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Méditation ciel bleu


L’avion traverse un grand coin de ciel bleu

Paix, gratitude, ancrage,

Et, sur mon nez, la mouche

Ancrage élévation (guérir avec Matisse)


Double mouvement : faire corps avec la trame vivante, matérielle, du monde;

Aspirer à des états de vie, de perception, de vibration plus nobles et plus lumineux que l’existant, ne pas s’en contenter.

Si j’ai tellement recherché l’ancrage, c’est que le danger qui me guettait était de perdre tout contact avec le sol, le terreau, le terroir. Je me suis longtemps nourri de concepts et d’information pure, captivé par d’étincelantes constructions intellectuelles comme celles d’Edgar Morin, introducteur en France de la systémique et de la complexité.

Pour guérir de la séparation, j’ai d’abord recherché l’immersion dans le monde, le sentiment océanique. J’ai cessé de fumer pour retrouver l’immense richesse des sensations olfactives. J’ai fait transpirer mon corps, renforcé mon coeur, redressé mon dos pour mieux respirer. Nager fut un délice. Palmant parmi les poissons et les coraux des Philippines, j’ai connu la fluidité parfaite, appris à régler ma flottaison pour évoluer sans effort, au plus près des fonds sablonneux, sans abîmer d’un geste maladroit les trésors vivants qui m’entouraient. J’évitais de troubler la limpidité des eaux d’une palme un peu lourde ou, produisant des bulles en excès, d’effaroucher les poissons clowns et les rougets endémiques. La discipline exigée du plongeur, la coordination et la sobriété des mouvements, la conscience de soi et de son impact sur l’entourage immédiat ouvraient l’entrée du pays des merveilles.

Nouveau terrien, j’ai cherché dans l’action des sensations fortes, et je les ai trouvées.

Mais le besoin d’élévation demeure. Le besoin de finesse, de légèreté, de respiration dans la singularité assumée. Le désir de toucher de plus beaux visages, du bout des doigts.

Suivre des yeux, fasciné, le mouvement ascendant du pygargue, porté par les courants aériens plus haut que les nuages, vers la partie la plus lumineuse du ciel au-dessus des Alpes.

Ancrage, élévation. S’émerveiller du travail évolutif à l’oeuvre dans la transformation des plantes, sur des millions de générations, jusqu’à se hisser à la hauteur du désir de l’oiseau pollinisateur pour danser avec lui. Pétales, corolles, étamines, couleurs et formes affinent sans cesse ce langage d’un raffinement inouï que l’on peut apprécier dans l’humble véronique de perse ou le myosotis.

Vibrer avec l’élan de l’amoureux, transporté vers celle qui se laissera peut-être, ou non, convaincre de l’aimer à son tour, sur une scène de théâtre ou dans la vie. Pleurer lorsqu’elle le quitte et lorsqu’ils se retrouvent.

Cultiver le courage de rejeter la haine, la colère et toutes les passions tristes. Sculpter en soi l’espace de l’Autre.

Ancrage, élévation : ces deux élans se tressent en une spirale de vie, plus intense et plus belle.

Rechercher consciemment la beauté.

Aimer, avec Matisse, une version plus subtile de la présence au monde, allégée jusqu’à la couleur pure, en apparence immatérielle, dansante et joyeuse. Epouser cette joie, dans la ferveur et l’oubli de soi. Dans la reconnexion à soi. Se confronter à l’oeuvre rugueuse d’un Georg Baselitz, paroi verticale obligeant le regard à prendre son élan tel un skate face au mur de béton. Se laisser emporter, vers le haut, vers le vide, oser, lâcher prise.

S’élever, donc, mais vers quoi?

Question mal posée. Le pygargue épousant les courants ascendants ne cherche pas à se rapprocher du soleil. Il prend de la hauteur pour étendre son champ d’action. L’artisan, le musicien, le chirurgien qui passent une vie à perfectionner leur geste, l’actrice assouplissant sa voix, aiguisant son sens de l’observation pour mieux incarner ses personnages, l’humoriste améliorant son spectacle soir après soir : tous recherchent, et pratiquent, une forme d’élévation. C’est en eux le mouvement de la vie cherchant à donner le meilleur d’elle-même.

Chacun cherche son territoire (suite)


Epineux sujet que celui du territoire, qui pose immédiatement la question du vivre ensemble.

