Vous qui riez à chaque instant
Merci de trancher sur le gris
Merci de parler fort
Merci d’oser la grâce

Il y a ceux qui se croient des maîtres
Et ceux qui se savent des chats
Il y a des mains et des caresses
Qui se cherchent et ne se trouvent pas
Des montagnes immémoriales
Et d’ambitieux explorateurs
Il y a ceux qui prennent des photos
Et des vallées qui se laissent voir
Il y a ceux qui construisent des villes
Et des lieux qu’on habite
Le monde est peuplé d’anciens esclaves
Et de souverains en devenir
Le Bouchard, Décembre 23

Dans la chapelle de l’hôpital
Passent des hommes et des femmes
Discrets, serrant des voeux scellés
Entre leurs mains ferventes
Laisser descendre en soi des mots
Plus profonds, plus calmes et plus lents
Que les tourbillons,
Cailloux posés sur le fond des rivières
Sur la pierre nue déposer sa peur
Une religieuse en habit brun
Vient rafraîchir les fleurs
Posées devant l’autel
Elle s’agenouille pour arranger le bouquet
De lys, marguerites et roses
Puis repart sans un bruit
Laissant rayonner la splendeur
Toute petite lumière
Minuscule bougie
Une pièce tombe avec un bruit sec dans le tronc
Pour qui sont ces prières ?
Je pense à celle que je ne veux pas perdre
A ceux que j’ai perdus
Puis je ne pense plus
Dehors dans la cour un pigeon se réchauffe sur les dalles tièdes
A moins qu’il ne soit blessé ?
De jeunes infirmières et des brancardiers
Se dépêchent de fumer leur cigarette
En buvant du café
J’aurais l’élan d’embrasser ces anges de la première ligne
En leur criant ma gratitude
mais avec mon corps couvert
De fils et de capteurs
Le contact aurait de quoi les surprendre
Alors je vais au kiosque et j’achète les journaux
En face de l’hôpital il y a l’un des meilleurs boulangers de Paris
Je crois qu’il vient de Tataouine
Il fait beau
Le croissant croustille
Je sors
Mes bras s’étirent
Comme pour cueillir un fruit
Haut dans la lumière
Où mûrit le soin
Juin-août 2024

Publié dans Coaching transition de vie
Tiens ton corps droit, respire dans ton axe. Aujourd’hui est le jour de ta naissance.
Le jour où tu as respiré pour la première fois dans ce monde. Le jour où tu as crié pour la première fois dans ce monde. Accueilli dans ce monde et déjà libre face à l’immensité de ce monde et de tous les mondes possibles, une gouttelette scintillante au sommet de la vague, avalée, roulée dans l’écume de la vague et riant de toute la force de la vague du monde. Respire : aujourd’hui, tout est neuf, tout brille d’un éclat extraordinaire, les sourires, les feuilles mouillées des arbres et le zinc des toits. Neuf ton regard, neuve la fraîcheur de ton souffle et la joie qui se répand, la joie musclée, la joie persistante, pétillante sœur de la mélancolie. Je les vois comme deux espiègles gamines pourchassant les pigeons dans le jardin public, montrant leur culotte aux grincheux, collant des chewing-gums sur les bancs publics avant de s’enfuir, car toute naissance est scandaleuse, elle vous éclate au nez comme une bulle rose et moqueuse. C’est un match de boxe, une sortie d’école ruisselant de cris, un sac de plastique accroché haut dans les branches d’un arbre, bleu sur le bleu du ciel. C’est une frasque, un rire, un vote affirmatif. Toute naissance est morbide, insuffisante et prometteuse.
Ne retiens donc pas ta respiration, ni ton rire. Va dans l’écume.

A propos de François Cheng, merveilleux poète franco-chinois
Quand la beauté se manifeste,
Nous savons que nous sommes arrivés.
Beauté d’un chant, d’un visage ou d’un fruit parvenu à maturité,
Et qui embaume.
