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tu vas à la manif et t’as même pas de drapeau? Non mais allô quoi


Un peu plus d’un mois après le 11 janvier je relis les notes rapidement capturées dans mon téléphone ce jour-là.  Dignité. La France debout. Admirée de l’Europe : fini le french-bashing. Les politiciens qui ont été au niveau des événements. Exceptionnels.  Une génération entière, peut-être. Marquée. Mais pour faire quoi? On peut être fiers. A nouveau. De qui? De quoi? D’être mobilisés. De la Marseillaise, qui appartient de nouveau à tous, vibrante au pied de la colonne de la Bastille. Du drapeau qui claque ses couleurs comme des bises. Bleu blanc rouge, est-ce qu’on bouge? On n’avance pas, alors on se regarde, on se parle, on rit non sans gravité. La petite fille au foulard vert blanc rouge de la Tunisie, qui prend son premier cours de manif juchée sur les puissantes épaules de son père. Maquillée comme pour un match de foot, le bonheur. Il lui manque une incisive. Ça repoussera. Un million et demie, qui sont-ils ? Il doit y avoir des employés, des croque-morts, des dentistes. Chacune de de ces vies m’intéresse. Forcément, dans une foule pareille, tous les métiers sont représentés. Des psychologues pour chien. Je suis sûr qu’il y en a un, quelque part entre Bastille et République. Et puis des analystes financiers, des contrôleurs de gestion, des huissiers même, qui font de si gros efforts pour se rendre invisibles (ou sympathiques : la foule lave plus blanc, c’est son principal bénéfice). Avec leurs belles chaussures qui seront si sales ce soir, eux aussi pourront dire : « j’y étais ». Le fils de la coiffeuse portugaise de ma mère aussi. Femme exceptionnelle, empathie puissance XXL à raconter un jour. Tous, aujourd’hui, sauraient chanter la Marseillaise pour « the Voice » et faire se retourner trois coachs.   Il ne manque plus que Nabila  (« tu vas à la manif et t’as même pas de drapeau? Non mais allô quoi »).

Fier des jeunes qui marchent dans les traces de ceux tombés là, pour la Liberté, en 1830 et de nouveau en 48. Soudain ce n’est plus dérisoire, l’Histoire. On comprend mieux pourquoi Gavroche meurt sur sa barricade. Fiers de tout cela. De la vieille dame qui a tenu à venir, pour sa dernière  manif. Ca n’est pas raisonnable, elle s’en fout. Jambes flageolantes, idées carrées.  C’est donc cela, concrètement, un peuple? Des policiers vigilants et heureux. Fiers de nous-mêmes qui ne cédons pas à la tentation de haïr. D’avoir retrouvé le sens et le poids des mots. Liberté, Egalité, et brièvement même un peu de Fraternité. Quoi qu’il arrive ensuite, cela aura eu lieu. Quelque chose est posé, un repère. Ensuite, tandis que les politiciens célébraient l’esprit du 11 janvier et que les spécialistes se rengorgeaient comme des pigeons sur les plateaux télé, les français ont glissé dans un état de sidération. Moi compris. On découvre les ombres, toute une frange de ce pays lancée dans un processus de sécession, en banlieue, dans les zones rurales ou péri-urbaines.  Combien sont-ils, les décrocheurs de la République? Les journaux publient reportage sur reportage. « La fatwa du slip dans les prisons ». Dans Causeur, un éditorialiste (cousin de l’huissier et du contrôleur de gestion) s’époumone contre Combo, un street artiste dont il a pris la caricature au premier degré. Le ridicule et l’abjection grignotent à nouveau l’espace médiatique. On avait failli respirer plus large, on s’était crus nombreux à préférer la bienveillance.

Et puis ce week-end, à nouveau, un jeune raté de la société du spectacle, comme l’a finement analysé Peter Sloterdyjk dans le Monde. La petite sirène pleure à Copenhague, au Danemark, le pays du bonheur convivial.

Comment parler de tout cela en coach ? Sans se dérober ? Pour soi, pour la dignité. Pour la génération qui grandit dans cette société-là.

