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Un problème bien dessiné est déjà à moitié résolu


Avez-vous parfois l’impression d’être débordé par les événements? De bouillonner d’idées, d’envies, de projets, sans savoir par où commencer?

L’un des pères de la psychologie du bonheur, Mihaly Cszickszentmihaly, explique dans « Vivre » que le simple fait d’établir de l’ordre dans son esprit compte parmi les plus importants facteurs de bien-être. Construire une représentation structurée des événements, c’est la première étape pour ne plus les subir. Les amateurs de mind mapping, ou cartes mentales,  ont fait l’expérience de l’apaisement que procure l’action de « dessiner son problème ».  L’effet sur l’esprit est comparable à la vision d’un tourbillon de feuilles mortes soulevées par le vent, qui composent en retombant au sol un motif structuré. Les idées, les émotions mêlées qui dansaient il y a encore un instant devant nos yeux trouvent chacune leur place, et nous éprouvons un sentiment de pouvoir sur notre vie du simple fait de les contempler, ainsi ordonnées.

Comme pour beaucoup d’activités manuelles (bricolage, cuisine, …) les neurologues expliquent que ce sentiment d’apaisement et de sérénité vient de la coordination entre le cerveau et la main, qui s’établit à travers les nerfs dans le geste de dessiner. C’est vrai, mais cela ne dit pas tout.

Explorer les enjeux, mettre à la bonne place les valeurs, les objectifs et les options, poser des ressources en face des obstacles et leur donner du poids procure un sentiment d’équilibre et de clarté. En coaching, j’utilise beaucoup cette technique comme support d’un dialogue fécond, où le client s’aperçoit souvent qu’il a bien plus de prise sur la situation qu’il ne le pensait au départ.

Mais comment s’y prendre? On commence par tracer des branches autour d’un centre rayonnant, dans lequel on aura préalablement tracé un symbole ou quelques mots résumant le problème à résoudre, puis on développe, branche par branche, en affinant les détails.  Il est important de bien suivre la méthode inventée par Tony Buzan, surtout au début. En revanche, il n’st pas nécessaire de savoir dessiner : c’est à la portée de tous.

Je donne ici un aperçu d’une carte mentale réalisée suite à un entretien avec un ami qui voulait se lancer dans la peinture et ressentait le besoin d’approfondir sa motivation (la version complète et la méthode peuvent être téléchargées depuis Slideshare, Slideshare mind mapping : http://fr.slideshare.net/RobertdeQuelen1/leadership-visuel-et-mind-mapping)

Mais le plus amusant bien sûr c’est de passer à l’action!

le projet du peintre

Nous sommes Charlie


 

Donc, ce sera la guerre. Mais la guerre selon nos termes, avec nos armes. Nous cultiverons les liens, l’amour, le talent. La solidarité. Nous serons du côté de la vie, avec détermination, et ne céderons pas un pouce de liberté. Que la blessure nous aide à garder la conscience claire et vive. Que la joie revienne, vite, une joie lucide et forte. Nous retrouverons le goût de rire, non pas d’un rire grinçant, mais d’un rire qui libère.

Mais pour l’instant, c’est difficile. Gorges nouées des journalistes et chroniqueurs, ce matin, sur France Inter. La rage et l’incertitude. On parle, autour des machines à café : besoin d’échanger, d’être ensemble. La France est en état de choc. Les témoignages de solidarité affluent du monde entier et font chaud au cœur. C’est aussi cela qui donne la force de rester digne et de repousser la tentation de la haine.

Hier soir, j’avais prévu de revenir dessiner dans l’atelier de modèle d’Aracanthe, pour la première fois depuis trois ans.  L’ambiance était calme et grave, pesante et fermée comme les visages des parisiens dans le métro, dans les rues mouillées. Huit dessinateurs concentrés, le modèle enchaînant les poses toutes les deux minutes avec beaucoup de professionnalisme et de talent. Nous pensions tous aux journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo. Leur impertinence a  donné le ton de notre adolescence.  Plus tard, ils ont repris avec courage le flambeau de la liberté la plus extrême, nous autorisant ainsi à occuper largement tout l’espace du milieu.  On n’entendait  que le bruit des crayons et des pointes sur les feuilles, le tictac de l’horloge rythmant la durée des poses. Finalement c’est le modèle qui a pris l’initiative de rompre le silence, s’exclamant d’une voix pointue avec toute l’impertinence nécessaire  : « cette pose s’appelle « tu les aimes mes fesses »  (en allusion à la célèbre réplique de Brigitte Bardot dans le Mépris, et à la caricature qui en avait été faite). Tout le monde a éclaté de rire, la chape de plomb  s’est fissurée. On ne la laissera pas se refermer, ceci est mon vœu et ma résolution pour cette nouvelle année.

