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Quand elle devient Margot


 

La princesse aux étoiles

« Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip » !

Mon prénom porté par un cri strident, brutal, impératif, roule depuis le fond du hall de la gare de la Rochelle. La modulation saturée de couleurs jubile dans l’aigu, roucoule dans le grave et se stabilise enfin dans un langoureux médium.

Lorsque la poussière et le bruit de freins se dissipent, j’aperçois, naviguant avec assurance parmi la houle pressée des voyageurs, une créature somptueuse, veloutée, brillante, balayant l’air d’une robe imaginaire : c’est Brigitte, ma complice et coach en écriture, tout de carmin vêtue. Arrivée devant moi, elle rejette en arrière ses mèches blondes, découvrant son cou blanc et rond pour faire le « port de tête royal », prend son élan, m’embrasse chaleureusement, se redresse. Avec satin, fraise en dentelle, tentures, tritons, naïades et une douzaine de suivantes elle incarnerait à merveille la Marie de Médicis par Rubens, du Louvre. Elle pourrait jouer de nombreux rôles, d’ailleurs, s’il se trouvait des réalisateurs assez perceptifs pour mesurer toute l’ampleur de son talent et sa capacité de travail, énorme. Elle a la gouaille et la profondeur d’un Gabin au féminin, la verve et le talent d’une Sapritch, en gironde. Son énergie m’inspire, et conspire à me faire écrire.
– Brigitte, comment vas-tu ? En vacances dans ta région natale ?
– Philippe, ça va ? Tu rentres sur Paris ?
(Elle ignore délibérément toute allusion à son lieu de naissance, sur lequel elle préfère entretenir un flou artistique, mais j’aime trop la sonorité du mot « natal » pour laisser échapper l’occasion de le prononcer)
– Pas encore. Je viens de passer une semaine à Ré et je retourne à C…, on va fêter les 80 ans de mes parents avec toute la famille.
– Oh là là, ça va être quelque chose ! Et ton blog alors ? Ca y est, tu l’as fait ?
– Pour l’instant j’écris, je prends des photos, mais ça manque d’un récit, de personnages en chair et en os. C’est toujours la même chose, comme je ne peux pas parler des gens réels ni les montrer en photo, je shoote le paysage, les animaux de rencontre, un âne, une mouette.
– Eh bien, fais quelque chose avec l’âne et la mouette.
– Brigitte, je t’adore, mais que veux-tu que je fasse comme histoire avec un âne et une mouette ?
– Je ne sais pas moi, une fable !
– L’âne et la mouette ? Hmmoui, ça sonne pas mal.
– La mouette et l’âne s’il te plaît, ladies first.
– Va pour la mouette et l’âne, puisque tel est le désir de ma stentauresse.
– (Tonitruante, avec rejet de mèches blondes) : qu’est-ce que c’est qu’une stentauresse ?
– Une princesse avec une voix de stentor, ou le féminin de centaure, comme tu veux. A ce propos, ne hurle pas si fort, tout le monde nous entend dans cette gare et tu sais combien j’ai horreur d’attirer l’attention
– Ah ça mon cher, il faudrait savoir ! On veut se faire lire, mais pas se faire entendre ?
– De préférence pas dans une gare.
– Pourquoi, tu snobes la littérature de gare ? Proust était ravi, lui, qu’on le lise dans les gares.
– On a dit qu’on ne parlait pas de Proust.
– Qui est « on » ? Moi, je n’ai rien dit.
– C’est fou ce qu’on t’entend, pour quelqu’un qui ne dit rien. Tu n’as pas lu le passage sur Proust, au début du blog ?
– Comment pourrais-je avoir lu un passage précédant mon apparition?
– Mais je parle de toi, avant.
– Apparition, du verbe apparaître, en majesté de préférence.
– Oui je sais, Rubens ou rien du tout. Il suffit de lire à l’envers, tu cliques sur la petite flèche en remontant vers le début.
– Tiens, ce serait une belle idée narrative, ça. Un récit de forme circulaire, qu’il faudrait lire en remontant vers les toutes premières pages pour trouver des indices. Mais si tu pars dans la fiction, il va falloir effacer les traces.
– Les traces ?
– Mais bien sûr, tu ne peux pas appeler les gens par leur vrai nom. Il y a des empreintes digitales à tous les coins de phrase, dans ton blog. Il faut poser quelques mystères, des énigmes à retardement, modifier les faits, tendre les ressorts dramatiques. Moi, par exemple, il faut que tu m’inventes un nom.
– Ah oui, bien sûr. T…, je pourrais l’appeler Nicolas, et Julien pour l’ami d’enfance.
– J’aimerais bien Margot. Un prénom royal, un peu vieille France mais portée sur la bagatelle, on lui voit des tresses blondes, elle est plantureuse et forte, avec un sens de la répartie pas possible.
– Bon, d’accord, j’y penserai. Maintenant, chère stentauresse, avec ton accord j’aimerais bien aller prendre mon train pour Nantes.
– Hop hop hop, pas si vite. Est-ce que tu n’oublies pas quelque chose ?
– Euh, c’est possible, je dois faire un vœu ?
– Ah non, ça c’est dans une autre histoire. (rejet de mèches blondes en arrière, port royal).
– Je ne sais pas. Je crois que j’ai tout ce qu’il faut pour écrire maintenant : une ambiance, un lieu, des personnages…
– Et l’objet ?
– L’objet ?
– Oui, l’objet déclencheur. La clé pour démarrer l’histoire, tu sais bien, comme dans l’atelier d’écriture.
– Ah oui, n’est-ce pas ce que tu es censée m’offrir ? Car je suppose que tu n’as pas mis en scène cette royale apparition sans une bonne raison ?
– Marie de Médicis n’était qu’une grenouille, une toute petite reinette de rien de tout. Je veux Catherine II pour mon prochain rôle, avec boyards en uniforme à brandebourgs dorés, chevaux piaffants, la totale !
– Et pour les accessoires ? Des bottes, un fouet ?
– Naturellement. Plus un traîneau dans la neige et des armées de paysans massés au bord des routes pour m’acclamer.
– Oui eh bien je vais voir avec la production, hein.
– Fais au mieux mon cher, mais tu couperas cette partie du dialogue, ça ralentit l’action.
– Oui coach. Alors, cet objet ?
– Ce n’est pas un objet, c’est un mail. Tu le trouveras dans ta boîte aux lettres en arrivant, et je te garantis une fameuse surprise ! Hahahaha !
Re-modulation grave-aigu-médium puissance Walkyrie avec envol de pigeons, regards, sourcils froncés ; une japonaise déclenche son iPhone à tout hasard et pouf, elle disparaît, ne laissant derrière elle qu’un peu de poudre rose et de fumée.
Dans la gare, les gens ont une manière ostentatoire de ne pas me regarder. Afin de me donner une contenance, je cherche un coin wi-fi pour ouvrir mes mails. Qu’est-ce qui m’a pris de la laisser partir sur Catherine de Russie ? A partir de maintenant, le récit bascule dans la fiction, sans garanties ni garde-fou.

