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La joie de l’aigle (fin)


Il faut imaginer un aigle joyeux.

Dans son livre la Vie secrète des animaux, Peter Wohlleben (auteur du best-seller la Vie secrète des arbres) montre, exemples à l’appui, combien les animaux sont capables d’éprouver des émotions, et donc pourquoi pas de la joie ? Il évoque une célèbre vidéo, visionnée des millions de fois, dans laquelle un corbeau s’empare d’un petit emballage en carton qu’il positionne au sommet d’un toit avant d’en dévaler la pente sur cette luge improvisée. https://m.gamaniak.com/video/corbeau-luge

Aucune motivation purement utilitaire, telle que se nourrir ou se reproduire, ne peut expliquer un tel comportement. Seul le plaisir, l’amusement gratuit, peut justifier l’action du corbeau, répétée plusieurs fois, tout comme un enfant qui reprend sa luge et la ramène tout en haut de la colline pour pouvoir la redescendre à toute vitesse.

Nous ne savons pas ce qui se passe dans la tête du corbeau, mais nous pouvons nous rappeler combien, enfants, nous aimions la sensation de vertige que procure la vitesse. Cette intensité. recherchée des skieurs et des surfeurs, des motards et des parachutistes, ainsi que de tous les sportifs qui s’adonnent à un effort prolongé, les amène à un état de conscience modifiée proche de ce que l’on peut vivre sous hypnose.

Il y a du plaisir dans cet abandon à quelque chose qui nous entraîne, et nous procure le sentiment de vivre plus fort. Ne prenons pas ces émotions pour un pur divertissement, car elles nous entraînent à nous dépasser, à surmonter nos appréhensions, à dénouer les croyances qui nous entravaient, dans notre ancien moi.

Les émotions positives ou négatives constituent de puissants leviers d’apprentissage, et si nous voulons apprendre quelque chose des aigles, acquérir un peu de leurs capacités symboliques ou réelles, nous ferions bien de nous intéresser à ce qui les rend joyeux.

Ce sont peut-être des sensations, comme l’air tiède des courants porteurs sous leurs ailes, ou l’élargissement infini du paysage au fur et à mesure qu’ils s’élèvent.

Pensons avec empathie au petit aiglon, lorsqu’il se tient au bord du vide, effrayé, tandis que ses ailes encore couvertes d’un duvet juvénile commencent à frémir dans un mouvement à peine perceptible. Il va s’entraîner, renforcer ses muscles et ses poumons, sentir chacune des fibres de son corps, éprouver leur puissance croissante, jusqu’au jour où le désir de voler sera si grand qu’il pourra s’élancer, libre enfin de savourer la joie de parcourir les grands espaces du ciel.

Apprendre à jouer avec nos peurs, avec nos désirs, nous entraîner à monter et descendre dans la spirale émotionnelle : telle est pour nous la voie de l’évolution libre et consciente, la clé de l’émergence et de la reconfiguration d’un moi nouveau. Aucun raisonnement, si bien construit soit-il, ne nous emmènera dans le nouveau monde, dans la nouvelle vie à laquelle nous aspirons. La joie de l’aigle et la luge du corbeau nous rappellent que les émotions sont pour cela le meilleur des véhicules.

La voie de l’aigle (suite)


La voie de l’aigle, bien sûr, c’est aussi celle du courage. Mais qu’est-ce que le courage dans le monde compliqué, brutal, imprévisible où nous vivons ?

Paradoxe : et si le courage commençait par une forme d’humilité ? L’aigle ne s’élève pas contre les courants ascendants : il les trouve, et s’élève avec eux. L’humilité face au réel, lorsqu’elle se combine avec une farouche détermination à tenir son cap, assure le succès dans l’économie d’énergie. Les ingénieurs appellent cela l’efficience, on pourrait aussi parler de capacité à s’adapter, de débrouillardise. Tous ces mots me plaisent bien. Ils montrent la diversité des stratégies que nous inventons pour survivre et rebondir face à l’adversité.

