Longtemps, j’ai détesté Houellebecq. Son point de vue clinique sur la société, le choix de ses sujets, l’insignifiance de ses personnages : tout m’insupportait. La sécheresse de son style, comme l’absence totale de rythme et la banalité de ses images, assez drôlement épinglée sur le blog de Claro me donnaient des boutons. Je me demandais comment l’on peut ambitionner d’écrire et de publier des romans quand l’être humain vous intéresse si peu qu’un chauffe-eau acquiert plus de consistance que tous les personnages transparents, sans affects et sans épaisseur, du livre. J’avais tort. Il ne sert à rien de détester l’auteur, surtout quand il a pris soin de semer à chaque page des bombes hilarantes. (Les trois octogénaires au restaurant ou ce passage, féroce: »Plus surprenant, il était familier des principaux dogmes de la foi catholique, dont l’empreinte sur les sociétés occidentales avait été si profonde, alors que ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus Christ que sur celle de Spiderman« ).
Dans les sociétés humaines, il y a des fins de cycle, comme on disait autrefois des fins de siècle. Houellebecq est un auteur fin de cycle, probablement lui-même fatigué du roman comme format et comme ambition. Ce n’est pas une mauvaise perspective pour décrire l’essoufflement des sociétés européennes sur fond de désindustrialisation. Reconnaissons-lui le courage de s’attaquer à un vrai grand sujet littéraire, tout en regrettant qu’il ne fasse que le survoler, complice en cela du monstre doux puisqu’il désavoue d’avance toute idée de résistance.
Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre Houellebecq, mais d’imaginer ce que l’on pourra faire après lui, pourvu que l’on ait encore l’ambition de tenter quelque chose.