Archives de Catégorie: Courage

Hannah Arendt ou la violence de la pensée


Hannah Arendt de Margarethe Von Trotta est un film nécessaire et grave sur le courage de penser – par soi-même,  à contre-courant s’il le faut. L’acte de penser est décrit tout d’abord comme une discipline : face au nazi responsable de millions de morts, la philosophe efface de son cerveau toute idée préconçue. Elle accomplit cette chose très difficile qui consiste à se contenter de voir et d’entendre ce qui se dit, dans la salle d’audience du tribunal, en repoussant le plus longtemps possible  la tentation d’interpréter. La violence des réactions suscitées dès la parution dans le New Yorker de son premier article sur le procès Eichman met en lumière la difficulté de penser là où l’on n’attendait qu’un portrait du monstre. Car l’homme responsable de six millions de morts ne peut être qu’un monstre. En parler sans émotion relève de la plus singulière arrogance, et c’est précisément ce qu’on lui reproche. Penser, au lieu de compatir : de nos jours, cela vous vaudrait le titre honni d’intellectuelle. Le courage de la philosophe est exemplaire, et pourrait nous inspirer. Elle révèle combien la haine de la pensée est devenue la norme dans notre société loliste. Avant d’aller voir le film, lisez ou relisez ses livres, comme nous y invite Rue89. http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/04/24/avant-daller-voir-film-hannah-arendt-lisez-241752 Puis, s’il vous reste un peu de temps, lisez Cynthi Fleury qui parle si bien du courage, et de sa fin. https://www.youtube.com/watch?v=LKA-SOht4xE

le syndrome du lundi


S’il vous arrive de sentir peser sur votre cou, dès le dimanche soir, la menace d’une invisible guillotine, si vos épaules s’affaissent à l’idée de recommencer la semaine, si vos pieds se recroquevillent à la seule pensée de reprendre le chemin du travail, plus de doute : vous souffrez du syndrome du lundi.

Rien d’étonnant à cela : le sentiment d’anxiété ou de tristesse du dimanche soir vient de ce que nous avons du mal à faire le deuil du week-end. Le « temps pour soi » va devenir un « temps pour les autres ». La liberté, l’intimité, vont devoir faire place aux contraintes. Voici donc quelques conseils pour réussir son lundi, ou du moins pour le passer plus agréablement.

1. Que font les sportifs avant un match important ? Ils se reposent ! Bien réussir son lundi, cela commence dès le dimanche soir : se coucher un peu plus tôt pour être en forme, se remémorer les moments agréables du week-end, en parler à un proche. Il s’agit de convertir ces bons souvenirs en énergie positive, de les stocker pour les réutiliser au bon moment. Profitez-en pour visualiser tous les événements positifs de la semaine à venir, les « temps pour soi » qui rempliront vos réserves de bien-être.

2. La playlist de la semaine : choisissez des musiques à tonalité positive, énergisantes ou relaxantes, que vous écouterez dans le métro ou dans les embouteillages.

3. L’énergie vient en s’activant… Pourquoi ne pas commencer la journée par une bonne séance de sport, un jogging, quelques longueurs à la piscine pour bien oxygéner votre corps et votre cerveau ? Quelles que soient les difficultés qui vous attendent par la suite, vous aurez le sentiment d’avoir accompli quelque chose dont la réussite ne dépend que de vous.

4. Faites-vous plaisir. Invitez à déjeuner une personne qui vous met de bonne humeur, ou qui vous fera découvrir quelque chose de nouveau : la matinée passera plus vite, et vous aurez le sentiment d’avoir fait au moins une chose pour vous-même. A défaut, prévoyez une pause-téléphone en milieu d’après-midi, au moment où l’énergie tend à diminuer.

