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Au calme, citoyens!


Primevèresjpg

Paris au printemps

17 Mars, jour 3

Fraîcheur, la petite fille qui chante à sa fenêtre, en face de chez moi, au moment où je quitte mon appartement sans savoir quand j’y reviendrai.
Je la salue de la main, mon coeur se serre un peu. Comment vivra t’elle ces journées, ces semaines d’enfermement? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. D’une intolérable et nécessaire restriction à notre liberté de mouvement. Désarroi, révolte. Impatience bientôt dissipée lorsque mon oeil tombe sur quelques primevères d´un jaune pâle, plantées par des parisiens sur un bout de trottoir mis à leur disposition par la ville. Ignorant nos appréhensions, notre calendrier, nos lois, nos restrictions, le printemps perce ici et là, se multiplie, déroule sa vague puissante, inexorable, insideuse et subtile, sourd comme un roc, aveugle comme la Justice. Son triomphe est garanti. Rien ne pourra l’empêcher d’éclore où on ne l’attend pas. Gratitude, soulagement. Se rappeler que l’essentiel se passe ici et maintenant. Ces primevères sont bien réelles. Quelqu’un les a semées, sarcle le bout de terre où elles poussent, se réjouit de les voir fleurir. La résilience se joue dans ces détails, dans la capacité que nous pouvons cultiver à nettoyer instantanément tout ce qui nous pollue l’esprit.
Ainsi vit Paris, au temps du Coronavirus.
Nos émotions font la clé de sol, plongent, s’élèvent, de la colère à l’amour en passant par tous les états intermédiaires avant de se stabiliser. Nous vivons un apprentissage en accéléré.

Avenue René Coty : je change d’arrondissement, d’ambiance, d’univers.
La même impression de plonger dans l’inconnu qu’en février 2000, lorsque je suis parti m’installer à Singapour.
Pourtant je ne vais pas très loin : de Glacière à Alésia, une petite marche de quinze minutes suffit pour me rendre chez mon père où je vais m’installer jusqu’à la fin du confinement.
Lola, sa jeune voisine, écoute de la musique fenêtres ouvertes et c’est une joyeuse bouffée d’énergie qui se répand dans tout le quartier.
Je m’installe. J’ouvre mon ordinateur, je consulte mes mails tandis que le calme retombe, peu à peu. Sur la terrasse désertée du studio Pin-Up, les pigeons se disputent des miettes. Il fait doux.

L’amour du jeu


Et si la réelle authenticité, c’était de se réconcilier avec l’acteur en nous? Celui qui fut d’abord un enfant s’amusant à incarner des personnages, à épouser leurs intentions secrètes et voir le monde à travers leurs yeux? Les enfants ne cessent de se réinventer, sans pour autant trahir leur fibre profonde. Certains vieillards, à l’issue d’une belle et longue vie, allégés des devoirs et des apparences, renouent avec ce côté ludique, profondément humain, suscitant parfois l’incompréhension. Entre les deux, l’adulte a bien du mal à maintenir ce qu’il prend pour de l’intégrité. Il s’en tient à la partition, oubliant la musique.

Légendes urbaines (violet)


Poésie des mondes superposés comme une pâte feuilletée, cuisant dans la tiédeur de nos villes souterraines.

Ici fermente la mémoire des labyrinthes.

Au métro Denfert, quand cesse le fracas des trains, on entend les sons d’une harpe. Elle nous plonge dans un monde profondément enfoui, tissé de légendes et de mythes que l’on se racontait, le soir, dans une autre enfance, et puis une autre, et tant d’autres encore, jusqu’à se perdre dans le son (violet).

Le marron d’Hudson ou les saisons du changement


marronsLe marron, frais sorti de sa bogue, doux au toucher, lisse et d’un beau brun luisant, de quoi nous parle-t-il ? De l’automne et de ses sortilèges, de l’enfance, des promenades sous les arbres penchés, sur un tapis de feuilles colorées, où les bruits s’amortissent. On le ramasse, on le tient dans la paume de sa main pour le plaisir de goûter sa tiédeur, sa rondeur apaisante, bienveillante, amicale.

Il ne promet rien, pas même la conservation des souvenirs plaisants, encore moins le retour des beaux jours, car on sait que l’hiver approche, mais le tenir ainsi nous fait du bien. Sa discrétion rassure. C’est un ami fidèle, sur qui l’on sait pouvoir compter. Sa magie n’a rien de spectaculaire, mais elle touche à l’essentiel. Car ce beau fruit possède le pouvoir d’absorber une partie de nos chagrins, d’alléger nos craintes, et de nous ramener dans le cocon de l’instant présent.

C’est un doudou naturel, protecteur et consolateur, comme ces musiques qu’on écoute en boucle à l’adolescence, déchirés par la nécessité d’aimer et de grandir, de rupture en rupture.

Il y a de la joie dans sa manière de refléter la lumière. Il l’enrichit d’une tonalité généreuse, synonyme d’abondance et de satiété. Grâce à lui, l’automne devient une saison de la résilience, un temps de récolte où la vie révèle de nouveaux accords, plus riches, plus complexes et plus variés que ceux des saisons pleines. Les concerti pour mandoline, de Vivaldi, font merveilleusement chatoyer ces sonorités délicates, soleils de fin d’après-midi passant à travers des feuillages ou multipliés dans le courant d’une rivière.

Le coach Hudson, au beau nom de fleuve nord-américain, a formalisé dans sa théorie du changement la métaphore des quatre saisons comme cycle du renouvellement, que précèdent le tri, l’abandon, la germination. Rien ne sert de vouloir accélérer le processus. Chaque étape est nécessaire.

Le marron, dans sa complétude, nous renvoie quelque chose de nous-mêmes. Il nous dit que nous possédons les ressources et le talent nécessaires pour rebondir, quand le moment sera venu. Mais il nous donne aussi l’autorisation de prendre un temps de repos, un temps pour soi. Ce besoin de confort, d’intériorité, parfois stigmatisé comme une tendance à l’égoïsme, écoutons-le. Ne craignons pas le silence, l’immobilité : c’est le terreau dans lequel germinent les projets les plus audacieux. Dans ces moments-là, soyons de bons compagnons pour nous-mêmes. Apprenons à apprécier ce qui est là, comme on passe un chiffon imbibé de cire sur des meubles en bois pour accentuer leur luisant.

Ce marron, recueilli dans une forêt de France, évoque aussi pour moi l’Amérique du nord, des envies de voyages, et de très belles conversations. Que vous dit-il ?