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La France est un grand pays solide, le Danemark un petit pays fier de sa société partageuse et de son environnement. Les deux sont frappés, en ce début d’année, mais on se retiendra d’écrire après Shakespeare qu’ « il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark » (ou dans la république française). S’il y a une leçon à retenir de tout cela, justement, c’est de prendre son temps. Penser, ce n’est pas appuyer sur sa tête comme sur un tube de mayonnaise pour en faire sortir l’opinion.  Cela, c’est l’activité des commentateurs. Penser, c’est un travail. Penser comment vivre ensemble. Certains disent que c’est le travail d’une génération. Mais réapprendre cela n’est-ce pas la plus noble des tâches ? Osons le mot, il revient à notre temps de réinventer l’intelligence collective, sans arrogance, et de faire place aux émotions, quelles qu’elles soient. On pourrait entreprendre un inventaire de tout ce qui nous rend collectivement fiers aujourd’hui, à commencer par notre originalité gouailleuse de bonne foule mi-caille mi-canaille. Car l’humour, c’est comme les incisives cassées dans la bouche des petites filles : ça repousse toujours et ça devient plus mordant.

Et pour finir en lumière, un poème du bloguer Francis Royo, à lire sur Analogos : (http://analogos.org/)

Shima 55

sur mon pouce ébloui un soleil a dansé
petite éternité de lumière
impatiente main d’homme

A suivre.

Et maintenant?


Et maintenant ? Qu’allons-nous faire de l’émotion qui nous a saisis, ce dimanche 11 janvier où nous nous sommes trouvés si nombreux à marcher dans le calme et la dignité ? Il y avait, en ce moment tragique, une sorte de bonheur collectif qui se mêlait à la gravité.

Qu’allons-nous faire de toutes ces interrogations qui tournoient dans nos têtes comme des oiseaux chassés du nid par un bruit violent et qui ne savent où se poser ?

Tout fait débat. Plus rien ne va de soi dans cette France meurtrie, forcée de regarder ses plaies, ses divisions. L’attaque, armée par une idéologie monstrueuse, financée par des réseaux étrangers, instruite par des assassins bien entraînés, vient de l’intérieur : ce sont nos enfants, nos orphelins qui ont commis ces massacres.

Depuis quinze jours, le pays sidéré cherche un sens à ce que nous venons de vivre, et cela prendra du temps. Ne nous hâtons pas trop : ce que nous construirons à partir d’aujourd’hui nous engage, individuellement et collectivement. C’est une chance à saisir, ne la gaspillons pas.

Les mots aux frontons des mairies


Et demain?

Le texte qui suit a été écrit par mon amie C. M. pour, dit-elle, « clarifier ses idées ». Je lui offre volontiers et espace pour les partager. Si vous souhaitez vous aussi exprimer ce que vous ressentez sur le thème « et demain? » après les événements que nous avons vécus, n’hésitez-pas à me le envoyer. je ne garantis pas de tout publier, cet espace est géré en toute responsabilité et de manière sélective.

20 morts, ça tourne en boucle dans ma tête, 20 morts en 48h à Paris capitale, ville lumière, en France pays de cocagne et des libertés, qu’on disait !

Morts pour rien ? Je veux croire que non.

Ils étaient journalistes, ils étaient dessinateurs, correcteur, médecin, gardien, agent d’entretien, rue Appert au siège de Charlie et les massacrer était un acte délibéré, parce qu’ils étaient iconoclastes, ça oui, poil à gratter, grossiers, drôles souvent, mais méchants jamais. Ils étaient journalistes et pour eux la liberté de la presse était la seule chose sacrée. Leurs meurtriers sont des bêtes malfaisantes.

Ils étaient policiers leur métier c’est de nous protéger, et ils étaient accourus risquer leur vie pour les protéger, ils l’ont perdue, l’un d’eux froidement abattu en pleine rue.

Ils étaient juifs à Vincennes faisant leurs courses et ce n’est pas un hasard. Ca ne vous rappelle rien ?

Ils étaient terroristes, des petits cons devenus grands et biberonnés à la haine de l’autre, ils ne retrouveront pas leur prophète et ses 50000 vierges qui n’existent que dans leurs esprits faibles et malades.

