Cet or invisible et qui rit c’est nous c’est la vie


Depuis vendredi soir, la France a basculé, mais dans quoi ? On s’interroge : est-ce que c’est ça, vivre dans une ville en guerre ? Le sentiment d’innocence perdue. S’inquiéter pour ses proches ou pour des inconnus dès que retentissent les sirènes. Rentrer à pied, le soir, dans des rues désertes. Se tenir au plus près des voitures en stationnement. S’habituer à prononcer ces mots : « tueurs, fusillade, victimes » en parlant non d’une ville étrangère : Beyrouth, Alep ou Lagos, mais de Paris. Passer des heures à rassurer les uns, réconforter les autres et chercher au plus profond de soi l’énergie pour tenir. Cela va durer, dit-on. Bien plus longtemps qu’on ne se l’imaginait en janvier dernier lorsqu’il fallut trouver des mots pour décrire la situation flottante, incertaine et dangereuse dans laquelle nous venons d’entrer. Il y aura encore du sang, du verre brisé, ce sera moche. Autant s’y faire, mais pas au sens où l’on se résignerait à l’horreur. Plutôt comme on se forge une carapace de courage.   La jeunesse de notre pays, ciblée, touchée, vit son épreuve du feu. Elle en sera transformée, devra faire des choix difficiles. Celui de continuer à sortir et de se mélanger à des inconnus ou de se barricader devant sa « fiction ». Choisir entre l’ouverture et le repli, entre la haine et la solidarité, entre la peur et le défi. Elle l’écrit déjà, ici par exemple, et c’est très beau, plein d‘énergie, la rage de vivre et d’aimer. D’autres ont choisi d’inviter tous leurs amis à venir cuisiner, dîner, jouer, plaisanter : table ouverte et rire à volonté. C’est pour notre capacité à faire triompher la vie que le monde aime la France.

Tandis que j’écris ces mots, je n’en mesure pas encore moi-même toutes les conséquences. Je pense à la génération de nos parents, qui a vécu cela. Je me souviens de leurs récits et je comprends comment ils ont pu s’endurcir face à de telles épreuves. Ma mère, qui parle avec sérénité, mais surtout avec détermination, de tout ce qu’elle veut faire avant de mourir. Elle emploie le mot sans détour, sans chercher à en adoucir l’impact. Sa liberté tient dans la vérité des mots qu’elle prononce en toute lucidité. Sa manière de donner au temps, non pas du temps, mais du poids. D’investir chaque jour de sa volonté. Je comprends mieux aujourd’hui le culot dont elle fait preuve dans certaines circonstances, tandis que bien souvent nous hésitons à accomplir une démarche, à demander quelque chose qui nous tient à cœur, uniquement par peur d’essuyer un refus. Puisque nous allons devoir nous habituer à vivre sous la menace, autant faire de l’audace un critère pour évaluer les décisions petites et grandes que la vie ne cesse de nous réclamer. Oser devrait devenir simple et facile,  en regard de tels enjeux. Et ne voyez aucune complaisance morbide dans cet exercice d’anticipation : croyez-moi, j’aime la vie et je compte en jouir tout autant qu’avant, sinon plus. Simplement je choisis de me préparer, pour ne pas subir. Dans « vivre sous la menace », il y a vivre, écrit La Croix, et bien sûr c’est cela qui compte. Je ne propose pas d’adopter la méthode Coué, en se répétant : jusqu’ici, tout va bien », mais plutôt de reconquérir du pouvoir sur nos vies. Que chacune de nos décisions soit consciente, effet d’un libre choix que nous assumons. Durer, c’est trouver des sources fraîches où refaire le plein de poésie, c’est oser demander de l’aide quand on sent qu’on n’y arrivera pas tout seul, c’est donner du temps, de l’attention aux plus vulnérables, échanger, pétiller, faire circuler l’or invisible qui nous lie.

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