Car l’adversité fait partie du programme. C’est ce que l’on nous répète avec une décourageante régularité, comme s’il n’y avait pas de mérite à réussir sans effort. L’aigle, pourtant, n’a pas la folie de voler contre le vent. Il s’appuie au contraire sur lui, s’en fait un allié. Et je crois même qu’il joue, qu’il danse avec le vent. Je crois qu’il éprouve du plaisir à tournoyer, là-haut, dans les courants, et qui sait s’il ne lui arrive pas même parfois de rire, là-haut, tout là-haut dans les cimes.

Sa voie d’excellence est dans sa virtuosité à capter les spirales ascendantes, à saisir et interpréter les moindres signaux de l’atmosphère, puis à régler sa trajectoire dans l’espace du possible.

Mais où est le courage dans tout cela, me demanderez-vous ? L’aigle ne fait-il pas qu’appliquer des tactiques de survie pour se nourrir ? Et s’adapter face à l’aspérité du réel, n’est-ce pas ce que nous faisons tous les jours ? Où est l’exploit ?

Bien malin qui saurait répondre à la place des aigles mais pour nous, les humains, la virtuosité ne saurait suffire. Elle doit être accompagnée d’une solide éthique, ancrée dans des principes transparents, évolutive et pratique.

Ce qui distingue le courage du simple instinct de survie, c’est qu’il s’appuie sur des valeurs. Comme l’aigle, nous avons besoin de trouver et tenir notre cap, et les valeurs sont nos courants porteurs. Altruisme ou loyauté, sens du devoir ou passion pour la beauté, la justice, la liberté : c’est dans ces concepts en apparence abstraits que nous puisons l’énergie de nous dépasser, de prendre des risques ou tout simplement de chercher à nous améliorer, jour après jour.

Ethique et virtuosité : que l’une des deux vienne à manquer, c’est le crash. L’alliance des deux constitue la voie de l’aigle, animée par une éthique d’apprentissage. (à suivre).

Troisième et dernière partie :

Et si nous étions amenés à changer régulièrement de système de valeurs? Cela ferait-il de nous des girouettes, des alliés peu fiables, inconsistants, ou des êtres évolutifs, capables de nous adapter aux changements qui se produisent dans nos conditions d’existence ? Sommes-nous portés par des motivations identiques à vingt, quarante ou soixante ans ? En début et en fin de carrière, lorsque nous avons fait nos preuves et que nous aspirons à laisser une trace pas trop moche de notre passage sur la terre ?

A chaque vol, l’aigle s’améliore, approfondit sa connaissance de son environnement et de ses dynamiques invisibles. Transposé dans notre vie quotidienne, concrètement, cela signifie porter toute notre attention sur les opportunités d’apprentissage, même et surtout lorsque c’est difficile, lorsque cela nous met provisoirement en situation d’échec ou juste lorsque cela prend du temps et consomme de l’énergie.

Echouer fait mal à l’ego, mais c’est la voie. Pour pouvoir nous élever, pour concrétiser nos plus hautes aspirations, nous devons tout d’abord nous alléger. Or c’est du courage qu’il nous faut pour désapprendre, pour nous séparer de nos anciennes croyances, de nos anciennes façons de faire et même de nos peurs devenues, avec l’habitude, enveloppantes et douces comme un vieux pull.

Dans l’article précédent j’évoquais ce mouvement des yeux que nous pouvons faire vers le haut à droite pour nous reconnecter instantanément à nos images inspirantes, (celles qui concrétisent visuellement nos valeurs). A peine les avons-nous trouvées que notre dos se redresse, nous respirons plus librement, avec plus d’amplitude. Notre corps a trouvé ses courants porteurs.

Allier l’éthique et la virtuosité, la vue globale et le détail concret,

C’est la voie, brûlante, exaltante, et parfois risquée que nous montre l’aigle.