Alors au-delà des larmes il faut résister, dire et démontrer qu’ils ne sont pas morts pour rien. On ne peut pas tuer la liberté de penser et de faire rire, au pays de Voltaire encore moins qu’ailleurs.

Demain nous serons tous j’espère, debout et unis, tous et de toutes les couleurs et de toutes les croyances.

Qu’au moins cela serve de leçon aussi dure soit-elle à un pays qui se morfond dans la morosité, la recherche du bouc émissaire et la frilosité moisie. Nous sommes tous responsables de Charlie, nous devons l’aider à renaître. Dans une France qui retrouvera le sens des mots qui sont aux frontons des Mairies et aux linteaux des églises : Liberté, Egalité, Fraternité, Amour. Demain ce n’est pas juste un jour de notre vie c’est le début d’une démonstration – en anglais le mot pour « manifestation » c’est « demonstration » – que c’est possible.

Connaître l’autre, partager sa culture et la nôtre, éduquer les enfants à la tolérance, donner une chance aux plus pauvres, fabriquer de la justice sociale et de la justice tout court. Mais tout autant, condamner et sanctionner sans restriction tous ceux qui font leur beurre de la radicalisation, du retour aux heures les plus sombres de l’obscurantisme en fanatisant sans peine les plus faibles.

Certes c’est à notre Gouvernement de prendre les décisions et les orientations pour que l’école puisse redevenir un lieu d’instruction et de respect, que la justice juge et condamne sans espoir de sortie les malfaisants, que les prisons cessent d’être de servir de pépinières aux candidats au Jihad.

Certes c’est aux chefs de nos cultes de rappeler qu’avant d’être chrétien, musulman, juif, en France on est Français et on respecte la Loi sans laquelle il n’y a pas de société mais une jungle… et en particulier aux imams de prêcher l’islam de la tolérance et pas celui de la charia, faire traduire le Coran en français dans les mosquées serait un bon commencement…

Mais c’est aussi à chacun de nous d’arrêter de baisser les bras en ruminant que tout va mal et qu’on n’y peut rien. Soyons vigilants, sans concession, sans compromission.

Et surtout n’oublions pas de rire de tout (mais pas avec n’importe qui). Et Cabut, Bernard, Charb, Ahmed et les autres ne seront pas morts pour rien.

 

Nous sommes tous

Charlie

pour toujours

 

 

 

Message envoyé à mes nièces et à mes neveux


Dimanche 11 janvier 2015, 10h30 du matin.

Il se passe en ce moment dans notre pays quelque chose d’historique, comme il en arrive seulement une ou deux fois par siècle. Vous vous demandez sans doute, comme tout le monde, quel sens donner à ces événements tragiques qui nous ont secoués si profondément. Je pense beaucoup à vous, où que vous soyez, et je me souviens combien c’est difficile de vivre de tels moments quand on est loin. Je me souviens de 2005, lorsque je voyais mon pays brûler au loin, depuis mon écran de télé, à Manille. Dans ces moments, il faut résister à la colère et chercher quelque chose de plus profond en soi, quelque chose qui nous rassemble et qui permet de vivre ensemble.

Tout à l’heure, comme des centaines de milliers, peut-être un million de français, avec leurs amis venus de tous les pays, j’irai marcher. Je ne marcherai pas contre, mais POUR. Pour la liberté d’expression, pour la fraternité, pour donner un sens à ce moment d’unité dans la diversité. Je marcherai pour poser des limites à la haine, à la violence, à l’intolérance et à toutes les discriminations. Sur France Info, la philosophe Cynthia Fleury vient de dire que nous assistons au premier événement, historique, de la France mondialisée.  Nous assistons à la naissance de la Génération Charlie. Ce que signifie cette expression n’est pas encore  écrit : ce sens, il nous appartient de le construire. Ce monde qui vient, c’est celui dans lequel vous habiterez, vous et vos enfants. Il se construit sur nos actes et sur nos choix, mais aussi sur nos absences d’actes et nos absences de choix. Vous le continuerez lorsque nous ne serons plus là. C’est une responsabilité que nous partageons. Quelle sera la place de la liberté, dans ce monde qui vient ? Quelle place pour la diversité ? Est-ce que chacun pourra vivre comme il l’entend, à sa manière, dans le respect des autres ?