Il est temps de le savourer,
Pleinement, le cœur empli de gratitude et de joie.
Car c’est une étonnante histoire
Que celle de ce grain de poussière.
Un jour il se met à fonctionner, à se reproduire, à vivre,
Et puis il devient nous.
Cette histoire est la nôtre,
C’est celle de la beauté.
Ainsi, traquant la beauté dans ce monde
Et la reconnaissant partout
Je ne te perdrai plus.

François Cheng, dans son bel habit vert d’académicien
Pays de mes ancêtres, et quelque chose de plus : il existe par lui-même, depuis bien avant nous, avant même l’invention de ce mot : pays.
Perché sur le rebord d’un toit, le merle du soir m’accueille : où son chant s’élève, je me sens instantanément chez moi. Joie pure. A qui le raconter ?
Le pays partagé – pur, réel, respirable écrit Simone Weil.
Tout me fait pays. La maison qui sent le linge propre : pays. L’ami dans son écoute : pays. Le soleil levant, les nuages : pays. La douceur de l’air, le froid sévère : pays. Pays mon corps, ma voix, mes colères. Pays mes amours anciens, mes adversaires. Pays les jeunes filles en terrasse, les gays devant les bars, pays les prêtres à la voix douce, les vigiles en faction devant le commissariat, les parents d’élèves. Pays le silence éberlué devant la mer, la prairie odorante, les sous-bois. Pays les profonds rochers couverts de mousse, les torrents. Pays la colonnade du Louvre et les arcs-boutants de Notre-Dame, le boulanger devant son four, le balayeur las, les revendeurs à la sauvette au pied du Sacré-Cœur, pays les infirmières maliennes et les enfants bien habillés des riches.
Pays les Jardins de l’Observatoire, les grèves et les manifestations, les dessins de Catherine Meurisse et Charlie.
Pays l’embonpoint de Catherine Deneuve et la gouaille de Catherine Ringer. Pays les râleurs, les chanteurs, Nagui, les clodettes et Michel Drucker.
Pays les soirs d’élection les chahuts les cours de récréation, la sortie des usines et l’entrée des artistes.
Pays perdu, retrouvé, rêvé de loin, pays qui m’a blessé, déçu, trahi : mon pays.
Puisque je l’aime, et puisque c’est l’amour qui fait pays.

Poésie des mondes feuilletés, cuisant doucement, gentiment, dans les rhizomes de nos villes souterraines : c’est une pâte qui lève, une saveur insolite, un coin soulevé dans l’épaisseur des jours.
Ici se conjuguent la mémoire des labyrinthes et celle des hommes.
Ici descendent parfois des femmes à chevelure de sirène.
Ici s’échouent des enchanteurs invaincus, distillant sans en avoir l’air de vieux sortilèges.
Au métro Denfert, quand cesse le fracas des trains, on entend parfois les sons d’une harpe celtique. Elle nous plonge dans un univers profondément enfoui, tissé des légendes et des mythes que l’on se racontait, le soir, dans une autre enfance, et puis une autre, et tant d’autres encore, jusqu’à se perdre dans les volutes anciennes des lignées.
Les doigts du musicien tressent des mélodies lancinantes, ferventes, aériennes, bouclées comme des chevelures. Les passants ralentissent, s’émeuvent, une pièce tombe dans le chapeau, les voici nourris, rayonnants, requinqués. Lui reste droit, les yeux grands ouverts sur un ciel de pluie.
Quelques années plus tard, marchant avec un groupe de randonneurs dans la forêt de Huelgoat épargnée par les incendies, nous sommes attirés par le son d’une harpe entre les branchages.
Intrigués, nous nous rapprochons du chaos rocheux d’où provient la musique.
Au bord du sentier parsemé de touristes, assis face à son instrument, se tient un jeune harpiste au teint pâle, chevelu, légèrement crasseux, devant un chapeau semblable à celui du musicien qui m’avait enchanté quelques années plus tôt, sur le quai du métro Denfert.
