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Pratique et magie de l’intelligence collective


La ferveur était au rendez-vous, samedi, à Paris 3 Sorbonne Nouvelle, où j’animais la première d’une série de trois journées sur le thème « réussir ses projets avec l’intelligence collective ».

Au départ, le pari n’était pas gagné : le titre un peu austère en avait rebuté quelques-uns lors du semestre précédent. Il avait d’ailleurs été prévu de le modifier en « pratique et magie de l’intelligence collective », mais pour des raisons mystérieuses, le changement n’avait pas suivi. Du coup, je me demandais combien de participants se présenteraient, un samedi matin, pour travailler sur ce sujet assez indirectement lié à leurs études principales.

La réponse n’a pas tardé : ils étaient 30 au départ, bientôt 35 en comptant les retardataires.

Je commence par interroger les étudiants sur leur vécu du travail en groupe. Les réponses sont mitigées, voire franchement dubitatives. La plupart expriment un sentiment de frustration lorsque ce sont toujours les mêmes qui travaillent pour compenser l’absence de contribution des autres.  Ils estiment peu équitable que tous aient la même note au final, au point que certains ont fini par demander à leur professeur de les noter séparément.

Je leur explique alors que l’on retrouve les mêmes sentiments de frustration dans de nombreuses situations professionnelles, y compris dans les startups. L’enthousiasme initial s’émousse rapidement face à la réalité des comportements humains.

Les témoignages sont très variés, tirés de leurs expériences universitaires, associatives ou professionnelles : il y a là un arbitre bénévole de football, une animatrice de colo, des actrices de théâtre, une employée de banque, une traductrice œuvrant au sein d’un groupe de travail virtuel, réparti dans plusieurs pays. A travers cette première discussion, ils prennent conscience de la diversité de leurs expériences, et je leur fais observer la richesse que cela représente pour le groupe.

Les thèmes émergents font apparaître quelques-uns des concepts que nous allons approfondir durant ces trois journées :

  • Quelles sont les responsabilités individuelles et collectives ?
  • Comment assurer un niveau de mobilisation constant, également réparti entre les divers membres de l’équipe ? Est-ce d’ailleurs possible, ou faut-il s’accommoder de variations inévitables ?
  • Que faire lorsque le niveau de compétences est très inégal ? Comment évaluer les contributions de chacun ? Doit-on mesurer uniquement la production, ou prendre en compte la contribution, qui peut se faire sous d’autres formes : clarté de vue, capacité à communiquer, soutien moral, talent de médiateur, …
  • Comment gérer les écarts de comportement ? Faut-il appliquer des sanctions, et si oui dans quels cas ? Ou bien faut-il préférer une approche de type « réparation » ?
  • Quel équilibre instaurer entre le souci d’efficacité et celui de ne pas heurter les sensibilités ?
  • Qu’est-ce qui est équitable ? Pour les individus ? Pour le groupe ?
  • Comment prendre en compte les contraintes : nécessité de jouer le soir devant un public de théâtre, de respecter les enfants, les règlements sportifs ou professionnels ?

Le bâton de parole tourne à toute vitesse, l’attention est soutenue. Parmi les « règles du jeu », je demande à chacun de dire son prénom avant d’exprimer son point de vue ou de poser sa question. Le but est à la fois d’apprendre à se connaître, et de se responsabiliser dans sa prise de parole.

Le débat fait des aller-retour constants entre les exemples vécus et les concepts. Je leur explique la notion de « position Méta », dans laquelle on s’intéresse à la manière dont le groupe fonctionne et non pas à sa production (le contenu) . C’est par exemple le fait d’avoir une « discussion sur la discussion », ou la nécessité de poser des règles de gestion des désaccords à froid, bien avant d’aborder les sujets qui fâchent. Ainsi, lorsque les premiers désaccords apparaîtront, on n’aura pas à discuter en même temps des écarts et de la manière de les gérer. Ils comprennent cette idée en approfondissant le rôle du médiateur, les situations dans lesquelles il serait judicieux d’y avoir recours, et celles où le groupe devra prendre ses responsabilités.

Les règles, initialement vécues comme des contraintes ou des notions implicites ne méritant pas qu’on s’y attarde, sont maintenant perçues comme un moyen de prévenir ou au moins de gérer les conflits. Peu à peu apparaît le besoin d’un cadre, d’un référentiel, qu’il soit donné d‘avance (règlement du travail, droits de l’homme,…) ou co-construit. Ainsi, le principe selon lequel au théâtre, dans le cadre d’une improvisation, « toute proposition doit être acceptée, quelle qu’elle soit » constitue une règle implicite, mais connue et généralement respectée de tous.

Mais il ne suffit pas d’avoir ou de se donner des règles : comment les appliquer ? De manière stricte ou selon le contexte ? L’arbitre bénévole de football évoque sa décision de ne pas donner un carton rouge, pourtant mérité, afin de faire retomber la température parmi les joueurs et le public.