Il y a du travail, ça ne se fera pas tout seul. Ainsi cet extrait d’un témoignage de mon amie C.M, que je publierai en entier demain ici-même : « Connaître l’autre, partager sa culture et la nôtre, éduquer les enfants à la tolérance, donner une chance aux plus pauvres, fabriquer de la justice sociale et de la justice tout court. Mais tout autant, condamner et sanctionner sans restriction tous ceux qui font leur beurre de la radicalisation, du retour aux heures les plus sombres de l’obscurantisme en fanatisant sans peine les plus faibles. »

Ces derniers jours,  la presse a publié le témoignage de professeurs qui racontaient les difficultés qu’ils éprouvaient à parler des événements tragiques de ces derniers jours avec leurs élèves. Ces élèves, il faut les entendre avec respect, avec plus que jamais le sens de la fraternité. Il faut les amener dans la conversation générale, et construire avec eux, sans chercher à leur imposer tel ou tel point de vue. On parlera beaucoup de laïcité dans la presse. La laïcité, cela ne signifie pas d’interdire toutes les croyances, mais de les permettre toutes.  On doit pouvoir parler de tout, sans peur, et je vous  y encourage. J’étais à l’île Maurice au mois d’août, ils y arrivent très bien. Pourquoi pas nous ?

Nous avons la chance de former une belle famille, aimante et diverse, une famille dans laquelle chacune et chacun trouve sa place. Des catholiques, des musulmans, des athées, une bouddhiste, un spiritualiste …bon,  ça manque de juifs, mais il reste une place, au bout de la table. On est taquins, malicieux, on ne s’épargne pas, mais on s’aime et on n’a pas peur de se le dire. Je suis fier de notre famille, et j’aimerais aujourd’hui que la France nous ressemble un peu.

Ajouté dimanche soir : oui, la France nous ressemble, et nous lui ressemblons, et j’en suis infiniment heureux. Cette marche était tellement pacifique, et drôle, et grave en même temps. On a beaucoup ri, d’un rire bienveillant. Beaucoup de questions demeurent ouvertes. Nous allons devons réfléchir, discuter, confronter nos points de vue pour construire des réponses acceptables et vivables. Le courage, maintenant, ce sera d’aller vers l’Autre, et vers l’Autre en nous.

Et, tiens, pour finir sur une note d’humour, je mets ici un lien vers le message de l’humoriste Sonia Orosamane à « tous les cinglés, jhadistes, pianistes, cyclistes…   ici :  » https://www.google.fr/webhp?sourceid=chrome-instant&rlz=1C1CHVN_frFR517FR517&ion=1&espv=2&ie=UTF-8#q=samia%20grosemane

We are Paris


Dear English-speaking friends,

The worst is over, for now. France is stunned, but standing, and preparing to display a large demonstration of unity tomorrow, behind over 40 heads of State marching as one in the defence of freedom. They are most welcome, and I have to say the outpouring support coming from all around the world has been a tremendous help in these horrible moments. We could feel the huge wave of solidarity and emotion spreading across all continents as pictures kept showing crowds gathering and displaying the three famous words “Je suis Charlie”. We have cried, again and again, as one city after the other appeared on our TV screens, making us feel less alone in our anguish and despair.

And so, it is over. While our authorities have reminded us that more attacks may happen, a certain sense of “normalcy” is now coming down over the city.

My city.

My beloved city.

Paris.

How dared they?

HOW DARED THEY?

These barbaric idiots did not just kill 12 cartoonists, two heroic policemen and many innocent people. They attacked a symbol of freedom, which is at the very core of our National identity.

They did not take hostage just a few Jewish shoppers, but the whole Nation. And the whole Nation has responded. Not with shouts of hatred and calls to revenge and murder, but with dignity. People did not wave weapons or fists in the air, but pens.

In Toulouse, which had been so brutally attacked a few years ago, people were singing the Marseillaise. Out of tune, sure (terribly so, gosh, someone please tell the government to increase the number of singing lessons in French schools). But they were singing together.

