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Lire le Royaume


Lire le Royaume

Le Royaume se présente comme une enquête sur les premiers temps du christianisme. Ensuite, les opinions divergent. Le livre n’est pas d’un abord facile. C’est une espèce de making of, une tentative de reconstitution de quelque chose qui se dérobe, dont on n’a que des traces, quelque chose d’énorme, à l’origine de notre civilisation,  un  temple dont les pierres seraient éparpillées dans la jungle et dont on aurait perdu les plans suite à des guerres civiles.

Ces obstacles ne sont pas pour décourager Emmanuel Carrère, qui s’attaque au chantier avec une équipe multidisciplinaire dont il joue à lui seul tous les rôles : architecte, archéologue, enquêteur, traducteur, cabotin, mystique. Et, comme dans la série Castle où le romancier vient au secours de la police, son imagination reconstitue les chaînons manquants avec ce flair qui distingue impitoyablement les scènes trop belles du fait véridique.  Menteur professionnel, cela vaut bien des expertises. On ne la lui fait pas. Le détail qui tue, c’est son truc.

On pourrait lui reprocher des facilités, comme d’avoir inséré une scène de masturbation féminine au milieu du texte : pour réveiller ses lectrices-lecteurs, ou tout simplement parce que la sexualité, c’est la vie, et que la vie, l’interrogation sur la vie, est au cœur de son projet. On pourrait dire aussi que c’est un truc d’écrivain. Le livre en est truffé. Mais les plus grands auteurs, à toute époque, ont ainsi semé des piments verts au cœur du texte, et comment leur en vouloir ? Il faut bien conserver l’attention, c’est la règle du jeu, ca fait contemporain et puis ça fait vendre.

On pourrait aussi faire le pitch à la manière des éditeurs anglo-saxons, évoquer les près de six cent pages, les années passées à commenter l’Evangile de Jean, à traduire celui de Marc, les centaines de litres de café, les kilomètres de pages lues, annotées, comparées scrupuleusement, longuement, méticuleusement,  tandis que se succédaient les femmes dans sa vie et les années au compteur.

On pourrait. Lui-même ne s’interdit pas les effets de retardement.  Avant de rencontrer Paul, Luc, Philippe, la Vierge et les autres, il faut se taper un chapitre assez lourdingue où Carrère, à son habitude, parle de Carrère. Le personnage est peu sympathique, parisien jusqu’à la caricature, vaniteux, mais conscient de l’être, avec  tout cela profondément honnête. C’est d’ailleurs son honnêteté qui le sauve, mais je ne vais tout de même pas dévoiler, déjà – STOP.

Comment voulez-vous parler d’un bouquin comme celui-là, tellement casse-gueule, hérissé de piques et de pièges. Il y a dix ans, personne n’en aurait voulu. Que des coups à prendre, et de tous côtés.

Donc, j’y viens, mais à mon rythme, et par le côté. C’est qu’il faut parfois du temps pour entrer dans un livre. Surtout celui-ci, qui est non seulement l’un des plus importants de l’année, mais probablement de la décennie. Comme on dit dans les dialogues d’Audiard, « c’est du lourd ». A force de danser autour de son sujet, de le pétrir, de le rater, de le reprendre encore et encore, à force de mourir et de récupérer des vies, Super-Carrère finit par s’abandonner à quelque chose qui l’emporte et nous fait plonger au cœur du volcan. Le mot n’est pas trop fort. Il y a bel et bien fusion, disparition, coulées de lave et renaissance. A cinq cent pages le tome, on sait bien qu’on n’est pas venus juste pour liker. Ca va nous coûter quelque chose. On s’engage, ou on fuit. Les livres qui comptent vraiment sont ceux qui nous transforment, ceux qui nous aident à  nous construire ou à nous reconstruire. La seule chose qui m’intéresse ici n’est pas d’ordre intellectuel, c’est de comprendre comment ce livre-là, précisément celui-là, m’a transformé. Il y avait eu la Recherche et sa cathédrale de mots jaillie d’une cuillerée de madeleine pour nous apporter la clé des mondes intérieurs. Les solaires Noces à Tipasa, de Camus, qui résument pour moi toute l’immédiateté de l’être au monde. La Tempête, où se concentrent les sortilèges de de Shakespeare. Cynthia Fleury, dont la moindre phrase a l’impact rageur d’une perceuse dans le mur du cynisme contemporain. Il y aura désormais le Royaume.

A Carrère, toute  ma gratitude pour avoir extrait des couches de poussière accumulées au fil des siècles et des exégèses la brute, la scandaleuse énergie du Christ. Celui qui vient effacer nos dettes et qui sauve, in extremis, le dernier des abrutis, des bourreaux, de tous les salopards.  L’Amour toujours là, disponible, accueillant, armé d’une exigence radicale.

Car attention, la promesse vient avec un avertissement. Page 424, l’auteur cite cette phrase terrible d’un Evangile apocryphe du premier ou du second siècle : « Si tu fais advenir ce qui est en toi, ce que tu feras advenir te sauvera. Si tu ne fais pas advenir ce qui est en toi, ce que tu ne feras pas advenir te tuera ».

Les couleurs de la résilience


Sur la chaîne de l’AFPA, une interview de Stefan Vanistendael sur la résilience.

La définition qu’il en donne va bien plus loin que la résistance aux chocs : il s’agit pour un individu, une famille, une société entière, de la capacité à mobiliser toutes les ressources dont elle a besoin pour résister au stress, au changement, à l’usure. D’une voix douce et sans jargon, Stefan Vanistendael expose des idées fortes et partage son expérience sans jamais prendre une position d’expertise, mais plutôt de partage. Dans un autre article, sous le titre : « la résilience, le regard qui fait vivre« , il évoque, à propos du film Billy Eliott, « le regard d’une femme qui fait son métier, dans un contexte banal, mais qui ne recule pas devant ce qu’elle voit, qu’il s’agisse d’un manque de liberté ou d’un potentiel caché ». Cette femme décidera de donner sa chance à Billy. La chance d’accomplir son rêve. Réfutant tout déterminisme et tout fatalisme, Stefan Vanistendael  nous explique que la capacité de se reconstruire dépend de deux choses fondamentales : le lien, et le sens.

Le lien, ou le regard que nous portons les uns sur les autres. L’attention.

Il se passe quelque chose d’intéressant dans la société française. Depuis quelque temps, on voit se multiplier des actes de micro-solidarité, dans le métro, dans la vie de tous les jours. Parfois c’est juste un sourire complice, une porte que l’on retient, le coup de fil d’un ami, le sms qui tombe à pic, empreint de bienveillance. Autant de petits gestes attentifs qui ne sauveront pas la planète mais qui, à chaque minute, nous sauvent collectivement et individuellement du désespoir.

J’en profite pour proposer un deuxième coup de coeur à l’association Passerelles et Compétences, qui met en relation des associations ou des ONG et des bénévoles qui ont du temps et du savoir-faire à donner. Le passage à l’action, lorsqu’elle est tournée vers les autres et qu’elle valorise les compétences, représente l’une des thérapies les plus efficaces.

En bonus et clin d’œil, parce que l’humour est aussi l’une des clés de la résilience, une pub vue dans le métro et qui n’a rien à voir avec le sujet (Merce Cunningham : la danse et la musique n’ont rien à voir l’une avec l’autre, elles ont juste lieu au même moment, au même endroit), quoique…