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Aimer la main ou pourquoi dessiner


Je re-poste cet article, témoignage de l’expérience du dessin dans l’atelier Aracanthe qui fêtera ses vingt ans le 4 octobre prochain, au théâtre de l’Orillon. Venez nombreux à partir de 15h00! Dessins, performances, lectures, musique, vidéos, le programme est riche. Infos ici : http://www.aracanthe.org/

BuencaRmino

Pourquoi dessiner, demande le blog du dessin?

« Nous assistons aujourd’hui, dans l’art dit contemporain, à la disparition progressive du faire au profit du questionnement sur le faire » feint de s’étonner Nicole Esterolle dans un article à l’humour corrosif sur Alternatif-art.com

Et de continuer : « Aujourd’hui, on ne peint donc plus, on convoque, on interpelle et on questionne la peinture dans ses rapports avec à peu près tout. On interroge l’art à fond, on fait ce que Jean-Philippe Domecq appelle de l’art sur l’art, on cérébralise au maximum. »

Voir en contrepoint la démarche de Basquiat, qui savait bien que l’art se fait d’abord avec la main, qu’elle engage le corps et tout l’être au coeur du monde contemporain, et que sans elle, nous sommes perdus.

pourquoi dessiner, demande le blog du dessin? Dans la vraie vie, certains jours, on se demande ce qu’on est venu faire dans cette galère. L’atelier…

Voir l’article original 629 mots de plus

Croquis de nus


Sans  le « ah » de la pose, le dessin ne serait qu’un échafaudage,  un mikado de traits juxtaposés sur le papier. Qu’on en tire un, tout s’écroule.

Lorsqu’elle évolue dans l’espace, ses pieds ancrés dans le sol en une posture asymétrique, son buste allant chercher la torsion maximale tandis  que sa nuque ploie, il arrive que les dessinateurs se perdent, absorbés dans la poésie de Sophie. Leur main plane au-dessus du papier, saisie  par la grâce.

D’autres fois, l’humilité du modèle palpite en creux, c’est un petit quelque chose qui semblerait s’excuser d’être là, au centre de l’attention, et qui continue de vibrer longtemps après qu’on a retourné le carnet de croquis contre un mur. Filet de voix, filet d’être.

D’autres fois encore c’est l’angle d’un pied, cocasse, impossible, irritant, qu’un trait rageur vient clore.
 

Pour qu’un vrai dessin naisse, il faut la magie d’une rencontre entre ces  deux choses rares : la proposition du modèle, habitée, vivante, et le regard du dessinateur, libéré de toute forme, happé, disponible.  Il faut la complicité, la tendresse, l’audace. il faut qu’un risque soit pris par amour des lignes.  

En somme, il faut que le corps et le regard soient également nus.Image  Lire la suite

Ancrage


Le coach et le dessinateur ont ceci de commun qu’ils cherchent le point d’appui. Pour le dessinateur, il s’agit d’observer attentivement la posture du modèle pour repérer la ligne de force aboutissant au point d’ancrage, sur lequel repose tout le poids du corps. De là, le regarde remonte et trouve les proportions, les angles et la tension des muscles : le corps dessiné vit. Aucune photo ne permet de saisir aussi bien que le modèle vif ce subtil équilibre : il faut ressentir le corps de l’intérieur, peser avec lui, ressentir le souffle de l’air sur sa peau nue, respirer à son rythme, avec bienveillance, pour pouvoir bien le dessiner.
Le coach écoute son client, pose des questions susceptibles de faire émerger les ressources et les capacités de la personne qui doute, hésite, s’interrompt parfois : laisser naître du silence, et du silence, une forme. Un souvenir heureux, d’anciennes réussites, une qualité que l’on se reconnaît, des proches offrant leur inconditionnel soutien. C’est une roche affleurant sous le sable, à marée descendante, et que rien n’emporte. Qui sait quelle vie grouille là-dessous ? L’important, comme pour le modèle, c’est que la vie est là.

Il y a toutefois une différence importante entre le dessinateur et le coach : tandis que le premier crée lui-même un objet, qu’il s’approprie, le second n’est que l’’outil par lequel son client dessine son projet, puis le fait exister dans le monde réel.