Our unity has not been destroyed, but strengthened, as the German chancellor Angela Merkel noticed. And, yes, in this era that seems to have respect only for money, celebrity and sportsmen on steroids, I feel extremely proud to be part of a Nation that gathers around a bunch of free-minded, insolent cartoonists. While the words “JesuisCharlie” have spread around the world, it is worth noticing that not one newspaper has dared republishing their drawings.

It would take too long to explain what this very newspaper meant for all of us, even though their readership had trickled down to a mere 30,000. Many disagreed with the editorial line they had adopted under a new direction. But that is totally beside the point. The terrorists might as well have attacked Asterix, or Molière, our most famous playwright who was already attacking religious fanaticism as early as the mid-17th Century. So, these journalists knew their lives were under threat, but they kept going.

Somehow, this is the eternal story of barbarians attacking cities because they hate independent spirits and sophistication. This was already what was at play in the 90ies when Sarajevo was under siege by Serb fanatics. (Mind you, only people with a very short memory could believe fanatics are all Moslems. How wrong!)

For three long, horrible days, we too felt like a city under siege. Alerts, false or not, were coming from all directions. Red dots kept appearing and disappearing on the city’s interactive maps. We feared for our beloved ones while sirens were wailing every fifteen minutes as police cars and ambulances were being dispatched to various locations. We tried to keep working, and it was hard to focus.

For three days, I kept remembering what my friend David Pini was telling us about September 11 and the following weeks, when people were unsure about what would happen next. How the people of New York had become so kind and caring for one another, in the aftermath of the massacre. I hope we will react the way they did.

I am thinking about our British neighbours, who showed such a brave face after July 2007.

Words are getting difficult to find. I know silence is the enemy.

Tonight, I am Charlie.

I am Paris. I am Toulouse.

I am also London, and New York, and Madrid.

But I am also Peshawar, Mossul and Kabul, and Bali.

I am Algiers, which has suffered so much, and for such a long time.

The list could on and on.

So many cities, so many lives lost or devastated.

As a friend was writing to me a few hours ago, “the whole world is reeling with France. What is happening now is global. “

Indeed, it is global, and now that this specific attack – one in a chain, not the last one – is over, we need to stop and try to think about the meaning of all this. What does it call for?

I cannot help wondering: how will we look at one another, tomorrow, in the metro, in the streets, at work?  Will compassion prevail over suspicion?

Tomorrow, we will be marching in the streets of Paris. Perhaps one million people. Many more will be joining us in their hearts, watching on TV, sending tweets, and buying newspapers.

Debates will have to take place. Teachers will have to engage with those kids in the suburbs who believe that the dead cartoonists had deserved their horrible fate. Our future is at stake. What kind of society do we want to live in? We share a big responsibility.

But let us not end on a sinister note. Two of the most humorous remarks that came out on Twitter about the terrorists were: “they killed journalists, and died in a printing shop” and “the other one wanted to wage Jihad, and died in a Kosher shop”.

Or let us try this one: “how many Jihadists does it take to change a light bulb? – Light? What do you mean by “light”?”

Nous sommes Charlie


 

Donc, ce sera la guerre. Mais la guerre selon nos termes, avec nos armes. Nous cultiverons les liens, l’amour, le talent. La solidarité. Nous serons du côté de la vie, avec détermination, et ne céderons pas un pouce de liberté. Que la blessure nous aide à garder la conscience claire et vive. Que la joie revienne, vite, une joie lucide et forte. Nous retrouverons le goût de rire, non pas d’un rire grinçant, mais d’un rire qui libère.

Mais pour l’instant, c’est difficile. Gorges nouées des journalistes et chroniqueurs, ce matin, sur France Inter. La rage et l’incertitude. On parle, autour des machines à café : besoin d’échanger, d’être ensemble. La France est en état de choc. Les témoignages de solidarité affluent du monde entier et font chaud au cœur. C’est aussi cela qui donne la force de rester digne et de repousser la tentation de la haine.