5. La touche de couleur : parce que l’on change de rythme, le lundi réclame au départ une impulsion supplémentaire. Après les activités du week-end, si cette journée vous paraît morne, mettez une touche de couleur dans votre habillement, une chemise d’un blanc éclatant, de la lumière. Votre entourage le ressentira, il se peut même que l’on vous fasse des compliments, ce qui n’est pas désagréable pour commencer la semaine.

6. La semaine s’annonce difficile ? N’hésitez pas à vous projeter au-delà du lundi : imaginez le sentiment d’accomplissement que vous éprouverez une fois les obstacles surmontés. Pensez aux nouveaux défis que vous allez pouvoir attaquer. Rappelez-vous ceux dont vous avez déjà brillamment triomphé. Quels talents aviez-vous mobilisés à l’époque? Quelles compétences ? Ecrivez-les sur un post-it que vous glisserez dans votre agenda, ou notez-les dans votre téléphone.

6. Prenez le contrôle. Le matin, commencez par les activités qui vous plaisent le moins, pour pouvoir consacrer l’après-midi à celles qui vous motivent le plus. Equilibrez entre les tâches « urgentes-et-importantes » et les « importantes mais non urgentes » : ces dernières vous aident à vous projeter dans l’avenir, même proche, à lever le nez de la grisaille, et vous donnent le sentiment de contrôler les événements au lieu de les subir.

7. La machine à café … redoutable aimant à cafards : fuyez comme la peste ces éternels insatisfaits, toujours mécontents de leur sort, accablés par l’injustice et prodigues en bonnes raisons de désespérer. Si vous ne pouvez pas les éviter totalement, abrégez la séance de torture ou changez délibérément de sujet de conversation.

8. Pratiquez l’arrosage automatique : cherchez une personne à qui vous pourriez faire un compliment : il y a des chances qu’elle vous en fasse un en retour, double sourire garanti.

9. Si vous déjeunez avec des collègues, anticipez les sujets de conversation positifs dont vous aimeriez parler : cela vous évitera de tomber dans le piège des récriminations qui finissent toujours dans une surenchère de gémissements (le boss, les enfants, les transports…).

10. Les micro-pauses : la nicotine et les barres chocolatées ne sont pas les seules occasions de faire un break. Les grands « performeurs » sportifs, les artistes de haut niveau, les décideurs ont tous des trucs, des « doudous » qui les reconnectent à leurs perceptions sensorielles pour refaire le plein d’énergie. Touchez de la main un objet, ressentez-en la structure en détail : est-il lisse ? Présente t-il des aspérités ? Humez un parfum, buvez un simple verre d’eau sans penser à rien d’autre qu’à son goût. Regardez la photo d’un être aimé stockée dans votre téléphone. Réécoutez l’un de ses messages. Concentrez-vous : ce moment vous appartient. Respirez lentement avant de reprendre le cours de votre journée.

Comme les premières images d’un film, le lundi pose une ambiance, donne le ton, imprime un rythme à toute la semaine. Qu’il démarre sur une note joyeuse, et vous voilà prêt à affronter toutes les difficultés. Prenez un bon départ, donnez-vous toutes les chances de réussir et vous verrez que vous deviendrez une source d’énergie non seulement pour vous-même, mais aussi pour tout votre entourage.

Souvenirs de Ré


Ceci n’est pas une vraie carte postale de Ré. Un trompe-Google, tout au plus, clin d’oeil à qui saura rire de la pauvre ruse.

Que les autres, induits en erreur par le hasard d’un moteur de recherche égaré, pardonnent.

Voici, face à la plage Nord, l’ami d’enfance et l’auteur de ces lignes.

Des souvenirs qui nous construisent, dit l’ami, sans aucune nostalgie.

Celui qui parle ainsi connaît la douleur, celle qui dure et qui sape l’être jusque dans ses fondements.

Il s’y connaît en matière de destruction. Sa vie ressemble à ces digues ravagées par les ressacs, à ces dunes crevées, affaissées, où des blockhaus piquent lamentablement du nez parmi les oyats et les cristes.