Photo du film Pina, de Wim Wenders (voir : « Songkhram à Wuppertal)

Pour une journée internationale du corps


Coup de coeur pour le beau blog québequois « dessiner le corps » qui propose une journée internationale du corps. A suivre et à partager.

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Extrait : Pour une journée internationale du corps

Le corps est en général mal aimé. Il est désiré, idéalisé, parfois admiré lorsque son exceptionnelle beauté le démarque de l’ordinaire, d’avantage convoité, consommé, exploité, évalué et jugé, jusqu’à en être méprisé, rejeté, exclu (et enterré), mais rarement honoré et véritablement aimé pour ce qu’il est.

Il est le bouc émissaire par excellence. Banni, humilié, puni, châtié, martyrisé et torturé pour des paroles et pensées qui viennent d’avantage de la tête que de son propre élan de corps, il subit docilement et en silence toutes sortes de maltraitements.

Tout ce qui s’érige en propriétaire absolu du corps (plus spécifiquement le mental), se considérant « au dessus » de la condition corporelle, se permet d’en jouir à sa guise, de le pousser à bout et de le malmener, le considérant au même titre qu’un esclave ou un animal.

L’humanité s’est ralliée autour de toutes sortes de journées internationales, dont celle de la terre, pourquoi n’y en aurait-il pas une pour le corps?

Parions que si le corps était mieux aimé et compris, la planète ne s’en porterait certainement que mieux.

Alors votons pour une journée mondiale du corps! Cela pourrait aujourd’hui même, ou être une journée flottante, imprévisible, en hommage au fait que rien de ce qui est vivant ne peut se manifester sans le don du corps. (lire la suite : http://dessinerlecorps.wordpress.com/2012/02/12/pour-une-journe-internationale-du-corps/)

Danser sa vie


Danser sa vie ? Depuis trop longtemps le corps était en sommeil, le poignet serré dans un strap, le froid, la pluie, tout ce que l’on peut inventer comme raisons de mijoter dans sa bulle. Et puis un jour l’envie qui monte, les fourmis dans les jambes, on y va, chiche ! Courir appelle des mots plus actifs. Des verbes, des substantifs plus denses pour accompagner le mouvement, ce qui s’éveille au fur et à mesure que les muscles s‘échauffent. L’oxygène et les mots circulent. Marcher, bouger, taper dans un ballon, danser comme on respire.

Danser sa vie. L’expo qu’il faut aller voir à Beaubourg, et puis l’invitation, que l’on peut suivre au pied de la lettre ou laisser courir. Danser sa propre vie, comme Isadora Duncan, explorer ses rythmes et la géométrie secrète, expressive ou révélatrice, du corps, avec William Forsyth ou Pina Bausch. Dans ce contexte, on apprécie la sobriété de Merce Cunningham, aperçue dans Craneway Event. Il faut absolument voir, ce dimanche soir au théâtre de la Ville, la projection du film Oceans, et puis Biped, où les danseurs présents sur scène dialoguent avec leur représentation déterritorialisée par la vidéo. Courageusement, Cunningham fut l’un des premiers à explorer la confrontation du corps et des nouvelles technologies, au moment même où il en faisait l’instrument dune écriture toujours plus sophistiquée. On pense au combat de Bénédicte Pesle pour faire accepter l’abstraction de cette chorégraphie à une France demeurant attachée au récit. On pense à l’ami David Pini, infatigable ambassadeur de la « cause » et qui n’aimait pas, lui non plus, qu’on lui raconte des histoires.

Mais s’il n’y a plus d’histoire, plus de récit, que reste t-il ? La présence. Le don de soi. C’est de cela qu’on parle, entre dessinateurs, après l’atelier. Le talent des modèles, l’expressivité, la présence avant la technique et la morphologie. Le cri qu’on peut entendre ou celui qui bouillonne sous la peau, qui traverse les muscles et bat sur un tempo des Doors ou des B52s. Le calme profond qui se répand, l’ancrage au sol, bien vissé sur le point d’appui. Parfois aussi l’espièglerie, qui s’épanouit en un sourire à la fin, juste avant le changement de pose.

La danse, expression de la subjectivité. L’abstraction, et puis la performance. Mais nulle invitation à pénétrer dans le cercle magique : le spectateur qui se prendrait au jeu se verrait ramené à la raison par d’aimables et sourcilleux gardiens. Participer ? Et puis quoi encore ? Ici on regarde, on ne danse pas.