Tout ce qui ne va pas de soi dans notre société crispée ressort et danse autour de ce mot, sur des musiques étranges. Il attire les controverses comme un aimant la limaille de fer. Qu’on le veuille ouvert ou fermé, tourné vers l’avenir ou préservé dans sa nourrissante singularité, le territoire, au sens collectif du terme, fait problème. C’est pourquoi chacun cherche le sien, par défaut. Mais aussi parce qu’il faut bien poser les pieds quelque part. Besoin d’ancrage, comme un homme encombré d’une échelle qui cherche un mur où l’appuyer. Nous ressentons le désir de créer quelque chose de nouveau, qui nous appartiendrait en propre, et qui nous aiderait à trouver notre place dans ce monde en pleine transformation. Pour autant, nous ne voulons pas tout rejeter de ce qui nous constitue. Comment faire le tri ? Sur quels critères ? Quels choix s’offrent à nous ?

Le Larousse définit un territoire comme « une étendue de terre dépendant d’un Etat, d’une ville ou d’une juridiction » ; ou « une zone occupée par un animal ou un couple, délimitée d’une certaine manière et défendue contre l’accès de ses congénères». En médecine, enfin, le mot désigne « l’ensemble des parties desservies par un vaisseau ou un nerf ». Au-delà des terres, les eaux territoriales évoquent « une zone maritime bordant la côte d’un Etat, qui y exerce ses compétences ».

Un territoire serait donc un « espace » sur lequel nous exerçons notre juridiction, c’est-à-dire notre pouvoir, et nos compétences ; qui tient son unité d’un langage ou système assurant la circulation de l’information, et qui vaut la peine d’être défendu. C’est un lieu de mémoire ou de projection, thème largement exploré dans la Recherche du temps perdu (voir le chapitre « noms de pays » dans du Côté de chez Swann). Plus tard, Deleuze développe la notion de « territoire mobile », ouvrant la possibilité d’une infinité de nouveaux sens et de métaphores.

A partir de la définition originelle d’une étendue de terre, espace géographique délimité qu’il faudrait défendre contre des « congénères », nous pouvons faire évoluer cette notion vers quelque chose de plus large et de plus varié. Tout ce qui peut servir de point d’ancrage, tout environnement favorable est à considérer.

A commencer par notre corps : en lui sont stockés les bons et les mauvais souvenirs, l’énergie, la fatigue et le découragement. Notre corps est un véhicule extraordinaire, qui peut nous mener à bien des destinations si nous apprenons à l’entretenir et à le piloter.

Ce peut être aussi le cercle des relations humaines : famille, proches, amis, groupes de pairs ou collègues envers lesquels nous éprouvons de l’amour, de l’amitié, de la complicité, de l’estime ou du respect. Visualiser ce cercle autour de nous constitue l’un des plus puissants leviers de motivation qui soient au moment de nous embarquer dans un projet difficile. Je peux zoomer sur tel ou tel visage, ressentir ces présences autour de moi, imaginer les échanges stimulants que j’aimerais avoir avec ces personnes. Pour bien des gens, le couple ou la famille représentent le territoire qu’ils sont prêts à défendre à tout prix, qui donne envie de se battre, de faire des efforts, un espace à cultiver, protéger, embellir. Un environnement dynamique et sécurisant. L’amitié, dans sa fonction d’échange parfois critique et toujours bienveillante, est une autre sorte de territoire, extensible, en devenir, un espace entre deux personnes qui nous invite à grandir, à sortir de notre zone de confort.

Pour les personnes sensibles aux ambiances, les saisons contiennent tout un réservoir de sensations, d’émotions particulières. Nous associons différents types d’énergie aux lumières de l’été, aux frémissements du printemps, aux chatoiements de l’automne, à l’hiver aux lignes claires, et nous savons adapter le rythme de nos actions à celui des saisons. Frederick Hudson a construit sa théorie du changement autour de ce thème. Enrichir notre perception de chacun de ces quatre « territoires émotionnels » nous permet d’envisager les transitions avec plus de sérénité. Nous redouterons moins l’hiver si nous l’envisageons comme la saison du confort, l’automne comme la saison du tri, et nous pouvons optimiser le printemps comme un temps de préparation.

La musique, enfin, représente la quintessence du « territoire mobile ». Sous forme de play-liste ou stockée dans nos portables et autres iPods, elle nous accompagne avec tout une palette d’émotions que nous pouvons amplifier, modifier, moduler à notre guise. Des études psychologiques ont démontré que le fait d’écouter une musique en résonnance avec notre état émotionnel du moment accentue notre sentiment de satisfaction, qu’elle soit joyeuse ou mélancolique. C’est que nous recherchons avant tout l’harmonie, une forme d’intimité qui nous renvoie un écho de ce que nous voulons être, à un certain moment. On pourrait ici parler d’un territoire-cocon. En filant la métaphore, plutôt que de subir nos états émotionnels, nous pouvons choisir d’en être les DJs et de les composer avec le soin qu’un programmateur de radio mettrait à organiser ses séquences.