Hier soir, j’avais prévu de revenir dessiner dans l’atelier de modèle d’Aracanthe, pour la première fois depuis trois ans.  L’ambiance était calme et grave, pesante et fermée comme les visages des parisiens dans le métro, dans les rues mouillées. Huit dessinateurs concentrés, le modèle enchaînant les poses toutes les deux minutes avec beaucoup de professionnalisme et de talent. Nous pensions tous aux journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo. Leur impertinence a  donné le ton de notre adolescence.  Plus tard, ils ont repris avec courage le flambeau de la liberté la plus extrême, nous autorisant ainsi à occuper largement tout l’espace du milieu.  On n’entendait  que le bruit des crayons et des pointes sur les feuilles, le tictac de l’horloge rythmant la durée des poses. Finalement c’est le modèle qui a pris l’initiative de rompre le silence, s’exclamant d’une voix pointue avec toute l’impertinence nécessaire  : « cette pose s’appelle « tu les aimes mes fesses »  (en allusion à la célèbre réplique de Brigitte Bardot dans le Mépris, et à la caricature qui en avait été faite). Tout le monde a éclaté de rire, la chape de plomb  s’est fissurée. On ne la laissera pas se refermer, ceci est mon vœu et ma résolution pour cette nouvelle année.

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Bribes 10.2


Magnifique ce poème d’Analogos qui traduit bien ce que nous ressentons tous ce matin.

Le Petit Prince élu des français


Avant noël il y a la nuit de décembre, et c’est sur ce fond d’un noir profond, collant, glacial, qu’il se détache. La lumière naît de ces heures froides. La promesse et la fête.

L’enfance.

Avec son insatiable curiosité. Avec son exigence, et sa croyance absolue que rien n’est impossible.

Le 11 décembre, on apprend, en regardant la Grande librairie (le classement ici), que le livre qui a le plus changé la vie des français (enfin, ceux qui s’expriment), serait le Petit Prince, d’Antoine de Saint Exupéry.

Dans un premier temps, cette annonce me comble de joie. Le Petit Prince, devant Madame Bovary, la Recherche et le Voyage au bout de la nuit. La poésie la plus pure, nourrie aux sources de la plus profonde sagesse,  de la plus grande générosité, la découverte de l’Autre et de son mystère.

Un livre né dans la nuit de la guerre et de l’Occupation. Dans la solitude New-yorkaise de l’auteur, si loin de la France, de sa planète natale.  Et puis voilà qu’un éditeur malin lui suggère d’inventer l’histoire de ce drôle de petit bonhomme qu’il ne cesse de griffonner sur des papiers, des nappes de restaurant.

Et voilà qu’il prend vie, ce petit bonhomme, avec son insistance et ses points d’interrogation.

« Apprivoiser », dit le renard. L’un des mots les plus beaux de la langue française. Scintillant, pétillant sous la langue, un doigt posé sur les lèvres et des gestes tout en retenue. Une rose, à nulle autre pareille. Différente, parce qu’aimée. « Si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres».

Je suis heureux que mes compatriotes aient fait ce choix. Pour une fois que je suis en accord avec la majorité. Dans notre société au bord de l’asphyxie, cette élection « princière » fait entrer un peu de fraîcheur.

Et puis je m’interroge : n’y a t-il pas quelque chose d’un peu régressif dans cette décision?  La tentation de se réfugier dans la nostalgie de l’enfance, comme une protection contre la dureté de la vie ? Mais le fait est qu’il s’agit de l’ouvrage en langue française le plus traduit au monde. Or, on ne peut soupçonner la planète entière de succomber à la nostalgie. Il y a donc bien « quelque chose », et ce « quelque chose », je le nommerai poésie.  N’en déplaise à ses détracteurs (il y en a, qui s’expriment sur Twitter), le Petit prince est un conte, une fable, le récit d’un voyage à la découverte de l’Autre et de ses « planètes ».

L’Autre dont la présence nous construit ou nous reconstruit (Cyrulnik). C’est pour cela que nous fêtons noël. La fête des enfants, de la naissance et du renouvellement.

Noël, c’est le top départ de quelque chose d’énorme.  La guérison du monde (merci et pardon, Frédéric Lenoir). Nous en sommes, chacun pour sa part, les rois mages ou les bergers émerveillés, porteurs d’espérance  et de cadeaux.

Une promesse pareille, et qui se renouvelle tous les ans, bien sûr que ça change la vie !

