Courir!
Au bord de la départementale, un panneau signale : « Nauvay, 5 kilomètres ». Ces cinq kilomètres, je les ai courus par une chaleur infernale, il y a dix jours, et rien ne m’ôtera la fierté de l’avoir fait. L’ami qui m’entraînait s’était enduit d’une crème solaire à la puissante odeur de cacao qui se mêlait à celle de l’asphalte à demi fondu ainsi qu’aux effluves de la campagne. L’ami, plus entraîné que moi, décrivait des boucles en avant, en arrière, parcourant deux fois plus de distance que moi qui le suivais ou le précédais, rattrapé à chacun de ses passages par les lourdes senteurs du cacao. J’ai piqué un fou rire, au beau milieu de la route, sans cesser de courir. Au retour, l’orage nous a cueillis juste à l’entrée du parc.
Plus tard, je pourrai revenir puiser dans la force de ce souvenir. La distance est malingre en comparaison du Paris-Versailles, mais en courant, je voyageais aussi dans le temps. Un monde englouti qui remonte à la surface, le petit moulin, nos vélos, les espèces de fleurs et de papillons disparus, la brutale énergie de l’enfance. Proust est passé par ici, il repassera par là.
A quoi bon passer après lui ?
Son ombre immense, et toutes ces histoires de marquises, la grand’mère sortant d’une tasse de thé, le génie de la lampe. Si familières et si lointaines. Pauvre Sarthe, écrasée par Combray. La Sarthe avec son patois refoulé, son accent gommé, ses expressions délicieusement imagées qui ne passent pas à la télévision. Comment parler aujourd’hui de ce monde ? Une province entière de ma vie, le continent caché de l’écriture, du désir d’écrire. Guerre aux boulets pesants, guerre aux doutes. Monday After, un nom de commando. Chaque mot posé vaut des kilomètres.