la petite porte dérobée (à qui?)

 

Qu’en disent les mouettes?


Bruit de cymbales froissées, j’écoute OK Computer de Radiohead : la voix tendre et plaintive d’ Exit Music « Breathe, keep breathing, don’t loose your nerve »…

La semaine à Ré s’achève dans le train pour le Mans, correspondance à Nantes. Un temps de métal fondu, nuances de gris : cendré, plombé, perle et tourterelle, j’en connais tout le catalogue.

Une pensée pour Frankie, ma coach en écriture, conteuse d’origine charentaise à l’imagination fertile, au verbe savoureux, tonitruant, subtil. Frankie sait comme personne donner vie à ses personnages. Elle fait mijoter les mots dans sa bouche, dose le cuit, le cru,  et me donne le contrepoint, la version populaire de ce paradis. Ce serait drôle de l’entendre évoquer les estivants, comme ils se font leur cinéma. Et les hivers. Elle connaît les hivers cruels, les sombres disputes et l’ennui, la mesquinerie sans fin de l’ennui qui dure, le merveilleux ennui des saisons qui vous entortillent dans leur chevelure d’algues et vous font désirer passionnément d’aller goûter la vraie vie sur le continent. Frankie qui sait faire parler les sirènes sevrées d’homme avec leurs mots flûtés,  collants, mais aussi les marins, et bien entendu les ânes du Poitou. Les ânes qui se retiennent de rire en nous voyant passer. Et les mouettes ? Qu’est-ce qu’elles en disent, les mouettes ? Beau sujet pour une fable rétaise : « la mouette et l’âne ».

