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Pluie bénie


Elle n’a pas duré longtemps, mais la petite averse aura suffi pour apporter un peu de fraîcheur et nous solidariser avec le vivant.

Les arbres et les animaux soulagés respirent, l’herbe se redresse, reverdit, les buissons répandent leurs odeurs humides, forestières.

Une forme d’amitié circule.

Une fois sortis de la bulle, nous acceptons de souffrir ou de nous réjouir avec eux. Espèce parmi les espèces. Accablés quand ils le sont, revigorés tout comme eux.

Nos ancêtres agriculteurs aimaient la pluie d’été, modérée, désaltérante, parfumée, une pluie bénie.

Son passage éphémère, insuffisant, transforme en jardin le sous-bois desséché.

Puis tout s’évapore.

Photo Christine Marsan

Soudain la poésie revient


Soudain, la poésie revient. Par le roman. Les bons, ceux qui vous réconcilient avec le plaisir égoïste de la lecture, communiquent par mille interstices avec des univers parallèles au nôtre, plus vastes et plus intenses. Un jour de pluie, ce plaisir redouble. On se laisse envoûter par les personnages, la narration, le rythme des phrases, tandis qu’au-dehors crépite l’averse. Et si ce roman sait comme nul autre évoquer un paysage gorgé de pluie « pendant que la nature toute entière – feuilles, gouttes d’eau sur les feuilles, rochers, gouttes d’eau sur les rochers – resplendit sous la lumière d’un matin neuf, … », alors, c’est « mot compte triple ».
Neuland, le troisième roman d’Eshkol Nevo (Gallimard), est de ceux-là. C’est un roman qui vous donne envie de respirer l’air du grand large, à pleins poumons. Quand vous êtes-vous réveillés pour la dernière fois avec l’envie de découvrir un Continent ? Pas une destination, pas un pays. Un Continent, avec un C majuscule et des montagnes hautes comme ça, des cataractes et des lacs les plus hauts du monde, où des gringos paranoïaques soignent leurs blessures de guerre dans des plantations cernées de cactus.
Avec Neuland, on se laisse embarquer sur des sentiers sillonnés d’agents secrets qui n’en sont peut-être pas, d’un fils à la recherche de son père happé par un rêve de chamane, on cahote sur des routes périlleuses en compagnie de la petite-fille d’une immigrante échappée de justesse à l’holocauste, et d’un guide local qui comprend comme personne l’âme des rivières. Des itinéraires passant par Jérusalem, Berlin, l’Amérique latine et des bribes d’Australie convergent. Aucun des personnages ne demeure dans le pays de sa naissance.
De page en page, l’horizon tout entier s’emplit de quelque chose d’énorme et de captivant. Destins croisés, permis de rêver. Ainsi, cette description des mystérieux dessins gravés par la civilisation Nazca, d’une échelle si grande que certaines interprétations n’ont pas hésité à parler d’un « message » adressé aux extra-terrestres, ou conçu par eux. Mais l’humain conserve toute sa place, même au cœur du merveilleux. « Au début je ne voyais que du sable. Mais elles ont commencé à apparaître. Les formes. Le singe, l’araignée, l’astronaute. (…) et brusquement, j’ai eu le sentiment que toutes les explications données à ce dessin n’étaient pas valables. Qu’ils n’avaient été exécutés que pour le prodige (…) parce que le rêve doit toujours demeurer impossible, hors d’atteinte. »
L’émotion, l’éblouissement esthétique revigorent les enfants d’un monde fatigué. « (…) dans cette immensité, leur énorme véhicule ressemble à un criquet face aux arbres élancés, aux hautes montagnes et aux vallées encaissées, où l’eau vive coule, et non un égout. Et le soleil resplendit entre les nuages, léchant le lac de ses rayons. Et cette couleur ? Pas vraiment bleue, pas vraiment verte. Violacée. Pas de vagues sur ce lac, pas une écume. Une petite barque fend doucement les flots, dessinant à sa proue un point d’interrogation. Quand un tel éblouissement esthétique l’avait-il ainsi remué pour la dernière fois ? »
Sous nos yeux les personnages s’ouvrent et se transforment, attachants, désorientés, venus d’un pays si petit, cerné de tant d’hostilité, qu’il se donne pour horizon le plus vaste monde et pour profondeur, l’histoire. On s’enfonce avec eux dans la jungle et l’on retrouve des pans de sa propre expérience, au nord des Philippines, sur les flancs d’un volcan à l’ambiance de Vol 747 pour Sydney (the Banahaw protocol, ici). L’expérience acquiert une texture particulière, poétique dans sa présence au monde.
« Plus ils s’enfoncent dans le monde des plantations plus les traces du monde civilisé s’effacent. De temps à autre, un cheval sans cavalier apparaît entre les arbres. De temps à autre, une cabine téléphonique dépourvue de combiné se dresse sur le bas-côté. Les routes sont creusées de cratères comme la surface de la Lune. Et parfois, elles s’arrêtent d’un seul coup : devant un barrage ou la jungle. (…) les buissons et les arbres s’enchevêtrent au milieu des milliers de branches et de feuilles sur lesquelles la pluie incessante joue un concerto pour gouttelettes. Le bruit des gouttes tombant sur une feuille – il s’en rend compte au bout de quelques jours – est différent de celui des gouttes glissant sur une branche, différent des gouttes heurtant un blouson, différent de celui des gouttes tombant dans les petites flaques accumulées au pied des arbres. L’eau coule sans cesse, de toutes parts, au point qu’il est difficile de distinguer le fleuve de ses affluents. (…) Avec l’expérience, on parvient à deviner l’arrivée de la pluie, lui racontent d’autres randonneurs. Avec l’expérience, on apprend à distinguer les couleurs des différents nuages.»
Un roman-radeau, pour partir à la dérive sur un fleuve de mots et d’images. Laissez-vous tenter.
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Toutes les villes mouillées se ressemblent