Identifier et cultiver tous ces territoires nous permet de disposer d’une palette d’options toujours plus large, et donc de nous sentir plus libres. Construisant notre identité sur ces nouveaux territoires, nous regagnons du pouvoir sur le cours de notre vie. Car si les territoires hérités ne sont pas extensibles à l’infini, ceux que nous créons ne connaissent pas de limites. Si nous nous définissons étroitement en fonction des valeurs transmises par notre famille, nous nous privons de la possibilité d’en choisir de nouvelles, plus appropriées à nos besoins. Nous pouvons définir et affiner nos objectifs en fonction de ces territoires, avec l’agilité mentale d’un architecte imaginant de faire tomber un mur, de recomposer l’espace, de faire entrer plus de lumière. En multipliant les points d’appui, nous gagnons en autonomie, en assurance, et nous trouvons l’audace de tenter de nouvelles approches. Comme un chef d’Etat qui s’assure de bonnes et solides alliances avant d’affronter un adversaire, apprenons à renforcer notre réseau relationnel. Sachons choisir le bon moment pour agir, sans culpabiliser si les mois froids et mouillés nous rendent mélancoliques.

Enfin, pour revenir au thème initial de cet article, en devenant plus conscients de ce qui nous constitue, nous nous sentirons moins menacés par la différence des autres. Si nous intégrons comme un « ingrédient » essentiel de notre identité nos relations, notre préférence pour telle saison, tel type de musique, telles valeurs, il nous sera plus facile de trouver des points communs avec l’ « autre ». Nous nous sentirons moins menacés par ce « congénère » si nous le considérons comme un individu riche de ses multiples territoires, et non comme le représentant de telle ou telle « catégorie ». Face à lui nous nous sentirons d’autant moins tenus de « défendre » un territoire qu’il sera devenu mobile.

Car si je peux construire un ancrage avec le bruit de la pluie sur un toit de tuiles, je me sentirai chez moi, et en sécurité, partout où il pleut. Si j’ancre ma joie dans la sensation du soleil sur ma peau, il y aura des sources de joie pour moi partout sur la terre.

Chacun cherche son territoire


« D’où-êtes-vous » ? Les personnes issues d’une «minorité visible » s’entendent souvent poser cette question, même lorsque leur famille est française depuis plusieurs générations. Comme s’il fallait absolument « tracer » l’origine d’une personne pour pouvoir, enfin, la « situer ». Une étudiante qui avait fait la première partie de sa scolarité dans un collège représentatif de la société actuelle faisait ainsi part de son malaise grandissant. Au fil des années, tandis qu’elle progressait dans ses études, la diversité s’amenuisant, elle finit par être la seule noire dans toute sa classe de master. Et LA question revenait, de plus en plus insistante. Elle vivait très mal ce déni de son identité singulière, individuelle, de la part de ses camarades à un âge où l’on se définit beaucoup plus par son projet que par son origine.
A l’inverse, on a pu lire dans le BuencaRmino d’hier la question stupide d’un professeur à un élève arrivant en cours d’année pour échapper à la guerre civile qui ravageait alors la Côte d’Ivoire : « mais, vous n’êtes pas noir ? ». Eh non ! L’élève était bel et bien un réfugié, mais aussi blanc que les petits auvergnats de sa classe. La maladresse a des poches bien profondes.
Or, il suffirait de changer une lettre pour réorienter cette interrogation vers quelque chose qui tiendrait plus du projet construit et assumé. Un territoire mobile (lien). Au « d’où-êtes-vous » suspicieux se substituerait un « où êtes-vous » invitant l’interpellé à réfléchir sur ses ancrages identitaires.

Ouh là, pensez-vous, les grands mots sont lâchés !

Ancrage ? Identitaire ?

Explorons la métaphore : un ancrage, en PNL (programmation neurolinguistique), évoque une combinaison, dans nos circuits de neurones, entre des mots, des émotions, des images, et des parties de notre corps : je me souviens de mes vacances chaque fois qu’un rayon de soleil tiède caresse ma peau à un certain endroit. Au moment de fournir une dernière accélération en vue de la ligne d’arrivée, le coureur se remémore les images de réussites précédentes enregistrées dans sa mémoire émotionnelle et sensorielle. Il se concentre sur les sensations physiques ressenties ce jour-là dans son cœur, ses muscles et ses poumons, afin de puiser l’énergie dont il a besoin pour fournir l’effort nécessaire. Ainsi, de performance en performance, se construit l’association « muscles-qui-tirent/ligne d’arrivée », « cœur-qui-bat/victoire ». Le sens des messages envoyés par son corps à son esprit s’est modifié : le signal physique interprété comme « il est temps d’arrêter » signifie désormais « j’y suis presque ».
Plus tard, il se souviendra de la lumière qui tombait sur le stade, des encouragements du public et de l’air sur sa peau. Ces sensations, ou « sous-modalités », affineront et renforceront encore la puissance de l’association, qu’il pourra déclencher à volonté dans les moments critiques.

