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Toutes les villes mouillées se ressemblent


Toutes les villes mouillées se ressemblent. Elles parlent entre elles un langage secret, connu d’elles seules, une chanson sussurée à l’oreille du voyageur. Chacune a sa couleur, sa pudeur sous la pluie, une histoire intime et subtile courant par les rues ruisselantes.

Dans cette ville d’Europe, les passants se pressent d’écraser de petites bulles grises. Pensées pliées, c’est la rentrée; déjà perdues, reviendras-tu?

Toutes les villes mouillées se répondent. Au matin, leur visage a retrouvé sa fraîcheur. Une odeur nue de feuilles au sortir du métro crie l’enfance. Une chanson commencée là-bas revient. Rêver, revivre, aimer. Sous les parapluies, des visages.

So chic, un bus au rouge impérial éclabousse la foule d’eau sale, avec de vrais morceaux de reflets coupants comme du verre. Le faux sang se répand dans les flaques de néon. Une femme saoule se fait arracher son sac et vomit. Luxe et rage. Courir après les taxis noirs, méditer un polar. Pluie mesquine, assassine.

Asie. Sur le trottoir un enfant court. Un fou se savonne en riant. Le bruit feutré des pneus fait claquer l’eau des flaques. Après, le soleil brûle. Les femmes des quartiers nord se lavent. Cheveux mouillés, tordus, rincés. Comment les dessiner? Lèvres, épaules, et le pli du bras. Toutes les villes mouillées correspondent, les toits de zinc et la tôle ondulée rouillée grisée. Couleurs clinquantes, get a bigMac.

A Lisbonne, un pavé dépasse. Les rails du tramway brillent sous l’averse électrique. Ici, les gens n’ont pas de corps, leurs vêtements se déplacent. La nuit se répand, jaune et grise. On ira voir Bosch au musée, des porcelaines chinoises et des paravents japonais. Maisons bleues, roses, moussues de vert. Moisir a quelques avantages.

A Paris, du haut de la grue, trois corneilles plongent dans le couchant, décrivent un large arc de cercle et percent la muraille plombée des nuages. Croire à l’éclaircie. Les villes et les souvenirs se séparent.

Lisbonne et la tentation Bosch 3/3


Lisbonne dessine aussi … cliquer ici, merci ParisDessin


Lisbonne, ville idéale où savourer l’automne et ses brouillards, accepter de se perdre et s’accorder le temps de la confusion, des cheminements complexes, itinerrances.

Au musée Gulbenkian, la Tentation de Saint Antoine, par Jérôme Bosch, illustre ce moment de désarroi. Les dessins préparatoires révèlent une maîtrise technique soutenue par une imagination inquiète. Mais le plus intéressant, chez Bosch, est l’extraordinaire inventivité des motifs.

Dans un langage plus contemporain, les tentations, c’est tout ce qui nous décentre et nous livre au besoin de combler le manque par une frénésie de consommation. La surabondance des monstres dans le tableau de Bosch évoque le harcèlement publicitaire, le bruit de fond ambiant dans lequel nous baignons en permanence : aujourd’hui, l’enfer, c’est le trop.

Certains historiens de l’art ont soupçonné Bosch d’avoir consommé des plantes hallucinogènes, oubliant que le génie du peintre c’est justement de savoir traduire en images la violence et la folie qui guettent chacun d’entre nous. Il suffit de prendre le métro pour ressentir ce dont parle le tableau.

Allons coacher dans les musées, celui de Lisbonne vaut largement le détour.

Liens : des croquis préparatoires pour la Tentation de Saint Antoine

Lisbonne est généreuse


Lisbonne! Soudain, le nom de cette ville s’enrichit de nouvelles résonances. Le désir d’y retourner à la belle saison me taraude : revoir Lisbonne au printemps, dans la lumière de mai, goûter au parfum des jardins en fleurs, musarder à nouveau dans les musées puis dans les ruelles de la ville ancienne, prendre un verre dans les petits bars sympas. Tout cela m’est revenu au détour d’une conversation, comme une graine oubliée dans une jardinière qui fleurit soudain.

Curieux comme cette ville, à l’origine de la mondialisation, en porte le moins les stigmates. On cherchera longtemps les fast-foods et autres boutiques franchisées qui ne cessent de gommer les différences sur le visage des grandes métropoles mondiales. Lisbonne a su préserver l’intimité de son atmosphère et son caractère unique. On la dira peut-être un peu provinciale, et c’est très bien. Lisbonne est généreuse : elle vous donne le temps.

Revoir les portugais au long nez sur les paravents japonais, suivre les traces de cette légende merveilleusement contée par Stephan Zweig dans sa biographie de Magellan. Bref moment dans l’histoire où l’Europe se voit dans les yeux de l’Autre, avant de bien vite le ravaler au rang d’esclave ou de client. Ensuite, il faut attendre Edouard Saïd (Orientalismes) pour retrouver cette inversion du regard, l’humour en moins. L’oubli de soi , pour mieux se retrouver dans une égalité salutaire.

Et puis encore un mot sur ce grain de folie qu’on sent parfois frissonner sous la peau d’une ville, dans le visage des lisboètes. Pascal Mercier (Train de nuit pour Lisbonne) : « parmi toutes les expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie »…

les couleurs de Lisbonne


Comme il pleut sur Paris, je ressors mes photos de Lisbonne, une ville qui m’évoque aujourd’hui le plaisir  de l’amitié, les folies de Jérôme Bosch et les pavés gras, luisants de pluie, dans la jaune lumière de noël. Une ville qui pourrait être jeune à nouveau, vibrant des parfums, des musiques de l’Afrique et du Brésil, ouverte à jamais sur le monde.

 


De cette ville, on retient souvent la mélancolie, les nuances de gris, la douceur un peu décadente, mais pour moi ce sont des couleurs joyeuses, amicales, bienveillantes : vert céladon, rose tendre ou pâle des céramiques chinoises au musée Gulbenkian, bleu des azulejos dans les anciens couvents rongés d’humidité et celui parfois cru du ciel, le jaune paille brûlé, le noir laqué des tentures japonaises, et puis l’humour!

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Et puis ce livre de Pascal mercier : Train de nuit pour Lisbonne.
Extrait : « S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une petite partie de ce qui est en nous, qu’advient-il du reste »?
« Sur mille expériences que nous faisons, nous en traduisons tout au plus une par des mots, e même celle-là par hasard et sans le soin qu’elle mériterait ».