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Le point d’appui (fin du cycle)


Chacun cherche son point d’appui. Pour les uns, c’est un être, et pour d’autres une idée, un lieu, un espoir ou un souvenir. Parfois on croit le perdre, et puis on le retrouve, ou l’on s’en trouve un autre.

Mirella commente les dessins. « Cherchez le point d’appui : sur quelle jambe repose le poids du corps? Observez la tension des muscles, exagérez la main, le bras qui s’avance, ou le pied : la partie du corps la plus proche de vous. Libérez-vous du cerné, regardez ce qui se passe à l’intérieur, les plis de la peau qui remontent de l’autre côté du torse. Les jambes ne sont pas symétriques, le corps n’est pas droit. Repérez les torsions par rapport à un axe, intéressez-vous à la proposition du modèle ».

Ah, la proposition du modèle! Bien sûr, on est là pour ça, sinon pourquoi se déplacer quand il serait plus facile de travailler chez soi, à partir d’une photo qui a l’avantage de tenir la pose aussi longtemps qu’on le désire? La présence du modèle, lorsque ses poses sont vraiment habitées, font partie de la proposition tout autant que l’inclinaison d’un bras ou d’une tête.

Le premier modèle est une homme souriant, dans la force de l’âge. Ses propositions reprennent le vocabulaire classique. On peut lire dans ses poses la trace des générations de dessinateurs et de modèles qui se sont succédé à l’Académie depuis sa fondation (voir le Carnet d’études n°15 : l’Académie mise à nu, éditions Beaux Arts de Paris, sur l’histoire des modèles). Aujourd’hui, cette origine oubliée nous empêche de voir la lance, le bouclier absent du bras qui le portait, le guerrier grec inspirateur de ces poses héroïques et qui pourrait encore nous donner des leçons de courage pourvu que nous fussions disponibles. Héroïques, ou simplement idéalisés, comme les bronzes de Riace

Débarrassé du poids de l’académisme et des formes figées, ce corps nous restitue tout le joyeux génie de la Grèce, son bonheur d’être là, son évidence dans le rapport au monde.

On a parlé dans ce blog de Cynthia Fleury et de son livre sur le courage (« j’ai perdu le courage comme on égare ses lunettes »), de Jacqueline de Romilly et de son Hector. Sur quel point s’appuyer face à l’inacceptable?

Il faut chercher des armes dans la couleur, allumer des jaunes et des rouges, tordre le cou du doute.

Parfois, il arrive aussi que le guerrier soit vaincu. Est-ce pour autant la fin? Comment se relève t-on d’une défaite?

Et puis il y a Sophie, sa présence rayonnante, ses transitions glissantes d’une pose à l’autre. Ses mouvements de danse Butô dont l’origine serait inspirée des survivants de la bombe, à Hiroshima, tentant de se relever après le désastre. Après l’âge héroïque vient le temps de la résilience.

Ce qui se passe à l’intérieur? Observer la naissance d’une émotion, comme elle se répand dans le corps et du corps à l’espace. Le point d’appui, ce peut être un silence, une façon de conserver l’énergie qu’il faut apprendre à percevoir.

Ce combat-là, mené jour après jour dans l’instabilité du monde, est le sujet même de ce blog, dédié à toutes celles et tous ceux pour qui tenir debout n’est pas une évidence. A celles et ceux qui ne réussissent pas toujours du premier coup, et qui persévèrent.

A vous, le sourire de la vie.

Corps contre idoles



1. Il y a des images qui détruisent ceux qui les regardent, et des couleurs qui sauvent. On se laisse intimider, bêtement, par des idoles glacées, retouchées, à découper. Le corps réel se recroqueville devant le corps idéal, se cache dans les replis des mondes virtuels. Sauf les modèles, qui donnent généreusement leur corps à voir, à dessiner dans le monde réel auquel leur présence nous rattache.

Car on peut choisir d’autres voies,  comme un fleuve à descendre.
Celui-ci s’en va vers l’Espagne, où la vérité de la  couleur claque.

2. On voudrait reprendre ici le combat des mots contre les idoles.  Valère Novarina, bien sûr, mais les idoles se vengent de ceux qui les attaquent. Cette histoire de corps et d’image, c’était déjà l’enjeu du combat de Persée contre la Méduse. Elle avait ce regard qui transformait en statue quiconque osait la regarder. Pour la vaincre, il s’arma d’un miroir. Saurons-nous retourner les images contre les images? les idoles contre les idoles? S’armer de rouge colère pour s’encourager à la résistance.

3. A propos de Méduse et de légendes anciennes, il faudrait rendre un vibrant hommage à Jacqueline de Romilly, magnifique amoureuse de la Grèce qui sut la rendre tellement vivant et contemporaine. La grâce même.  Son portrait d’Hector, héros naturel dans le courage, un père, un homme de tous les jours. Sa Grèce n’est pas de marbre, elle pourrait nous parler encore. Nous aussi, nous avons nos héros, admirables et vulnérables. Comment ferions-nous pour tenir le coup, sans leur faiblesse attendrissante, et le sursaut, le « quand-même », le « ça va passer » enraciné dans la persévérance? Avec eux traversons les labyrinthes de la perplexité.



4. Pour sortir de la perplexité, justement : le jaune est la couleur du choix, pour trancher, ou simplement laisser de côté ce qui ne nous convient plus. L’hiver est fait pour ça : méditer et peser, se recentrer sur ses valeurs, trier en vue du grand ménage de printemps.