L’exposition a pour ambition de montrer les liens croisés entre la danse et les arts graphiques au XXème siècle, puis leur éloignement dans la seconde moitié du XXème siècle, comme s’ils n’avaient plus rien à se dire, ou que la tension avait fini par se relâcher. Aujourd’hui, l’équivalent des arts graphiques de pointe est à rechercher du côté de l’univers numérique. Les enjeux de ce croisement sont peu abordés dans l’exposition, et c’est dommage.

On peut aussi regretter la très faible représentation des pays du Sud. « Danser sa vie » se présente comme une histoire de la danse des XXe et XXIe siècles. C’est-à-dire, « bien sûr », une histoire de la danse occidentale, car à part quelques excursions japonaises (le sculpteur Isamu Noguchi), le reste du monde y demeure invisible, hormis quelques exceptions présentées dans le cadre du festival Vidéodanse (Rachid Ouramdane, Seydou Boro, Luis de Abreu). Les pays émergents, aujourd’hui de mieux représentés dans le domaine des arts graphiques, font encore figure de parent pauvre.

Malgré ces lacunes, il faut la voir et la revoir, absolument.

Galerie

Corps langage mémoire EPLV au MOTIF

Cette galerie contient 16 photos.


Une démarche qui magnifie le livre. Des artistes s’emparent de quelques exemplaires destinés à la destruction et construisent une oeuvre transversale : écriture, corps, peinture, musique, vidéo, scénographie, recyclage. Vous êtes invité à déambuler dans l’œuvre, parmi des totems qui … Lire la suite

Le point d’appui (fin du cycle)


Chacun cherche son point d’appui. Pour les uns, c’est un être, et pour d’autres une idée, un lieu, un espoir ou un souvenir. Parfois on croit le perdre, et puis on le retrouve, ou l’on s’en trouve un autre.

Mirella commente les dessins. « Cherchez le point d’appui : sur quelle jambe repose le poids du corps? Observez la tension des muscles, exagérez la main, le bras qui s’avance, ou le pied : la partie du corps la plus proche de vous. Libérez-vous du cerné, regardez ce qui se passe à l’intérieur, les plis de la peau qui remontent de l’autre côté du torse. Les jambes ne sont pas symétriques, le corps n’est pas droit. Repérez les torsions par rapport à un axe, intéressez-vous à la proposition du modèle ».

Ah, la proposition du modèle! Bien sûr, on est là pour ça, sinon pourquoi se déplacer quand il serait plus facile de travailler chez soi, à partir d’une photo qui a l’avantage de tenir la pose aussi longtemps qu’on le désire? La présence du modèle, lorsque ses poses sont vraiment habitées, font partie de la proposition tout autant que l’inclinaison d’un bras ou d’une tête.

Le premier modèle est une homme souriant, dans la force de l’âge. Ses propositions reprennent le vocabulaire classique. On peut lire dans ses poses la trace des générations de dessinateurs et de modèles qui se sont succédé à l’Académie depuis sa fondation (voir le Carnet d’études n°15 : l’Académie mise à nu, éditions Beaux Arts de Paris, sur l’histoire des modèles). Aujourd’hui, cette origine oubliée nous empêche de voir la lance, le bouclier absent du bras qui le portait, le guerrier grec inspirateur de ces poses héroïques et qui pourrait encore nous donner des leçons de courage pourvu que nous fussions disponibles. Héroïques, ou simplement idéalisés, comme les bronzes de Riace

Débarrassé du poids de l’académisme et des formes figées, ce corps nous restitue tout le joyeux génie de la Grèce, son bonheur d’être là, son évidence dans le rapport au monde.

On a parlé dans ce blog de Cynthia Fleury et de son livre sur le courage (« j’ai perdu le courage comme on égare ses lunettes »), de Jacqueline de Romilly et de son Hector. Sur quel point s’appuyer face à l’inacceptable?

Il faut chercher des armes dans la couleur, allumer des jaunes et des rouges, tordre le cou du doute.

Parfois, il arrive aussi que le guerrier soit vaincu. Est-ce pour autant la fin? Comment se relève t-on d’une défaite?

Et puis il y a Sophie, sa présence rayonnante, ses transitions glissantes d’une pose à l’autre. Ses mouvements de danse Butô dont l’origine serait inspirée des survivants de la bombe, à Hiroshima, tentant de se relever après le désastre. Après l’âge héroïque vient le temps de la résilience.

Ce qui se passe à l’intérieur? Observer la naissance d’une émotion, comme elle se répand dans le corps et du corps à l’espace. Le point d’appui, ce peut être un silence, une façon de conserver l’énergie qu’il faut apprendre à percevoir.