Je le revois soudain, digne et rêveur, un peu raide contre son mur carrelé de blanc, faisant ruisseler la musique entre ses doigts.
Une grande femme blonde, sportive, port de reine et chevelure de lionne, déboula d’un couloir, traînant une petite valise à roulettes.
En arrivant près du harpiste, elle fut prise d’une hésitation, ralentit, s’arrêta, comme prise d’un doute.
Elle regarda le musicien, le chapeau, de nouveau le musicien, appuya sa valise à roulettes contre le mur carrelé de blanc, et s’assit, par terre, juste à côté du chapeau.
Alors se produisit quelque chose d’imperceptible. Un sourire apparut sur les lèvres du harpiste et dans son regard, ses doigts semblèrent gagner en agilité.
Comme libérée d’un sortilège, la musique s’échappant de la harpe adopta une allure plus légère, de petits bonds, des éclaboussures jaillirent, une fraîcheur inattendue bouillonna comme si le torrent du Huelgoat était venu là poursuivre sa course impétueuse dans ce couloir de métro.
La forêt tout entière se répandit sous les voûtes, avec ses lumières liquides, ses frissons, ses odeurs de fougère et de genêt. La musique du harpiste redonnait vie à tous les êtres qui vivent dans les collines, les landes et les rivières.
Le courant passait, les souterrains réveillés frissonnaient, le musicien se tenait droit comme un prince.
Pendant un moment, il sembla que le couloir du métro s‘était ouvert sur l’immensité d’un ciel bleu.
Tous les passants ne s’arrêtèrent pas, mais tous avaient changé d’allure.

Publié dans Coaching transition de vie
Tagué Forêt, harpe celtique, Huelgoat, poésie
I
On connaît la chanson des loups
Décembre et les rivières gelées
Les foules mauvaises, ensorcelées
Qui s’en vont lyncher comme on danse
Les loups, chantions-nous en riant,
Les loups sont entrés dans Paris
Je la chantais avec mes sœurs
Les loups sont entrés dans nos cœurs
Un torchon mouillé sur l’épaule
En essuyant la vaisselle on braillait
Que c’était joyeux les loups c’était drôle
Après la fête, au pied d’un sapin vert
Un soir un réfugié chilien frappe à la porte
C’était noël on ouvre en ce temps-là Paris
Brillait de loin pour ceux qui souffrent
Il est resté jusqu’au matin
(Décembre 2023)
II
Trouble indicible où nous jette
Le regard des loups
Réveillant la haine et la honte
Ils sont devant la porte
En cercle autour de nos chalets
Leur immobilité nous sonde
Que savent-ils de nos mondes ?
Ces loups sont géopolitiques
Ils ont tracé des chemins dans la neige
A travers les forêts, les combes
Agrandissant leurs territoires
Du haut des crêtes ils fondent
Sur les brebis qu’ils terrorisent
Et le soir quand leur chant résonne
La nuit s’épaissit de silence
Où leurs yeux s’invisibilisent
III
Un jour, les bergers s’organisent
Depuis le temps que l’on s’épie
L’un grandit dans le rêve de l’autre
Leur faim se bat contre la nôtre
On s’accroche à des silences, à des signes
Comme eux bientôt nous serons sans pays
Sans bagage et sans marchandise
Ils n’entrent pas dans les églises
IV
Saurons-nous partager la terre
Avec les seigneurs du silence ?
Saurons-nous danser comme ils chantent
Sous les astres ?
Le temps des humains-rois s’achève
Nos fêtes sont fines comme la glace des étangs
Qui fond dès les premiers jours du printemps
Que ferons-nous de ce désastre ?
