La colère a mauvaise presse, et c’est bien dommage, car elle recèle à côté des poisons bien connus quelques pépites intéressantes. Tout dépend de la manière dont elle s’exprime, et de la direction qu’elle prend (ou qu’on lui imprime consciemment). Selon Freud : « le premier humain à jeter une insulte plutôt qu’une pierre est le fondateur de la civilisation » .
Un matin, pendant les vacances, mes hôtes entament une conversation sur cette émotion mal famée. La référence, pour moi, c’est le capitaine Haddock, grand maître des tempêtes verbales, gourou ès fureur, pontifex irae, comique involontaire et faire-valoir du lumineux Tintin.
Haddock est connu pour ses éruptions volcaniques résonnant, telles les trompettes d’un Magnificat, à travers l’espace du récit dont il ne cesse de déformer le cours, ou de l’accélérer, transformant en gags les catastrophes qu’il ne cesse de déclencher. Or, ce qui nous enchante, ce n’est pas tant leur intensité que la créativité merveilleusement poétique de ses jurons.
Des amateurs éclairés se sont même chargé de les classer par ordre alphabétique (lien ici : http://fjaunais.free.fr/Tintin/Ihadpres.php)
Il y a quelque chose de jubilatoire dans ce flot toujours renouvelé. Je ne peux pas résister au plaisir de vous en citer ici quelques-uns :
Anacoluthe, invertébré, jus de réglisse !
Boit-sans-soif !
Cercopithèques !
Ectoplasmes !
Forbans !
Gargarismes, gredins, et le délicieux : grenouilles !
Lépidoptères !
Macrocéphales ! Marins d’eau douce ! Mitrailleur à bavette !
Ornithorynque !
Il y a aussi la colère-essorage, violente, mais nécessaire, purificatrice. Celle qui ramène le calme après expulsion des scories et autres émotions troubles. Le colérique-justicier, de type Zorro, qui se met en colère pour une noble cause, invective les fauteurs de torts au comportement égoïste, agressif, manipulateur, inacceptable. Et tant d’autres…
Mais les colères de Haddock ont quelque chose de spécial, de pur et d’enfantin dans leur spontanéité foutraque. Parfois, on sent bien qu’il dérape. Ca déborde de tous les côtés, mais avec une forme de jubilation qu’on lui envie. C’est qu’on aimerait pouvoir, comme lui, se libérer du carcan de la bienséance et dire, une bonne fois, ce qu’on a sur le cœur.
Ainsi la colère n’est pas nécessairement qu’on poison. Elle peut mener à des formes d’action constructives, à condition de la canaliser.
Et la poésie ? (à suivre)