C’est pourtant lui qui répare les corps brisés, lui qui prend la souffrance des irréparables entre ses mains énormes et qui leur propose, au dernier moment, sa folie en échange.

Mais en échange de quoi?

Sans doute, ils se comprennent et se rient de nous.

Ce langage, entre eux, de grandes marées. Pêche miraculeuse tout au bout des benches, pépites qui feraient reculer d’horreur le commun sentimental. Ces diamants acérés ne se cueillent qu’en fin de vie, là où les miroirs réfléchissent une lumière unique de vieux tain.

Que faire alors, sinon se souvenir, écouter, laisser venir les images. On venait là, sur ces plages, on s’épuisait en des courses viriles contre le vent, les cahots du sentier, l’averse. On regardait longtemps couler les nuages dans le ciel nocturne. Provision de trésors, sensations emmagasinées dans les muscles, ensevelies plus tard sous les saisons brutalement réalistes (à l’âge où l’on fait des enfants).

Et puis ces enfants nous défont.

Ces enfants nous creusent.

Un jour, ces enfants nous délivrent.

On voyait des fleuves et des îles creusées dans le sable, à marée descendante. Une Amazonie vue du ciel.

La lumière tout à coup révèle les corps-morts, ligne jaune alignée dans le bleu clair flottant liquide.

Une photo, parmi les herbes sèches et les coquelicots.

Deux photos, Puis trois, puis toute une série.

Ça fait rire l’ami bipolaire.

Quelle impudeur, aussi, et dans un lieu pareil.

Le soir, sur le port de Saint Martin, il me racontera l’histoire d’une très belle fille morte d’une façon ridicule. Sans la moindre nostalgie.

Ce monde qui vient ou la lèvre aval


Cette deuxième partie de l’article « ce monde qui vient » aurait dû être publiée juste après la première, début janvier, mais les chemins de l’écriture ont pris quelques détours. Une circonstance imprévue autant que stimulante ramène le sujet dans le radar de Buencarmino, voici donc la suite, enfin, une suite.
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La crise qui se prolonge et s’approfondit de jour en jour nous invite à une forme de sobriété, d’humilité qui n’exclut pas l’audace. Car l’année passée fut aussi celle des révolutions. Face à la peur, au risque de torture, saluons avec Michel Serres le courage de la jeunesse arabe et tout particulièrement des femmes.

Invité de Bruno Duvic sur France Inter le 30 décembre, le philosophe Michel Serres dressait un bilan de l’année écoulée avec clairvoyance, lucidité, et une forme d’espièglerie que l’on peut se permettre lorsque on a beaucoup vécu, réfléchi et voyagé.

Quelques pépites : sur la crise « nous vivons dans une sorte de crevasse dont nous voyons très bien la lèvre amont et dont nous voyons très mal la lèvre aval ».

Sur la Syrie, après avoir salué le courage extraordinaire des manifestants : « je n’en dirai pas plus, car en dire plus ce serait encore entrer dans la société du spectacle »…

Sur le « nouveau monde » : « dans ma carrière d’enseignant, j’ai assisté à la victoire de la femme… les meilleurs étudiants sont des femmes… sur le marché de l’emploi, les femmes sont fondamentalement plus pro que les garçons »… « les femmes sont aujourd’hui victorieuses sur le plan de l’éducation mais il y a encore peu d’égalité entre les hommes et les femmes ».

Avant lui, Jean-Claude Guillebaud avait écrit un beau livre sur « le commencement d’un monde », auquel cet article se réfère. Alternatives Economiques lui avait à l’époque rendu un bel hommage. « Tout cela aboutit à ce que l’auteur appelle, à la suite d’Edouard Glissant, « une créolisation du monde », l’invention de formes, de cultures, de pratiques métissées, dans un mouvement que la mondialisation accélère et qui annonce à la fois l’émergence d’un monde à venir différent et les crispations des intégristes de tout poil qui le refusent. »

Crispations …

Alors que dire de cet étrange baiser avec une lèvre aval qui se dérobe, sinon que la peur n’est rien que la suspension du courage, et que celui-ci consiste à regarder en face tout ce qui vient, même et surtout lorsque cet inconnu se présente enveloppé d’un épais brouillard.