Décembre 2023

Si le silence un jour travaillé de ta venue proche
Cessait de s’épaissir
S’il craquelait comme de la glace
A la fin de l’hiver
Il faudrait bien y croire
Accepter la possibilité d’une histoire
Si tu ne disais rien je t’entendrais
Venir dans la verdeur solaire
et si tu murmurais
Je lirais sur tes lèvres
Un jour trahison suprême
Une voix claquant dans l’air
Se ferait passer pour ton rire
Un coq de combat refermant la nuit
Me saisirait
J’aurais froid dans les ombres et pourtant
Quelque chose me pousserait vers toi
Si tu ne bougeais pas je sentirais l’air
Autour de ton corps et si
Tu n’avais ni chaud ni froid
Je te rejoindrais dans cet entre-deux
Je te rejoindrais aux frontières
de la gravité je te rejoindrais
Là juste où tu dois vivre
Et je t’attendrais
Je serais calme et composé
Tranquille comme il faut l’être
Le moment serait venu de grandir
Si je savais te reconnaître
Me serait donné la chance de renaître
Et te sculpter dans le silence

La chèvre
Une chèvre incongrue grignote le Temps qu’il nous reste à vivre, et nous nous attendrissons.
Son poil rêche en travers de ma gorge a le goût du scandale;
Il gratte et colle, on ne s’en défait pas
Tandis qu’une invisible main tricote à rebours du langage.
On sait que tout sera perdu, mais on s’accroche avec la ténacité de l’animal au bord du précipice.
Savez-vous qu’elles ont une préférence marquée pour les racines ?
2024

L’échappée
Demain je me rendrai dans une gare et je prendrai le train
Ce ne sera pas pour un grand voyage
Et je ne partirai pas pour l’Amérique
Je ne partirai pas pour toujours
Tel l’émigrant de Landor Road
Qui ne reviendra plus
Mais je partirai
Ce sera merveilleux
Respirer l’air d’une gare
Sentir gonfler son espace autour de mon corps
Les sons s’y réverbèrent comme dans une piscine
Et les voyageurs pressés filent
Chacun dans son couloir
Chacun dans ses pensées
Splendeur baignée de lumière zénithale
J’irai m’acheter un journal au kiosque
Et peut-être un café
Ce sera tellement banal
Que j’en pleurerai de joie
dans le hall
Le goût de la liberté retrouvée
L’ampleur des paysages
L’horizon là-bas qui m’aspire
Et du vert plein les yeux
C’est le corps vivant de la France
Pays profond large et puissant
Comme l’amie qui m’attend
Bonheur
Le calme s’est posé
Là-bas dans une ville de pierres sombres
Arrachées au flanc des volcans
La police patrouille autour de la cathédrale
Des pas résonnent c’est un père avec son enfant
montagnes et prairies ruisselantes
Aspirer
L’air donné gratuit généreux l’air l’air enfin!
L’air sans masque et sans permission
L’air libre à déguster de suite
L’air qui donne envie de rugir à pleins poumons
L’air qui réveille en nous les lions
On peut bien aller à Clermont
Comme d’autres vont à Compostelle
Sonner les cloches et les voyelles
Jadis j’aimais l’atmosphère des aéroports
Les grands départs
les tapis roulants Avaleurs de bagages
Les tableaux clignotant le nom des villes et les numéros des vols
Me voici revenu au sol
J’aspire à l’intimité d’une conversation
Je cherche les yeux cachés des grenouilles tapies au fond des mares
Ici sont les diamants vivants
Les usines à reconvertir
Les foules gorgées de psychotropes
Ici bat le cœur de l’Europe
Ici bat le cœur de l’Europe

Le 27-4-2021
Des paillettes de Turquoise
Disséminées dans toute la ville
Oh cette vie drôle et ces sourires
Nous voici chasseurs de trésors
Hier aux abois, poussant nos corps crispés dans la rame, parmi d’autres corps las,
Ce qui revit en nous luit d’un éclat sonore
On n’en revient pas d’une telle
Simplicité, fraîcheur
Main magique c’est la nôtre
Dessins à la craie couleurs vives
Sur le trottoir après la pluie,
Lavé, géante ardoise.
Publié dans Paris, Poésie, Spirale dynamique
Tagué Paris, poésie, Spirale dynamique, turquoise
On me demande parfois comment me vient le sujet de ces articles, et pourquoi je choisis de les aborder sous l’angle du coaching, ou de la poésie.