Notre sentiment d’identité se construit sur de tels ancrages, comme un oiseau fait son nid à partir d’éléments divers. Nous amalgamons des morceaux de récits, des souvenirs personnels, des sensations, que nous associons à des images réelles ou imaginaires. Mon ancrage « Bretagne » est un grand placard où mijotent, pêle-mêle, des visages, des voix, des accents, des ciels changeants, des crêpes moelleuses, de la musique aigrelette et puis des valeurs de droiture, de franchise, de persévérance. C’est un territoire imaginaire, culturel, affectif et moral, ancré dans une région réelle. Et, de même que l’oiseau ne choisit pas n’importe quelle brindille, nous sélectionnons les éléments retenus selon des filtres inconscients, qui forment nos préférences. L’entraîneur d’un sportif, lorsqu’il veut l’amener à un très haut niveau, le fait travailler consciemment sur de telles images afin de construire une forte motivation. Or nous aussi nous pouvons développer consciemment de telles associations. Nous pouvons même choisir et réorganiser nos ancrages de manière à obtenir nos objectifs. Il ne tient qu’à nous de faire le ménage dans nos grandes armoires, de trier ce que nous voulons conserver et ce qui ne nous sert plus, ou pire, ce qui nous freine. La question « d’où êtes-vous » devient : « d’où voulez-vous être » ? Après tout, puisque nous passons notre vie à réarranger nos souvenirs, autant le faire de manière consciente et productive.

Ancrage


Le coach et le dessinateur ont ceci de commun qu’ils cherchent le point d’appui. Pour le dessinateur, il s’agit d’observer attentivement la posture du modèle pour repérer la ligne de force aboutissant au point d’ancrage, sur lequel repose tout le poids du corps. De là, le regarde remonte et trouve les proportions, les angles et la tension des muscles : le corps dessiné vit. Aucune photo ne permet de saisir aussi bien que le modèle vif ce subtil équilibre : il faut ressentir le corps de l’intérieur, peser avec lui, ressentir le souffle de l’air sur sa peau nue, respirer à son rythme, avec bienveillance, pour pouvoir bien le dessiner.
Le coach écoute son client, pose des questions susceptibles de faire émerger les ressources et les capacités de la personne qui doute, hésite, s’interrompt parfois : laisser naître du silence, et du silence, une forme. Un souvenir heureux, d’anciennes réussites, une qualité que l’on se reconnaît, des proches offrant leur inconditionnel soutien. C’est une roche affleurant sous le sable, à marée descendante, et que rien n’emporte. Qui sait quelle vie grouille là-dessous ? L’important, comme pour le modèle, c’est que la vie est là.

Il y a toutefois une différence importante entre le dessinateur et le coach : tandis que le premier crée lui-même un objet, qu’il s’approprie, le second n’est que l’’outil par lequel son client dessine son projet, puis le fait exister dans le monde réel.

Photo du film Pina, de Wim Wenders (voir : « Songkhram à Wuppertal)

Au Luxembourg


Au jardin du Luxembourg, le temps se dépose en couches successives que perce un coeur joyeux, ignorant de tout ce qui n’est pas son bonheur. Hier, ayer, ailleurs n’est rien. Demain passe comme une ombre, no es nada, revoici le ciel bleu. On est au coeur du monde. Il faut se faire un coeur de lion pour dévorer le jour, saluer la dignité des reines. On cherche en vain la statue de Pina Bausch, elle aurait toute sa place ici, face au soleil, sur la terrasse, et ses danseurs déployés autour du bassin défileraient avec les saisons. Que d’amour dans leurs yeux, leurs visages, les mots et puis surtout les corps. Danser la vie. Baila, Pina, baila, sonst sind wir verloren. Danse, ou nous sommes perdus. Le centre du monde est ici, bien caché. Tenir la main donnée. Capturer cela pour toujours, et le reste est nuages.

(Réponse de la PNL à Deleuze: le contraire de la déterritorialisation, c’est l’ancrage.)