Toutes les villes mouillées se ressemblent. Elles parlent entre elles un langage secret, connu d’elles seules, une chanson sussurée à l’oreille du voyageur. Chacune a sa couleur, sa pudeur sous la pluie, une histoire intime et subtile courant par les rues ruisselantes.

Dans cette ville d’Europe, les passants se pressent d’écraser de petites bulles grises. Pensées pliées, c’est la rentrée; déjà perdues, reviendras-tu?

Toutes les villes mouillées se répondent. Au matin, leur visage a retrouvé sa fraîcheur. Une odeur nue de feuilles au sortir du métro crie l’enfance. Une chanson commencée là-bas revient. Rêver, revivre, aimer. Sous les parapluies, des visages.

So chic, un bus au rouge impérial éclabousse la foule d’eau sale, avec de vrais morceaux de reflets coupants comme du verre. Le faux sang se répand dans les flaques de néon. Une femme saoule se fait arracher son sac et vomit. Luxe et rage. Courir après les taxis noirs, méditer un polar. Pluie mesquine, assassine.

Asie. Sur le trottoir un enfant court. Un fou se savonne en riant. Le bruit feutré des pneus fait claquer l’eau des flaques. Après, le soleil brûle. Les femmes des quartiers nord se lavent. Cheveux mouillés, tordus, rincés. Comment les dessiner? Lèvres, épaules, et le pli du bras. Toutes les villes mouillées correspondent, les toits de zinc et la tôle ondulée rouillée grisée. Couleurs clinquantes, get a bigMac.

A Lisbonne, un pavé dépasse. Les rails du tramway brillent sous l’averse électrique. Ici, les gens n’ont pas de corps, leurs vêtements se déplacent. La nuit se répand, jaune et grise. On ira voir Bosch au musée, des porcelaines chinoises et des paravents japonais. Maisons bleues, roses, moussues de vert. Moisir a quelques avantages.

A Paris, du haut de la grue, trois corneilles plongent dans le couchant, décrivent un large arc de cercle et percent la muraille plombée des nuages. Croire à l’éclaircie. Les villes et les souvenirs se séparent.