La poésie est mouvement, recherche, inachèvement.
C’est un élan, qui parfois se brise.
Tour à tour rauque, affolée, jouissive, ou mature et calme, elle ne paraphrase pas le monde en plus décoratif : elle rend visibles des processus transformationnels. Eclosions, croissance, acmé, flétrissure et mort. C’est le passage bouleversant de la vie à travers le vivant. On est dans la matière, dans la fibre des muscles au moment où ils se contractent, on palpite en eux, on respire lorsqu’ils se relâchent.
Comme le coaching, la poésie offre l’espace d’un miroir attentif, une écoute au monde, à l’autre, et renvoie quelque chose qui produit du sens, apaise, réconforte ou donne envie d’agir.
Je n’écris pas dans l’intention d’exprimer quelque chose, mais pour créer de la relation.
Le coaching, pour sa part, offre des occasions de voir briller, dans les yeux de celui qui nous parle, ou qui prend soudain conscience qu’un chemin s’ouvre, un éclat vif, intense, chargé de toute la puissance poétique des émergences.
Le coaching et la poésie se complètent, s’amplifient, se polissent.
Ils ont en commun l’exigence de porter au plus haut degré d’accomplissement l’ADN inscrit dans les plis et replis de nos vies.
L’un et l’autre font résonner des accords singuliers, aiguisent notre attention, proposent des connexions subtiles.
Les deux démarches nous engagent, chacune à sa manière. Elles illustrent le choix qui s’offre à nous, à tout instant, de subir ou de vivre. Et cela coûte. Il y a des risques à prendre et des courbatures à gagner.
Pour conclure, cédons la parole à Franck Venaille, interviewé dans le Monde des livres : « Un livre, c’est toute une forêt qui se déplace et qui vient jusques à nos fenêtres pour dire : « Qu’est-ce que tu as fait de bien ces temps-ci, digne d’apparaître dans ton travail ? »
Publié dans Coaching transition de vie, Poésie
Tagué émergences, coaching, Franck Venaille, poésie
Pourquoi la poésie africaine n’est-elle pas invitée au festival d’Avignon cette année? Mystère.
Il faut se gorger de poésie, l’aimer comme on respire, ou comme on jette un défi.
Un défi à la banalité. A la résignation. A tout ce que vous voudrez.
C’est une exigence folle, un étonnement constant.
Car la poésie n’est pas chère, mais elle n’est jamais gratuite.
Hommage aux Oiseaux Rares (Les Oiseaux Rares), magnifique librairie du quartier Croulebarbe où vibrent les mots, les idées, où l’on peut entendre parfois des auteurs lire des extraits de romans, de poèmes, où l’on trouve, posé parmi tant de trésors, un recueil de Nimrod.
« J’aurais un royaume en bois flottés » (nrf Poésie/Gallimard) contient d’inestimables pépites, comme celle-ci, rude et contemporaine :
« Ils les frappent avec des tuyaux d’arrosage
Ils les frappent avec des tuyaux en latex
Ils les frappent sous le soleil de midi
Ils les frappent en double salto »
ou bien :
« J’ai souvenir de cet éléphant qui s’éloigna
Comme se déploie
Le dédain »
Ainsi nous frappe la vie, et nous nous déployons en salto, comme ces étudiants tchadiens maltraités par la police. Après, ce qui revient, c’est encore la vie. Mais une vie plus brillante, plus dense, plus rauque. Un écart. Ce qu’elle nous propose? Naître à la poésie. Jour après jour.
Publié dans Afrique, Lire, Mouette Sans frontières, Poésie, Sud
Dimanche 11 janvier 2015 – Juchée sur les épaules de son père, la petite fille aux joues maquillées de bleu-blanc-rouge épluche une mandarine, et l’odeur s’en répand sur les deux millions de personnes rassemblées.