Cette lèvre aval est l’autre rive d’un fleuve qui se perd dans le jour, car on peut se perdre dans le jour autant que dans la nuit, par sécheresse d’âme et petitesse de vue.

La raison d’être de ce blog au départ était de saluer la dignité des hommes et des femmes qui se lèvent pour vivre et changer leur vie, d’interroger et de partager cette expérience du risque assumé, le goût d’explorer de nouveaux territoires en se tenant toujours au plus près du corps et du ressenti.

Aujourd’hui, le chaos des images et des sensations est peut-être mieux à même que les mots, sinon d’appréhender ce qui vient, du moins de tendre vers la lèvre aval.

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Aimer l’Amour


En 2009, dans leur cahier « Futurs », les « trendspotters » de Peclers Paris identifiaient trois tendances de fond pour notre époque : Révélation, Révolution, et Régression, reprises mot pour mot trois années plus tard dans le supplément de Courrier International de décembre… 2011 !

Chacun le pressent avec un mélange de curiosité et d’appréhension : plus qu’une année nouvelle, ce à quoi nous assistons est l’avènement d’un nouveau monde, et ce monde qui vient ne nous fera pas de cadeaux. Faut-il pour autant céder à la sinistrose ? Pas forcément, car nous avons le choix, sinon des circonstances, du moins de la lecture que nous en faisons et de la réponse que nous souhaitons y apporter. Pour le dire en langage de coach, ce monde qui vient nous invite à faire preuve à la fois de résilience et d’agilité.

La résilience, pour affronter l’incertitude, la disparition des repères, la pression de l’anxiété qui monte autour de nous. L’agilité, pour mobiliser nos talents, nos ressources, oser saisir les opportunités, adapter nos comportements sans renoncer à nos valeurs.

A la tentation de la Régression, pour rester dans les « trois R » de Peclers, préférons donc la Relation. Petite anecdote : quelques jours avant noël, on ne trouvait déjà plus une seule carte « bonne année » dans les librairies. Plusieurs vendeuses, interrogées, avouèrent leur surprise de se trouver prématurément en rupture de stock. Comme si l’ambiance morose incitait chacun à resserrer les liens avec sa famille, ses amis proches ou lointains.

Pour que la sobriété imposée par la crise ne se résume pas à un exercice punitif, nous sommes toujours libres de puiser dans cette source d’énergie infiniment renouvelable qu’est l’amour, l’amitié, la solidarité, l’empathie.

Car comme l’écrit Jacques Salomé dans « Aimer l’Amour« , l’Amour ne nous appartient pas, il circule en nous, à travers nous. Ne cherchons pas à le retenir mais devenons ses ambassadeurs.

Très bonne année 2012 à toutes et à tous

Le point d’appui (fin du cycle)


Chacun cherche son point d’appui. Pour les uns, c’est un être, et pour d’autres une idée, un lieu, un espoir ou un souvenir. Parfois on croit le perdre, et puis on le retrouve, ou l’on s’en trouve un autre.

Mirella commente les dessins. « Cherchez le point d’appui : sur quelle jambe repose le poids du corps? Observez la tension des muscles, exagérez la main, le bras qui s’avance, ou le pied : la partie du corps la plus proche de vous. Libérez-vous du cerné, regardez ce qui se passe à l’intérieur, les plis de la peau qui remontent de l’autre côté du torse. Les jambes ne sont pas symétriques, le corps n’est pas droit. Repérez les torsions par rapport à un axe, intéressez-vous à la proposition du modèle ».