Ce combat-là, mené jour après jour dans l’instabilité du monde, est le sujet même de ce blog, dédié à toutes celles et tous ceux pour qui tenir debout n’est pas une évidence. A celles et ceux qui ne réussissent pas toujours du premier coup, et qui persévèrent.

A vous, le sourire de la vie.

Le corps dans l’écriture


Pourquoi ce malaise à propos du corps dans l’écriture en France? Il se publie tant de romans, tant d’histoires d’où le corps est absent, ou s’il est là, jamais vraiment habité, rarement aimé, toujours un peu déplacé, malvenu. Ce ne sont pas les études sur le sujet qui manquent, c’est la présence. Heureusement, les canadiens sauvent la mise, comme l’excellente revue Analyses.

Plus je creuse, et plus ça m’intrigue. Cela fait plusieurs mois que nous discutons avec Mirella Rosner et l’équipe d’Aracanthe-EPLV de son triple thème : « corps, langage, mémoire » (prochaine expo au MoTIF). Corps du modèle, dans l’atelier, bien posé sur son point d’appui, avec ses raccourcis qu’il faut saisir, ses attaches, ses creux et sa façon d’accrocher la lumière. Le langage, qui « tend vers » et jamais ne saisit; la mémoire, qui surgit de l’un pour se fixer dans l’autre, espiègle ambassadrice de mille objets divers.

J’en parle et puis j’oublie?

Mais revenons à l’écriture. Au départ de ce blog, un désir d’ancrage, ou de ré-ancrage, dans ce pays où je me sentais étranger au retour d’un séjour de sept années en Asie. Mais il y a différentes manières de se sentir étranger, comme il y a différentes manières d’arriver, de revenir, d’être là : « là où j’arrive, je suis un étranger » (Aragon). Se jeter dans l’Atlantique après des heures de marche au soleil, enfourcher un vélo pour s’exploser les poumons sur les petites routes de la Sarthe, en été. Poncer, pendant des heures, un vieux placard, pour le plaisir d’y poser enfin des couleurs nouvelles. Exulter dans cet épuisement libérateur. Une autre fois ce sont des lèvres, un parfum dans une chevelure, un pli du bras que l’on aime sans savoir pourquoi, qui nous attachent et qui s’en vont.

Je t’aime et puis j’oublie?

C'est de la bombe!

Pour moi, c’est passé par le corps. Le corps et le langage, le corps dans l’écriture, dans la chorégaphie de Pina Bausch, et puis le corps dans le dessin. Ébloui par le chant de Salomon, de Toni Morrison, dont le moindre personnage rayonne d’une présence physique que l’on trouve rarement dans la littérature d’aujourd’hui, j’ai travaillé les mots tout un été. Nancy Houston évoquait aussi, récemment, le malaise de l’intelligentsia française lorsqu’on parle du corps, de ses sensations brutes, non filtrées. Cette façon bien française de ne pas être là, pas complètement, posés sur un bout d’orteil. Houellebecq emblématique évocateur de ces corps désincarnés, pressés de fuir dans un cyber-univers où les mots tissent de longues chaînes de code. Bien vu, bien décrit, terrifiant.

Je clique et puis j’oublie?

Aujourd’hui, j’en suis sûr, ce qui me sépare d’eux, c’est ce qui les sépare du corps. Du corps et de ce qu’il dit. Un manque d’ambition, pour ne pas dire une forme de lâcheté face à l’intensité du corps, à ses silences, à toute cette vie violente qui le traverse. La pratique régulière du dessin, même en l’absence de progrès notable, a pour effet de transformer le regard : dans le métro, dans le bus, l’oeil s’arrête sur une main, sur l’angle d’une tête, la posture déséquilibrée d’une hanche, et cela dit quelque chose. La main vit. La hanche crie. Les muscles se tordent sur mille douleurs, essorés comme de vieux torchons. Ça voudrait danser, mais ça n’ose… Parler avec son corps au milieu de la ville, parmi les passants, les transports (publics, amoureux?). Et pourquoi non? Pina Bausch, Wim Wenders l’ont fait.

Je danse, et puis j’oublie?

Il y a la PNL, qui va chercher l’enfant blotti sous les arbres, au fond du jardin, et qui le ramène en pleine lumière, accompagné de ses mentors choisis. Soudain, comme on est libre, avec la bienveillance. Tigres apprivoisés, digérés, incorporés au patrimoine émotionnel : la mémoire a perdu ses griffes. « J’ai confiance, et je vis ».