Coexister c’est comprendre ce qui peut offenser l’autre


Aujourd’hui, c’est difficile d’écrire, mais vous lisez. de France métropolitaine, de la Réunion, de Luxembourg, du Brésil, des Etats-Unis, du Canada… Qui êtes-vous donc? Délicieux mystère!  Alors comme ça, pour le plaisir, façon de dire je vous aime, un lien vers une magnifique interview de JMG le Clézio dans le Monde, titrée : « Coexister, c’est comprendre ce qui peut offenser l’autre ». Lien ici.

Un extrait :

A l’île Maurice, on peut donc parler d’une société multiculturelle ?

L’île est multiculturelle depuis bien longtemps, puisque des communautés différentes y vivent ensemble depuis le XVIIsiècle, quand les Hollandais l’occupèrent avec des esclaves africains et malgaches. Par la suite, les Français l’ont colonisée, amenant de nouveaux esclaves, puis les Anglais, accompagnés par des Indiens hindouistes et musulmans, sans oublier l’arrivée des Chinois. Cette pluralité s’est traduite, à l’usage, par une certaine tolérance, d’autant que les Anglais ont favorisé le multiculturalisme en instituant des lois qui respectaient les religions et les langues de chaque communauté.

Dans une île où, plusieurs fois par jour, dans un quartier ou l’autre, vous entendez les cloches de l’église sonner, le gong battre dans un temple tamoul, ou l’appel du muezzin, vous êtes préparé, déjà auditivement, à cohabiter avec des gens différents. Ensuite, visuellement, vous découvrez dans les rues des personnes de toutes les teintes de peau, vêtues et coiffées de toutes les manières, avec des façons de se parler changeantes, des règles de vie dissemblables, une cuisine bien à eux. Cela oblige à porter une grande attention à tout le monde. Mais il ne s’agit pas seulement de vivre côte à côte. Coexister dans ces conditions implique une compréhension de ce qui peut offenser l’autre.

Pour les abonnés, l’interview complète est dans les archives du Monde : http://goo.gl/VVos8k

Et comme cet article ne sera pas accessible longtemps j’ajoute deux autres interviews de Le CLézio : celui-ci dans Zinfo 974 lien ici  et enfin ce troisième sur YouTube lien ici.

 

Si vous avez le temps, lisez la Quarantaine, magnifique roman qui se passe sur un  ilôt au large de l’île Maurice.

Souvenirs de Ré


Ceci n’est pas une vraie carte postale de Ré. Un trompe-Google, tout au plus, clin d’oeil à qui saura rire de la pauvre ruse.

Que les autres, induits en erreur par le hasard d’un moteur de recherche égaré, pardonnent.

Voici, face à la plage Nord, l’ami d’enfance et l’auteur de ces lignes.

Des souvenirs qui nous construisent, dit l’ami, sans aucune nostalgie.

Celui qui parle ainsi connaît la douleur, celle qui dure et qui sape l’être jusque dans ses fondements.

Il s’y connaît en matière de destruction. Sa vie ressemble à ces digues ravagées par les ressacs, à ces dunes crevées, affaissées, où des blockhaus piquent lamentablement du nez parmi les oyats et les cristes.

C’est pourtant lui qui répare les corps brisés, lui qui prend la souffrance des irréparables entre ses mains énormes et qui leur propose, au dernier moment, sa folie en échange.

Mais en échange de quoi?

Sans doute, ils se comprennent et se rient de nous.

Ce langage, entre eux, de grandes marées. Pêche miraculeuse tout au bout des benches, pépites qui feraient reculer d’horreur le commun sentimental. Ces diamants acérés ne se cueillent qu’en fin de vie, là où les miroirs réfléchissent une lumière unique de vieux tain.

Que faire alors, sinon se souvenir, écouter, laisser venir les images. On venait là, sur ces plages, on s’épuisait en des courses viriles contre le vent, les cahots du sentier, l’averse. On regardait longtemps couler les nuages dans le ciel nocturne. Provision de trésors, sensations emmagasinées dans les muscles, ensevelies plus tard sous les saisons brutalement réalistes (à l’âge où l’on fait des enfants).

Et puis ces enfants nous défont.

Ces enfants nous creusent.

Un jour, ces enfants nous délivrent.