Ah, la proposition du modèle! Bien sûr, on est là pour ça, sinon pourquoi se déplacer quand il serait plus facile de travailler chez soi, à partir d’une photo qui a l’avantage de tenir la pose aussi longtemps qu’on le désire? La présence du modèle, lorsque ses poses sont vraiment habitées, font partie de la proposition tout autant que l’inclinaison d’un bras ou d’une tête.

Le premier modèle est une homme souriant, dans la force de l’âge. Ses propositions reprennent le vocabulaire classique. On peut lire dans ses poses la trace des générations de dessinateurs et de modèles qui se sont succédé à l’Académie depuis sa fondation (voir le Carnet d’études n°15 : l’Académie mise à nu, éditions Beaux Arts de Paris, sur l’histoire des modèles). Aujourd’hui, cette origine oubliée nous empêche de voir la lance, le bouclier absent du bras qui le portait, le guerrier grec inspirateur de ces poses héroïques et qui pourrait encore nous donner des leçons de courage pourvu que nous fussions disponibles. Héroïques, ou simplement idéalisés, comme les bronzes de Riace

Débarrassé du poids de l’académisme et des formes figées, ce corps nous restitue tout le joyeux génie de la Grèce, son bonheur d’être là, son évidence dans le rapport au monde.

On a parlé dans ce blog de Cynthia Fleury et de son livre sur le courage (« j’ai perdu le courage comme on égare ses lunettes »), de Jacqueline de Romilly et de son Hector. Sur quel point s’appuyer face à l’inacceptable?

Il faut chercher des armes dans la couleur, allumer des jaunes et des rouges, tordre le cou du doute.

Parfois, il arrive aussi que le guerrier soit vaincu. Est-ce pour autant la fin? Comment se relève t-on d’une défaite?

Et puis il y a Sophie, sa présence rayonnante, ses transitions glissantes d’une pose à l’autre. Ses mouvements de danse Butô dont l’origine serait inspirée des survivants de la bombe, à Hiroshima, tentant de se relever après le désastre. Après l’âge héroïque vient le temps de la résilience.

Ce qui se passe à l’intérieur? Observer la naissance d’une émotion, comme elle se répand dans le corps et du corps à l’espace. Le point d’appui, ce peut être un silence, une façon de conserver l’énergie qu’il faut apprendre à percevoir.

Ce combat-là, mené jour après jour dans l’instabilité du monde, est le sujet même de ce blog, dédié à toutes celles et tous ceux pour qui tenir debout n’est pas une évidence. A celles et ceux qui ne réussissent pas toujours du premier coup, et qui persévèrent.

A vous, le sourire de la vie.

Guillebaud, Mandela et le monstre doux


Ne craignons pas d’échouer, ni de réussir : le courage est d’affronter l’échec et la réussite avec un coeur serein, en prenant exemple sur les hommes et les femmes qui ont osé se dresser pour vivre une vie digne, pour eux et pour les autres. De nouvelles dominations se mettent en place, d’autant plus redoutables qu’elles s’installent de manière insidieuse, et le plus souvent avec notre consentement. Jean-Claude Guillebaud les décrit sans complaisance dans son dernier livre, « la vie vivante, contre les nouveaux pudibondss », où il fait l’éloge de la chair vivante, contre les nouveaux puritains qui veulent nous libérer de la chair et du réel.

Citation : « Ainsi, sous couvert de « libération », la nouvelle pudibonderie conforte étrangement ce qu’il y a de pire dans le puritanisme religieux hérité du XIXe siècle. Et pas seulement au sujet des moeurs. Dans le discours néolibéral, l’adjectif « performant » désigne le Bien suprême. Mais ni le « système » ni ses logiciels ne savent prendre en compte des choses aussi fondamentales que la confiance, la solidarité, l’empathie, la gratuité, la cohésion sociale.