Et puis il y a Frankie. Son atelier d’écriture, son insistance et sa jubilation physique à l’évocation d’un objet, de sa texture, de son toucher, sa manière de faire surgir la présence humaine à partir d’une odeur, d’un mollet de montagnard bien rebondi, propre à susciter le désir d’une femme. Frankie nous jette en pleine figure ce qu’évitent si soigneusement les intellectuellement corrects à l’émotion si retenue qu’elle en étouffe. Avec Frankie, les mots retrouvent force, âpreté, saveur. Ils relient à nouveau le corps et ce qui brûle en nous dans un flamboiement de couleurs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, ce qu’il faudrait cacher, replier sous les couvertures, ensevelir. Ce plaisir rare, on le goûte entre soi, dans un petit cercle initié. Sa révélation aurait quelque chose de plus obscène encore que de chanter nu place de la Bastille, le jour de l’enterrement de mère Thérésa. C’est le vieux combat du Carême et du Carnaval, un rouge trop vif aux lèvres ou dans les dessins d’Olivier Thévin, chargés d’un pouvoir explosif.

La main sur le détonateur, je compte, et puis je ris.

coup de coeur à Olivier Thevin


A voir : l’expo d’Olivier Thevin, illustrateur, graphiste, sculpteur et compagnon dessinateur à l’atelier de nu d’Aracanthe.

Du 27 mai au 10 juin, a la Bête noire, 7 rue Maître Albert, 5°.

Le corps humain, la limite et le Bulul


Dessiner le corps humain, c’est se mettre en contact avec les forces animales et les canaliser dans une forme sensible, intelligible, qui contient la vie. C’est se confronter à ses propres limites, et laisser faire en soi le travail de la rouille.

« Depuis l’école maternelle et jusqu’en taule, l’Homme ne peut s’empêcher de dessiner. De Lascaux à Chelsea, l’Homme est l’animal dessinateur » écrit ainsi Serghei Litvin, fondateur de la Foire Internationale du Dessin.

Les dessins sont posés à plat sur des tables, ce qui facilite la discussion avec les étudiants des Beaux-Arts. On fait de belles rencontres, on feuillette les carnets. Combien d’entre eux trouveront la force de persévérer, malgré l’indifférence, la solitude, la tentation d’abandonner? Les questions qui surgissent au détour d’un trait, la colère qui sort, parfois, tout est là, dans l’épaisseur et le murmure des ombres. L’animal dessinateur va chercher dans l’ombre un matériel qu’il ramène en pleine lumière, au risque qu’il se dessèche. Comme dans la PNL, ce qui compte, c’est bien d’aller vers la lumière. De l’enfant vers l’adulte et de l’informel vers la forme assumée.

Dessiner, c’est ainsi prendre un risque et sortir de l’indifférencié. Créer des espaces, dedans-dehors, comme on trace des frontières. Jouer à se faire peur : ce qui sort de la boîte, aimable ou monstrueux. Il y a là quelque chose d’initiatique, mais sans le rituel et la réassurance qu’apporte le groupe (dans la tragédie grecque, le chœur assume cette représentation de la limite). Les cultures traditionnelles formalisent cet apprentissage, la rencontre des frontières et le sens inscrit dans l’espace. Je pense aux Ifugaos, montagnards du nord des Philippines, autour de Banaué.

Oedipe et le Bulul

Oedipe à Banaue, chez les Ifugao. L’ombre portée du mythe, oracle à qui veut bien l’entendre. Ensuite, sa jeunesse passée, il pourra bien se crever les yeux, partir en exil. On écrira des tragédies sur lui. Au fond, c’est l’histoire d’une initiation ratée. Les Dogons s’en sortent mieux (voir article suivant).

On recommandera aux jeunes de se placer sous la protection d’un tel oracle : il y a tout à gagner dans la fréquentation du Bulul, dieu des récoltes et farouche gardien des limites. S’ils n’ont pas la force plastique et l’expressivité des Dogons, les sculpteurs philippins de Banaue capturent tout de même l’essentiel dans la représentation d’une force bienveillante. A l’imagination de compléter.

le corps c’est la vie


Croquis, craquants, croqués?

Atelier de modèle nu d’Aracanthe, mercredi soir. Morphologie, plis, graisse, tensions, verticalité. Point d’appui, ce qui fait tenir debout le corps des hommes, celui des femmes, devenir-deve-nu. Comment devient-on ce corps-là? D’où vient-il? Comment lui rendre justice, avec tout le respect dû?