Echouez mieux !


Ré, dimanche 8 août. Encore une leçon de persévérance.

Le soir,  après de longues balades à vélo dans les marais de Ré, j’ouvre les poèmes en prose de Charles Baudelaire.

« Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi !  Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu ». Le confiteor de l’artiste.

Rivaliser avec la nature, plutôt que tenter de se dissoudre en elle ? Une semaine que je cherche à traduire mes impressions. Comme dirait mon neveu, c’est pitoyable ! Je lutte avec mon manque de vocabulaire en essayant de reproduire les infinies nuances de couleurs, la lumière changeante, espiègle, insaisissable. Baudelaire échoue dans sa tentative de rivaliser avec la nature  mais sa victoire est dans le choix de cette posture héroïque. La vigueur du parti-pris survit à l’échec. La leçon d’écriture c’est le défi que me lancent les marais, l’énigme codée dans les jeux sans cesse renouvelés de la lumière et les teintes dissonantes de la végétation et du miroir d’eau. Le jaune sulfureux y côtoie le roussâtre et le vert corrompu, les terres de Sienne brûlées et l’anthracite. Pas un ton franc, pas une seule couleur pure.   Tout est  rouillé, dévoré par le sel, oxydé, jusqu’à l’azur du ciel attaqué par ce bain corrosif dès qu’il s’y repose.

La première leçon d’écriture était de ne pas chercher à me dissoudre dans la nature, ni de m’y promener en étranger, encore moins en rival, mais de chercher le juste rapport avec elle.

Percevoir la fréquence musicale particulière de ce lieu, et pour cela faire tout d’abord le vide avec humilité.

En écho, la belle leçon de persévérancel de Samuel Beckett à un jeune écrivain :

« Echouez. Echouez encore. Echouez mieux ! »

Allez l'Oïde

Ecrire bricoler tenir


 

Tenir

 
Ecrire ou bricoler. Frustration, douleur, parfois de menues récompenses. L’enjeu, c’est d’entretenir la motivation jusqu’au point de basculement, savourer d’étranges découvertes enfouies sous des couches de crasse et de poussière. Persévérer, fractionner la tâche en tout petits morceaux pour se donner autant d’occasions de célébrer.

Tenir jusqu’à vendredi. Le troisième jour est toujours le plus dur. S’inspirer des sportifs qui reprennent le chemin de l’entraînement tous les jours, qu’il pleuve ou qu’il vente, même après une défaite.Tout en haut du placard, une étagère incrustée de poussière où sommeillent de vieilles bouteilles de gnôle et des carafes en cristal aux armes des C… Ce vieux meuble aurait-il une relation particulière au temps ? Collé à l’intérieur de la porte, un menu jauni propose : endives cuites, veau façon Orloff, gâteau de semoule à la confiture de mûres. Septembre 1937.  Ils ont dû se régaler. Le soir, j’ai commencé le premier des panneaux du centre. Ai-je dit que la couche de peinture originale, sous le jaune vif, était d’un marron à vomir ? L’épaule et le poignet me brûlent, la peau de mes pouces durcit. La musique se mélange dans ma tête : Lady Goldberg et les Variations Gaga.

Un été dans la Sarthe ou mes deux égéries


La Sarthe est délicieusement calme, en été, mais le projet de ce blog n’est pas d’en vanter les charmes bucoliques. On est là pour expérimenter, pour relever un défi d’écriture, au jour le jour, et pour garder le contact avec les amis dispersés aux quatre coins de la France pour quelques semaines.

Afin de pimenter mon journal avarapien, cet été, comme les grandes marques, j’ai donc voulu m’offrir les services d’une égérie.

Il faut avouer qu’ « un été dans la Sarthe », pour booster l’audience, on fait mieux. Or, ne pouvant me résoudre à trancher entre la brune et la blonde finalistes du concours organisé spécialement à cet effet, j’ai retenu les deux starlettes, nommées Souplesse et Discipline. Deux fortes personnalités, sûres de leur talent, légèrement cabotines et parfaitement égocentriques. Aussi différentes l’une de l’autre que les Variations Goldberg de Lady Gaga.