La Vie vivante, celle qu’il faut défendre bec et ongles, c’est celle qui échappe aux algorithmes des ordinateurs, à l’hégémonie des « experts » et des dominants, qui confondent « ce qui se compte » avec ce qui compte. »

Plus ancien, mais toujours d ‘une actualité brûlante, le discours de Nelson Mandela lors de son investiture comme président de l’Afrique du Sud en 1994: »Notre crainte la plus profonde n’est pas d’être insuffisants. Notre crainte la plus profonde est d’être puissants au-delà de toute mesure. C’est notre propre lumière et non pas notre obscurité qui nous fait le plus peur. Nous nous demandons  » qui suis-je pour être brillant, superbe, talentueux, fabuleux? »

Il faudrait plutôt demander qui êtes-vous pour ne pas l’être? Vous êtes Enfant de Dieu ! Vous faire tout petit ne sert pas le monde. Ce n’est pas une preuve d’intelligence de se rapetisser pour éviter aux autres un sentiment d’insécurité. Nous sommes nés pour faire éclater la Gloire de Dieu qui est en nous. Elle n’est pas réservée à quelques-uns. Elle est en chacun de nous et, en faisant briller notre propre lumière, inconsciemment, nous donnons aux autres la permission de faire de même. Etant libérés de notre propre crainte, notre présence automatiquement libère les autres. » (auteur inconnu)

Coup de coeur à Edgar Morin


Après Stéphane Hessel et son best-seller « Indignez-vous », un autre vieillard indigné, Edgard Morin, nous livre dans la Voie Humaine ses réflexions sur l’année 2010 : « Partout les forces de dislocation et de décomposition progressent. Toutefois, les décompositions sont nécessaires aux nouvelles compositions, et un peu partout celles-ci surgissent à la base des sociétés. Partout, les forces de résistance, de régénération, d’invention, de création se multiplient, mais dispersées, sans liaison, sans organisation, sans centres, sans tête.  »

« L’année 2010 a fait surgir en Internet de nouvelles possibilités de résistance et de régénération » (…)  » Ce qui est remarquable est que les Etats ne se préoccupent nullement de maîtrise ou au moins contrôler le « marché », c’est à dire la spéculation et le capitalisme financier, mais par contre s’efforcent de juguler les forces démocratisantes et libertaires qui font la vertu d’Internet. La course a commencé entre le désespérant probable et l’improbable porteur d’espoir ».

Quelle magnifique lucidité, quelle force de conviction!

On a mentionné le rôle des réseaux sociaux dans la révolution tunisienne. Les outils sont là, que souhaitons-nous en faire? Dans la sinistrose ambiante, la bonne nouvelle, c’est qu’il y a une envie d’agir, et le paradoxe apparent est que ce sont ici des vieillards qui montrent la voie. De l’autre côté de la Méditerranée, la jeunesse a bravé tous les interdits. Que ce soit pour les peuples ou pour les individus, rien de grand ne se fait sans tout d’abord vaincre sa peur.

Il y a dans l’air une odeur de jasmin.

des super réserves de courage


On parle beaucoup de Stéphane Hessel et de son livre « Indignez-vous« , publié chez Indigènes Edition, et c’est très bien, car la sagesse parfois (souvent?) consiste à se révolter contre l’insupportable.Mais un autre livre paru en 2010 mérite toute notre attention : il s’agit du magnifique livre de Cynthia Fleury sur le courage (Cynthia Fleury, la fin du courage)

Qu’est-ce que c’est, le courage ? Comment ça vient ? Comment se constituer des super-réserves de courage? Courage de se réveiller tous les jours, à chacun ses raisons : l’ambition, le défi, l’amour, la persévérance. Tous ces mots simples au goût savoureux de pomme fraîche, à croquer. Dans le courage semble s’offrir une sortie du temps, « comme s’il existait un passage secret entre la vie et l’éternité ». Horizon toujours ouvert.