Des marseillaises éclatent. Un groupe de jeunes escalade la colonne de Juillet.
Quel souvenir gardera t-elle de cet après-midi? Se souviendra t-elle des chants, de la foule à perte de vue, des drapeaux agités dans l’air? Conservera t-elle l’image des puissants de ce monde passant dans leur camion blindé, ou la poésie de cette multitude colorée, sans haine, force vive et compacte faisant corps avec l’être même de la ville comme si la Seine était sortie de son lit et s’était transformée en ce peuple fier, serein, pétillant et drôle?
Avec le recul, pour moi, c’est l’odeur des mandarines et ses yeux de petite fille.
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Tagué Colonne de Juillet, foule, Mandarines, marseillaise, poésie
Quand plus rien ne vaut,
Tout s’envole
Hurlait un jour dans le métro
La folle.
Ce qui se tait
Ce qui s’ébruite
Cette rumeur insensée
Qui revient susurrante
Collante et noire,
Aigrir nos oreilles engourdies
Ce qui se défait
Ce qui se tricote
Cette honte
Comment souffrirons-nous,
Ma soeur,
Que le jour recommence
Et que le jour finisse
Que le passé sans fin
Nous heurte et rebondisse
Sur la plage où des enfants meurent
Ce qui nous tire
Ce qui nous tient
Ce qui nous lâche
Ce qui nous mord
Ce qui nous émeut
Ce qui fâche
Ce qui nous poursuit
Ce qui nous rattrape
Est-ce la vie
Palpitante et glacée
Est-ce
Un amour percé
Fuyant désolé rapace
Est-ce une sorte d’avidité
Soif dévorante excessive
Une inquiète aspiration
Le contraire de l’audace
Un feu qui pourtant la nourrit
Un fruit pourri
Est-ce toi
Réponds réponds vite
Est-ce toi
Car ce n’est pas moi
Ce n’est pas
Mon foyer, ma trace
Je ne suis pas de ces saumons
Remontant vers la source
Et le berceau des fleuves
Mon chemin descend vers l’aval
Il va
Vers le plus large océan
Vers la vague scélérate
Et l’angle mort des phares
Il descend dans le bleu
Dans l’outremer dans ce qui bouge
Dans les corps qui transpirent
Dans le coeur des voleurs
Où le sang bat plus vite.
Est-ce un chemin d’ailleurs?
Une direction, une autorisation?
Ce chemin de plus en plus lourd
Cette limite
Au bord du silence.
Ce n’est pas une frontière
Un évangile, un territoire
Il ne relie ni ne sépare
Il ne se porte pas en bandoulière
Ni en sautoir
C’est un chemin qu’on aménage
A force d’y marcher sous les astres
On y rencontrera peut-être
Une diseuse de mauvaise aventure
Des oiseaux de mauvais augure
Et des poètes au chômage.
C’est qu’ils ont tout perdu
Les pauvres
Et d’abord notre écoute
Ils ont semé des diamants sur la route
Et récolté du fiel
Ils se sont épuisés
De festival en festival
Les voici sages comme des mirages
Sans eux nous avons dérivé
Nous avons failli
Plonger dans un sommeil profond
Nous avons souscrit de mauvais rêves
A crédit
Pour manger nous avons vendu
Notre fille à des pirates
Rien que d’y penser
La mémoire éclate
Quand on pense à notre idéal
Priez pour nous
Pauvres spéculateurs
Car nous avons bradé
Intérêt et capital
Nous sommes les enfants de Kerviel et de la mère Fouettard
Un caprice à tête de têtard
La rumeur enfle
Elle reprend son cours
C’est un boa qui s’apprête à nous dévorer
Comment lutter
Où trouver des armes
Dealer ô mon dealer
Que reste t-il au fond de la boîte?
Un Pokemon d’espérance
Et deux grains d’amour.