Persévérer, dit Marion. Solidarité d’atelier. On s’accroche. Deux minutes, c’est trop court pour saisir les ombres et le modelé, alors on dessine une femme-tronc, une moitié d’homme. Les deux minutes de pose sont un défi pour le débutant qui se perd en détails inutiles, et la frustration s’accumule. Le plaisir ne vient qu’après, de retour chez soi, au moment de reprendre et de travailler la couleur, les contrastes. Mettre de la vitesse, de la matière. « La joie venait toujours après la peine ». (Guillaume Apollinaire, le pont Mirabeau). On voudrait sentir un progrès, quitte à donner parfois dans une certaine forme de niaiserie complaisante : le raccourci d’un pied, d’une main, juste pour la vanité de se dire qu’on peut le faire. En réalité, ce qui compte, c’est de rencontrer sa limite. Arrêtons de nous raconter des histoires : on est là pour casser le scaphandre et s’écorcher la peau. Sans cela, comment repousserait-elle, la peau neuve? Rater, gratter, passage obligatoire, et tant mieux si la blessure s’infecte. Le vrai renouveau, écrit Guy Corneau, se présente souvent sous un masque inquiétant.


les bonheurs de Sophie


Dessiner Sophie, quel bonheur!

Les autres modèles se content d’enchaîner les poses, avec plus ou moins de bonheur. Avec Sophie Hutin, c’est tout autre chose.

les bonheurs de Sophie

Les bonheurs de Sophie 2Cette façon coulée, glissante, infiniment émouvante qu’elle a de passer, non d’une pose à l’autre, mais d’un état dans un autre, et de nous entraîner dans sa respiration.

les bonheurs de Sophie 3L’énergie passe, électrique, il y a dans ses transitions la puissance contenue d’un riff, improbable rencontre entre le punk et la danse butÔ. Parfois, son corps se recroqueville, elle nous regarde en coin, malicieuse. Puis sa colonne vertébrale se déploie, ses bras se tendent, s’approprient l’espace.

Je voudrais avoir suffisamment de vélocité pour pouvoir croquer le mouvement continu dans lequel elle cherche sa pose, la bouche au bord de dire, puis c’est le corps entier qui parle.

L’atelier se remplit d’une joie sereine, palpable, évidente. je m’approprie la phrase de Seth Godin : « art is not in the eyes of the beholder, it is in the soul of the artist ».

Sophie est une très grande artiste.

la déterritorialisation de la culture pop Hommage à Xulux


Coup de coeur à Xulux, un blog dédié à la culture et qui s’intéresse tout comme BuencaRmino à la déterritorialisation et au dessin. Je vous en donne juste un court extrait J’avais abordé le sujet dans les dialogues avec Thibaud Saintain et dans mon article du mois d’octobre sur le modèle comme coach). J’y reviendrai encore dans un prochain article sur le projet EPLV (Expo Peinture Vidéo Livre) sur les livres peints de Mirella Rosner (Aracanthe).

Dommage que le mot « déterritorialisation » soit si long et donc condamné d’avance à l’ère de s 140 caractères-deux-secondes-et-demie d’attention de Twitter, car il évoque une réponse créative au sentiment d’exil, voire d’exclusion, y compris l’exclusion hors de son pays d’origine, hors de son corps, ou juste hors du présent. Je préfère donc m’en tenir à ce mot de re-paysement, désignant le choix d’habiter en pleine conscience son corps, son temps, et son espace, réel ou celui qu’on se crée. En version courte, selon le philosophe belge de la seconde moitié du XXème siècle Jean-Claude Van Damme, « la déterritorialisation, c’est aware ».

Extraits de Xulux :

1. « La Déterritorialisation est un concept phare de la philosophie deleuzienne qui illustre à merveille le processus créatif pop. Deleuze et Guattari utilisaient la métaphore zoologique pour en souligner la logique :

“Chez les animaux nous savons l’importance de ces activités qui consistent à former des territoires, à les abandonner ou à en sortir, et même à refaire territoire sur quelque chose d’une autre nature (l’éthologue dit que le partenaire ou l’ami d’un animal « vaut un chez soi », ou que la famille est un « territoire mobile »).” Gilles Deleuze, Félix Guattari : « Qu’est ce que la philosophie ? »

Mais avant d’en approfondir le fonctionnement, étudions d’abord sa genèse.