2011 année du colibri


L’année du colibri

Depuis que Nicole de Chancey nous a raconté l’histoire du colibri, j’y reviens souvent, et ne cesse d’y trouver toujours plus de matière à méditer.

J’aimerais vous la raconter à mon tour en guise d’inspiration pour cette nouvelle année. Un jour, un gigantesque  incendie ravage la forêt d’Amazonie. Pressés par les flammes, enveloppés d’âcres tourbillons de fumée qui les prennent à la gorge, les animaux s’enfuient de tous côtés, se bousculant dans un sauve-qui peut général. Réfugié sur la berge du fleuve, un jaguar à la puissante musculature observe l’étrange manège du colibri. En temps ordinaire, le seigneur de la jungle ne perdrait pas son temps à suivre les faits et gestes du petit volatile, jouissant parmi les habitants de la forêt d’une réputation de frivolité pour son habitude de voleter de fleur en fleur tel un éclair bleu vif, recueillant au passage le délicieux nectar de son bec long et effilé. On prétend même, car la jungle en temps ordinaire bruisse de commérages, qu’il  lui arrive de s’enivrer de nectar, et de tenir ensuite des propos fort peu cohérents. Aujourd’hui, cependant, l’obstination du colibri qui   ne cesse d’effectuer des aller-retour entre le fleuve et la forêt dévorée par le feu l’intrigue. A chaque voyage, il puise dans le fleuve une minuscule goutte d’eau qu’il s’en va verser sur les flammes, au péril de sa vie. Etonné par cet effort qui lui semble bien futile au regard des proportions gigantesques de l’incendie, le jaguar demande au colibri : « mais, que fais-tu » ? Et sans se démonter, le colibri répond : « je fais ma part ».

Faire sa part

Cette histoire m’enchante par sa simplicité pleine de profondeur. Elle en appelle à cette valeur très contemporaine de la responsabilité, individuelle et collective, avec un très juste sens des proportions. Car ce qu’elle propose de faire à chacun d’entrez nous, c’est de prendre sa part, toute sa part, et rien que sa part. Il ne s’agit pas de s’épuiser à tenter l’impossible, ce qui nous conduirait à l’échec et donc à la perte de l’estime de soi. Il ne s’agit pas non plus de se croiser les bras ou de se jeter dans la distraction sous prétexte que tout effort serait vain face à l’immensité de la tâche. Entre ces deux extrêmes, avec infiniment de tact, le colibri nous ouvre un espace de liberté et nous redonne du pouvoir face à l’inéluctable. Il nous incite à mobiliser nos talents, à les déployer au service d’une cause noble et digne d’effort. Car le colibri n’est pas du genre à asséner des leçons de morale : il donne l’exemple, en toute humilité, mais aussi avec la pleine conscience de la valeur de sa contribution. J’entends beaucoup de juste fierté dans « je fais ma part ».

Le courage du colibri

Faire sa part, c’est assumer sa part de responsabilité dans ce monde, et d’abord dans sa vie. C’est faire de son mieux, et ne pas culpabiliser si l’on ne parvient pas à éteindre l’incendie à soi tout seul. C’est supposer aussi que l’on ne restera peut-être pas seul bien longtemps, c’est croire en la capacité des autres à se mobiliser à leur tour, inspirés par l’exemple et le courage du colibri. C’est l’expression d’une valeur fortement démocratique et solidaire, dans le respect de soi et de ses talents : ma contribution vaut celle de chacun, participe d’une dynamique générale. C’est une voix dans un chœur puissant.

Apprécions enfin le style du récit, qui fait toute sa force : la goutte d’eau transportée dans le bec du colibri peut être minuscule, la portée de son geste n’en est pas moins immense. Il y a dans ce contraste une élégance qui me ravit.

Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne année, joyeuse, productive et gourmande.

