplicité pleine de profondeur. Elle en appelle à cette valeur très contemporaine de la responsabilité, individuelle et collective, avec un très juste sens des proportions. Car ce qu’elle propose de faire à chacun d’entrez nous, c’est de prendre sa part, toute sa part, et rien que sa part. Il ne s’agit pas de s’épuiser à tenter l’impossible, ce qui nous conduirait à l’échec et donc à la perte de l’estime de soi. Il ne s’agit pas non plus de se croiser les bras ou de se jeter dans la distraction sous prétexte que tout effort serait vain face à l’immensité de la tâche. Entre ces deux extrêmes, avec infiniment de tact, le colibri nous ouvre un espace de liberté et nous redonne du pouvoir face à l’inéluctable. Il nous incite à mobiliser nos talents, à les déployer au service d’une cause noble et digne d’effort. Car le colibri n’est pas du genre à asséner des leçons de morale : il donne l’exemple, en toute humilité, mais aussi avec la pleine conscience de la valeur de sa contribution. J’entends beaucoup de juste fierté dans « je fais ma part ».

Le courage du colibri

Faire sa part, c’est assumer sa part de responsabilité dans ce monde, et d’abord dans sa vie. C’est faire de son mieux, et ne pas culpabiliser si l’on ne parvient pas à éteindre l’incendie à soi tout seul. C’est supposer aussi que l’on ne restera peut-être pas seul bien longtemps, c’est croire en la capacité des autres à se mobiliser à leur tour, inspirés par l’exemple et le courage du colibri. C’est l’expression d’une valeur fortement démocratique et solidaire, dans le respect de soi et de ses talents : ma contribution vaut celle de chacun, participe d’une dynamique générale. C’est une voix dans un chœur puissant.

Apprécions enfin le style du récit, qui fait toute sa force : la goutte d’eau transportée dans le bec du colibri peut être minuscule, la portée de son geste n’en est pas moins immense. Il y a dans ce contraste une élégance qui me ravit.

Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne année, joyeuse, productive et gourmande.

Corps contre idoles



1. Il y a des images qui détruisent ceux qui les regardent, et des couleurs qui sauvent. On se laisse intimider, bêtement, par des idoles glacées, retouchées, à découper. Le corps réel se recroqueville devant le corps idéal, se cache dans les replis des mondes virtuels. Sauf les modèles, qui donnent généreusement leur corps à voir, à dessiner dans le monde réel auquel leur présence nous rattache.

Car on peut choisir d’autres voies,  comme un fleuve à descendre.
Celui-ci s’en va vers l’Espagne, où la vérité de la  couleur claque.

2. On voudrait reprendre ici le combat des mots contre les idoles.  Valère Novarina, bien sûr, mais les idoles se vengent de ceux qui les attaquent. Cette histoire de corps et d’image, c’était déjà l’enjeu du combat de Persée contre la Méduse. Elle avait ce regard qui transformait en statue quiconque osait la regarder. Pour la vaincre, il s’arma d’un miroir. Saurons-nous retourner les images contre les images? les idoles contre les idoles? S’armer de rouge colère pour s’encourager à la résistance.

3. A propos de Méduse et de légendes anciennes, il faudrait rendre un vibrant hommage à Jacqueline de Romilly, magnifique amoureuse de la Grèce qui sut la rendre tellement vivant et contemporaine. La grâce même.  Son portrait d’Hector, héros naturel dans le courage, un père, un homme de tous les jours. Sa Grèce n’est pas de marbre, elle pourrait nous parler encore. Nous aussi, nous avons nos héros, admirables et vulnérables. Comment ferions-nous pour tenir le coup, sans leur faiblesse attendrissante, et le sursaut, le « quand-même », le « ça va passer » enraciné dans la persévérance? Avec eux traversons les labyrinthes de la perplexité.



4. Pour sortir de la perplexité, justement : le jaune est la couleur du choix, pour trancher, ou simplement laisser de côté ce qui ne nous convient plus. L’hiver est fait pour ça : méditer et peser, se recentrer sur ses valeurs, trier en vue du grand ménage de printemps.