D’ autres principes émergent, tel que l’entraide parmi les animateurs de la colo, qui doivent prendre sur eux et se retenir d’exprimer des émotions négatives envers leurs collègues, soumis à une forte pression pendant toute la journée. Solidarité, responsabilité, intégrité, transparence, engagement : quelle est la part des valeurs collectives, relationnelles, individuelles ? Je leur propose d’adopter la proportion 50-25-25, que nous reprendrons dans un exercice en deuxième journée.

Pour souligner l’importance de poser un objectif commun, je leur propose de créer ensemble une communauté apprenante, je leur explique le principe de co-responsabilité, et l’importance de la ponctualité : chacun d’entre nous est une ressource pour les autres, et du coup, être en retard, c’es se priver de l’expérience vécue, impossible à rattraper en lisant un support écrit, mais c’est aussi priver les autres de sa contribution (ses idées, son écoute, son soutien).

Au fur et à mesure que les retardataires arrivent, je demande aux étudiants de leur expliquer eux-mêmes ce principe. Cela nous permet de lancer ensuite une discussion sur la mise en application concrète du principe de sanction-réparation : faut-il donner des pénalités aux retardataires, ou leur permettre de compenser leur retard en apportant quelque chose de plus au groupe ? L’idée d’une compensation non-culpabilisante fait son chemin.

A suivre …

Une question de perspective


« Nous me méditons pas pour résoudre nos problèmes, mais pour qu’ils ne prennent pas toute la place », énonce Christophe André (encore lui) dans « Méditer jour après jour ». Question de perspective, en somme. Or, ce déplacement peut changer beaucoup de choses. Le simple fait de prendre de la distance envers ce qui nous étrangle ou nous obsède permet de regagner l’espace nécessaire à l’action. On pourrait écrire la même chose à propos des vacances. Une amie américaine s’interrogeait, il y a quelques semaines : «pourquoi nous autres américains prenons-nous si peu de vacances » ? Je lui avais proposé, au choix : l’amour du travail, ou la peur du vide ?
Pour nous, français, c’est un temps de repos, mais aussi un temps pour resserrer des liens avec nos proches. Une heure de bricolage ou de jardinage, une balade à vélo, un jeu rapprochent les générations même lorsque la parole est compliquée, les références diverses. De petits actes de solidarité s’improvisent. On veille sur les plus jeunes ou sur les anciens. Comme un photographe s’exerçant à ajuster sa profondeur de champ, les familles et les individus qui les composent trouvent de nouveaux réglages dans leurs relations. Les compromis, soudain, paraissent moins difficiles. Ce que l’on capture alors, il faudrait penser à le ressortir en hiver, car c’est à cette source que nous pouvons puiser, parfois, la force d’accomplir des choses extraordinaires.

Les couleurs de la résilience


Sur la chaîne de l’AFPA, une interview de Stefan Vanistendael sur la résilience.

La définition qu’il en donne va bien plus loin que la résistance aux chocs : il s’agit pour un individu, une famille, une société entière, de la capacité à mobiliser toutes les ressources dont elle a besoin pour résister au stress, au changement, à l’usure. D’une voix douce et sans jargon, Stefan Vanistendael expose des idées fortes et partage son expérience sans jamais prendre une position d’expertise, mais plutôt de partage. Dans un autre article, sous le titre : « la résilience, le regard qui fait vivre« , il évoque, à propos du film Billy Eliott, « le regard d’une femme qui fait son métier, dans un contexte banal, mais qui ne recule pas devant ce qu’elle voit, qu’il s’agisse d’un manque de liberté ou d’un potentiel caché ». Cette femme décidera de donner sa chance à Billy. La chance d’accomplir son rêve. Réfutant tout déterminisme et tout fatalisme, Stefan Vanistendael  nous explique que la capacité de se reconstruire dépend de deux choses fondamentales : le lien, et le sens.

Le lien, ou le regard que nous portons les uns sur les autres. L’attention.

Il se passe quelque chose d’intéressant dans la société française. Depuis quelque temps, on voit se multiplier des actes de micro-solidarité, dans le métro, dans la vie de tous les jours. Parfois c’est juste un sourire complice, une porte que l’on retient, le coup de fil d’un ami, le sms qui tombe à pic, empreint de bienveillance. Autant de petits gestes attentifs qui ne sauveront pas la planète mais qui, à chaque minute, nous sauvent collectivement et individuellement du désespoir.

J’en profite pour proposer un deuxième coup de coeur à l’association Passerelles et Compétences, qui met en relation des associations ou des ONG et des bénévoles qui ont du temps et du savoir-faire à donner. Le passage à l’action, lorsqu’elle est tournée vers les autres et qu’elle valorise les compétences, représente l’une des thérapies les plus efficaces.

En bonus et clin d’œil, parce que l’humour est aussi l’une des clés de la résilience, une pub vue dans le métro et qui n’a rien à voir avec le sujet (Merce Cunningham : la danse et la musique n’ont rien à voir l’une avec l’autre, elles ont juste lieu au même moment, au même endroit), quoique…