Sévère et juste, à ma droite, regard profond, mèches brunes, la Discipline avec l’aide de laquelle j’entends préparer la rentrée dans des conditions optimales. Le programme est chargé : apprentissage de WordPress pour mon blog, sport, méditation, bricolage, écriture. Le bricolage, c’est une cuisine entière à rénover : tomettes anciennes dont il va falloir retrouver l’éclat sous le vernis, la crasse et parfois même un voile de ciment, un énorme placard à repeindre après avoir décapé six couches de peinture sous l’œil suspicieux des Monuments Historiques et celui, dubitatif, de ma famille.  Le programme n’a pas été choisi au hasard. Comme dans un jeu vidéo, chacune des épreuves doit me permettre d’acquérir une arme, un pouvoir, ou de lever un obstacle à ma quête.

Avec la Discipline pour coach, je suis sûr d’arriver fin prêt pour passer le grand oral de l’ADT, sauf que, justement … blonde, espiègle, ondoyante et gironde, à ma gauche, la Souplesse, qui met du rouge cerise au sourire de l’Etre en cette fin juillet. « Lâche-toi donc un peu », me susurre cette enjôleuse. « Après tous tes efforts cette année, tu l’as bien mérité ! » Bien sûr, elle n’a pas tort, mais les journées sont moins élastiques que ma volonté.

Comment choisir entre elles ? Tout mon plaisir consiste à maintenir l’équilibre entre leurs exigences, à différer la satisfaction des désirs de l’une pour mieux tenir l’autre en respect, dans un suspense qui pourrait bien durer jusqu’en septembre.

Un été dans la Sarthe


Samedi 24 juillet : Journal Avarapien

Si vous lisez ceci, mes chers compagnons d’AVARAP, c’est que j’ai déjà gagné deux paris : le premier, qui est de vaincre ma réticence à écrire et d’envoyer ce journal de l’été 2010 que je vous dédie, et le second, qui est un pari sur votre curiosité. Vous avez cliqué, l’envie de lire a pris le dessus sur la langueur estivale, alors décapsulons ensemble cette première livraison, et que ça pétille !

Ce journal, je m’engage à le tenir pendant les quelques semaines que nous passerons sans nous voir. Jusqu’à notre prochaine réunion, fin août, je m’imposerai la discipline d’écrire tous les jours, ne serait-ce que trois lignes.

Journal avarapien ? Nous sommes tous en vacances, et nous les avons bien méritées, alors pourquoi m’imposer cette corvée de l’écriture quotidienne ? Et pourquoi pas des devoirs de vacances, tant qu’on y est ? « Allez, fini la partie de pétanque, c’est l’heure de rédiger vos Réalisations Probantes ».  Ou bien : « après la plage, n’oubliez-pas de préparer vos Miroirs ». Les vacances, est-ce que ça n’est pas fait pour tout oublier, et particulièrement tout ce qui relie à l’univers professionnel ? Quid du Droit à la Torpeur ? Sauf que la démarche AVARAP, justement, c’est une horloge dont les petites roues ne cessent de tourner, même pendant les vacances, au bord de la plage, à la montagne ou, dans mon cas, au plus profond de la Sarthe. Entendez-vous ce petit grésillement sournois ? Pendant l’été, les doutes reprennent leur travail de sape, avec l’appétit d’une colonie de termites. Les désirs et les peurs continuent leur guerre souterraine, tandis que la réflexion commencée au mois de juin chemine, par des sentiers sinueux, ombragés, furtifs. Si j’entreprends de tenir ce journal, c’est précisément parce que l’appréhension de l’écriture est l’un des obstacles que j’entends affronter. Disons que nous jouons à cache-cache, elle et moi, depuis longtemps. Qui, parmi nous, n’a jamais été touché par l’ombre du doute ? Qui peut dire : « mon pied ne connaît pas le poids de ce boulet »? Je vous confie les miens, non par souci d’épanchement, mais par jeu, par défi, et puis par plaisir. Espérons qu’il sera réciproque.