Il est temps d’aller chercher
Nos vieux amis trempés
Tous les mots de la langue française
Ne nous manquez pas s’il vous plaît
Vous êtes la dernière parcelle de lumière
La dernière étincelle
Et la naissance d’un feu possible
Ne vous dérobez pas
Chers vieux mots
Vous pouvez encore servir
En soufflant sur les braises
Un baiser viral
Qui se fout bien de la foutaise.
Le cours de l’or est suspendu.
Et la poésie ?
La poésie, c’est la fraîcheur. Ce qui naît à l’horizon du silence, un calme propice à l’appréciation de la beauté. Ce que l’on vient chercher sur cette île, dans les marais rouillés, sur ses plages pailletées d’aluminium au couchant, et qui donne l’énergie de monter jusqu’au sommet du phare des Baleines pour l’éblouissement qui nous attend, tout là-haut. Après l’étroit escalier en colimaçon, déboucher sur la plate-forme à 360 degrés et contempler la houle de mer roulant à l’infini ses muscles bleus. Savourer la profondeur de cette immense masse liquide qui s’étend jusqu’à l’autre bord, les côtes des Amériques, peut-être Martha’s Vineyard. Rêver de cette île-soeur, ancien repère des chasseurs de baleines où mon amie G… va parfois se ressourcer. L’amitié se superpose à la splendeur du paysage, ses secrets ne sont pas moins profonds que ceux de l’océan.
Avoir l’Atlantique en partage, aimer, se souvenir. Voir déferler les vagues et ne pas s’en lasser. (Il y a de la poésie dans la vitesse, comme dans la lenteur). S’immerger dans tout cela, comme on se lave. Laisser se dissoudre les anciennes formes, les appréhensions, fondre avec bonheur dans la masse du monde.
Romain Rolland appelait cela le « sentiment océanique ». La méditation pratiquée avec persévérance permet d’atteindre cet état de communion avec l’univers, sans limites, où rien ne pèse : croyances, devoirs, identité, rien à quoi s’accrocher, rien à défendre. Un état où la vague, pour reprendre la vieille métaphore bouddhique, ne se sent plus séparée de l’océan.
L’erreur de beaucoup d’occidentaux, précisément, est de s’attacher à cet état bienheureux, au point d’en faire l’objectif de leur quête, et de culpabiliser lorsqu’ils ne parviennent pas à l’atteindre. Le véritable but de la méditation n’est pas de s’évader ni de cultiver l’hédonisme, une tentation que relève Yves Michaud dans une récente interview au Monde. Le premier but de la méditation est de prendre conscience que tout est lien, relation, et que nous sommes au cœur de cela. D’accueillir tout ce qui est là puis, dans un deuxième temps, nous détacher de toute convoitise. J’ai moi-même partagé cette erreur, jusqu’à cet été, lorsque mon hôte m’a donné à lire Mark Epstein (Pensées sans penseur) et Jack Kornfield (Bouddha, mode d’emploi pour une révolution intérieure). Ces deux psychologues américains explorent chacun à sa manière les convergences entre la science occidentale et la pratique orientale de la méditation. J’y reviendrai.
La poésie, c’est aussi la capacité d’intégrer l’anxiété, la douleur et la laideur inévitables. Avec humour et bienveillance. C’est la beauté des contrastes, régie par d’invisibles contraintes. C’est un jeu, c’est faire comme si. Comme font les enfants. On dirait qu’on serait des pirates, ou des princesses. On irait sur la lune.
La poésie incarnée, c’est Tintin, son enthousiasme juvénile, sa fraîcheur naïve mais toujours motrice, un mouvement porté vers la résolution des intrigues ou des mystères. C’est le professeur Tournesol, soulevé de terre par une boule de feu au milieu d’un désordre indescriptible, dans les Sept boules de cristal. C’est l’audace et la soif de justice. Et ce sont aussi les jurons du capitaine Haddock.
C’est « mille millions de mille sabords » et c’est la ligne claire, obtenue à force d’un travail ambitieux, difficile, qui cherche et parfois trouve une expression plus rare, plus forte et plus précise.
C’est la grâce, l’éternelle jeunesse.
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