No photons, suite (David 3/5)


David Pini, que ferons-nous de ta colère? Que ferons-nous de la tristesse? Nous commencerons par détourner le détournement, nous oserons transgresser la transgression. A tes filleules nous parlerons de l’amour que tu leur portais, même s’il en est pour croire que « les relations humaines sont bien peu de choses ».

 

Nous leur parlerons d'un pays qui n'est pas le terroir

 

 

Nous leur dirons combien tu craignais la douceur

 

 

Nous leur dirons l'histoire de ce triangle rose

 

 

Nous leur dirons les variations infiniment subtiles

 

 

Et nous leur apprendrons peut-être à voir

 

 

Nous leur dirons le velours des voyelles et le tranchant des consonnes

 

 

Nous ne dirons peut-être rien

 

 

Nous leur dirons d'oser

 

 

Nous leur dirons ce que dire veut dire

 

Puis nous les écouterons parler de toi.

bon anniversaire David Pini


Cher David,

Mercredi, comme tous les mercredis désormais, j’irai dessiner, mais tu ne seras pas le modèle au centre de l’atelier. Aujourd’hui, c’est toi que j’interroge, David, mon ami d’enfance. Que ferons-nous de ta colère? A toi, l’ami qui n’a pu trouver sa voix, je dédie cette série d’articles, et surtout l’épilogue de mon « Journal estival » (a suivre). De peur de ne pas y arriver, je commence par Bercy.

Ce jour-là tu m’as donné ma première et dernière leçon de photographie. Nous avions marché depuis l’Hôtel de Ville sur les quais interdits à la circulation. Tu me racontais ton 9/11 vu depuis le studio de Merce Cunningham, au coeur de l’action, le désarroi des étudiants, le tien. La Performance meurtrière d’Al Qaïda venait de tracer la frontière absolue de l’Art Contemporain, l’ultime obscénité, transgression autoréalisatrice après quoi viendrait la petite musique de Radiohead, « No Alarms and no Surprises please », leurs guitares désolées, leurs voix plaintives, supplication de l’occident tétanisé. Tu ressentais aussi le besoin de ralentir, c’est pourquoi tu étais revenu te poser à Paris.

Hey man slow down

Cette femme lisant sur la pelouse a capté nos regards au moment où tu me parlais de Bénédicte P, de Merce, et puis d’un autre, inélégant, dont on ne parlera pas ici, même si ta douleur continue de tourner.

Tu as posé sur la liseuse un regard plein de tendresse. Peux-être pensais-tu à ta mère, qui avait tant lu. Et puis, discrètement,  tu m’as indiqué le bon angle.

L’inconnue de Bercy

Une second photo, la tête un peu plus penchée de la femme, comme affaissée, toujours plus absorbée dans la matière du récit, comme j’apprends à les dessiner aujourd’hui, bien au centre de la feuille. Paris si calme en ce mois de juillet 2008 redoutait une autre canicule. Les enfants jouaient dans les fontaines, sur les escaliers menant à la passerelle Simone de Beauvoir. Tu m’as parlé de la Flûte Enchantée, j’ai pris quelques photos de toi au pied des tours de la Grand Bibliothèque.  Encore des tours, celles-ci pleines de livres et dédiées au savoir. Un dimanche à Paris.

Les photos suivantes, celles du Kremlin-Bicêtre, je ne veux plus les voir, ce n’est pas toi, ce corps paralysé, scandaleux, ta voix clouée, ta voix de basse si singulière, qui faisait peur aux petits enfants, l’idéal instrument pour chanter du Racine ou Boris Godounov.

Je veux garder le souvenir de ta dignité face à toutes les bassesses. Je veux garder à l’oreille le son de ta voix proclamant la rébellion, s’emparant de l’espace, agrippant le revers de nos peurs. Je veux garder de toi cette image verticale : dressé dans la lumière, insolent, nerveux, criant encore après que tout soit devenu cendre opaque et grumeau. Debout.