Le surréalisme constitue un bon point de départ avec ses agencements improbables, ses scènes oniriques, et ses jeux symboliques. A partir de ce moment l’art ne chercha plus à représenter exactement la nature, ou même la mythologie, mais à peindre de nouveaux mondes, les mondes intérieurs. (…)

2.

Car déterritorialiser un symbole c’est l’arracher de son milieu d’origine pour le reterritorialiser dans un environnement différent, et le faire ainsi cohabiter avec d’autres qui, réellement, ne possèdent pas de liens spatiaux ni temporels entre eux. Exposer un urinoir dans un musée c’est l’arracher de son contexte (les toilettes) pour le replacer dans un autre afin de créer une œuvre originale et un symbole nouveau.

La déterritorialisation trouve ainsi son expression musicale dans le sampling, procédé consistant à extraire un son de sa partition d’origine pour l’incorporer dans une nouvelle. Par exemple le titre de Dr Dre sample l’intro de “The edge” (1967) de David Axelrod qui figure sur l’album de David McCallum.

Les Expert(s) à Belleville


 

1. Petits croquis entre amis : dessiner, modeler, moduler, trait qui se cherche

 

 

 

 

 

2. Modèle vif, les dessinateurs n’en mènent pas large non plus

 

 

 

 

 

 

3. Saison ludique : modulato cantabile, dit-elle à ma main malhabile. Dessiné au doigt dans de la confiture de mûre par des lutins espiègles

 

 

 

 

 

4. Mes voeux pour vous : rose doux, jaune astringent, vert citron, parme et lilas, des bruns chauds, des rouge pulpeux, sur vrai carton cette année, l’esprit de noël cannelle

 

 

 

 

 

6. L’amour indésirable, aplati, rejeté dans les marges, enfant prodigue noyé dans la guimauve ou comment s’en débarrasser?

 

 

 

 

 

7. L’esprit de noël? Un attrape-Google? La nostalgie des douceurs ouatées, les yeux qui craquent.

 

 

 

 

 

 

 

 

8. On pourra toujours se jouer « les experts à Belleville », moduler l’écriture ce serait, quoi? Travailler l’histoire, le récit? Matière vive, le vivant pour modèle. Cadavres exquis, recomposés, traquer les signaux faibles, une quinte de toux suspecte, une oreille collée sur les omoplates, veuillez tousser, allons! Toussez vous dis-je, ou comment dessiner vous transforme l’oreille, et ce menton qui fuse en triangle vers le ciel, insolent!

Raffaelle Simone ou le syndrome de Big Mother


Dessiner, gratter, rageusement, jusqu’à se réveiller?

Le dessin, c’est l’amour.
Avec la neige, une douceur ouatée recouvre la ville, étouffant les bruits et toute velléité de résistance. C’est tellement commode, la neige, pour cacher  la crasse, la misère, la laideur, l’iniquité. Des sans-papiers meurent légalement de froid, rejetés des abris sur ordre des préfectures. Sous la neige, on peut cacher les vieilles jalousies recuites, le ressentiment, les rages molles. On perd le courage de s’indigner. Big Mother anesthésie ses enfants, puis les sert à l’ogre.

Il est temps de revenir aux propos de Raffaelle Simone sur la « société de l’hébétude »,  maternante, infantilisante, qu’il appelle « le monstre doux ».

Lecture pour tous en a fait un compte-rendu pertinent et concis au mois de septembre. Citation de la citation :

« Extraits de textes de « La démocratie en Amérique » d’Alexis de Tocqueville, Chapitre VI intitulé « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre » : « Il semble que, si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux , et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. »

Et plus loin Tocqueville ajoute : » Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. »… Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort, il est absolu, détaille, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait objet de préparer les hommes à l’âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance… »

Buencarmino prétend que l’acte même de dessiner constitue un fait de résistance par le choix d’observer minutieusement, fraternellement, avec bienveillance, les corps témoins, balayés, broyés, aplatis sous tant de violence. Voir de plus près la vie tremblante et nue. Qui sont-ils, ces hommes? Qui sont ces femmes? Et si la curiosité sauvait en nous l’humain?

Et pourtant quelque chose se passe, dans les familles où circulent de l’amour et des histoires, où s’organise la mémoire de génération en génération. L’enfant qui vient reçoit cet héritage, il pourra crier, crier sous la glace, ou bien se taire en attendant le moment favorable.

Ce mot de préfecture, ne fait-il pas claquer des dents?

Comment peut-on geler ainsi jusqu’à la couleur des choses?

Ce sont nos propres os que l’on entend craquer.

Puissance Butô


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