On voyait des fleuves et des îles creusées dans le sable, à marée descendante. Une Amazonie vue du ciel.

La lumière tout à coup révèle les corps-morts, ligne jaune alignée dans le bleu clair flottant liquide.

Une photo, parmi les herbes sèches et les coquelicots.

Deux photos, Puis trois, puis toute une série.

Ça fait rire l’ami bipolaire.

Quelle impudeur, aussi, et dans un lieu pareil.

Le soir, sur le port de Saint Martin, il me racontera l’histoire d’une très belle fille morte d’une façon ridicule. Sans la moindre nostalgie.

Retour à Ré


Il y a presque deux ans je retrouvais l’île de Ré, ses jeux de lumière sur les marais salans, les parfums de la dune et le plaisir physique de lutter contre le vent, contre la fatigue, la fierté de reconquérir un à un les mots, les sensations, les images et d’en faire un monde à partager. Après tant d’années au loin, je renouais une complicité presque enfantine avec ce coin de France. Un ami de Bangkok me parlait déterritorialisation, je répondais : Ré-paysement.

https://buencarmino.wordpress.com/2010/08/17/jeudi-5-aout-re-paysement/

Bien entendu, c’était la même chose, mais la même chose que quoi?

Déterritorialisation, cette faculté prodigieusement humaine d’inventer de nouvelles fonctions à partir d’une situation modifiée, de se créer un nouveau territoire, ancré dans le réel ou dans l’imaginaire. Génie de nos ancêtres nomades, chasseurs-cueilleurs. Et puis les sédentaires, ceux qui reviennent quelque part, les cueilleurs d’émotions et de sensations précises. Besoin d’ancrage dans un monde où s’effacent toutes les différences et tout ce qui pourrait porter du sens. 

Ce blog, né d’un triple pari, commençait sur ces mots, sur ces photos. On a parlé, depuis, de ce rapport compliqué au territoire, à l’identité, en des termes et en des lieux qui rendent presque impossible aujourd’hui d’y revenir sans poser de nombreux garde-fou, or le temps me manque, et ce serait ennuyeux pour le lecteur. L’envie de partager s’est trouvé d’autres voies, le blog a failli dépérir, négligé par son jardinier.

Et puis l’invitation d’un autre ami me ramène à Ré, pour quelques jours. Quelques photos prises entre les gouttes de pluie réveillent les « souvenirs sans nostalgie » dont parle cet ami. Le lieu, l’enfance et l’amitié se croisent, fidélités fertiles, mouvantes et libres, conversations nourries de sagesse. La joie de se baigner à nouveau, dès que monte un peu la température.

Sur la plage d’aluminium, au couchant, l’instabilité du monde est à prendre au mot.

la reine des grenouilles (1/3)


A l’époque, j’étais une toute jeune grenouille sans grande expérience de la vie. Lorsqu’il s’est approché de la rivière, l’air sombre et les cheveux en bataille, je me suis demandé si c’était pour se baigner ou pour se noyer.
Il s’est dépouillé de ses vêtements un à un. D’abord ses chaussures, qu’il a déposées sur la berge, puis sa longue chemise plissée, puis le pantalon de velours brun, puis ses bas, et j’ai vu qu’il avait un corps vigoureux. Ce n’était déjà plus un adolescent, mais ce que l’on appelle un homme jeune, bientôt dans la force de l’âge. Il est entré dans l’eau jusqu’à mi-cuisses puis il s’est mis à nager à contre-courant, dans ma direction. Je l’observais, posée sur un nénuphar, lorsqu’il m’a repérée. Il y avait en lui quelque chose de solaire, avec une ombre au milieu qui me fascinait.

Lorsqu’il est arrivé près de moi, j’ai ouvert la bouche pour lui communiquer mon message, mais il n’entendait rien. Alors j’ai plongé et lui ai parlé par les vibrations de l’eau.

– vous êtes une bien étrange grenouille, avec ce point rouge au milieu du front
– toutes les grenouilles de notre famille ont ce point rouge sur le front, en souvenir d’une honte ancienne qui frappa notre race il y a très, très très longtemps
– et que puis-je faire pour vous, madame la grenouille ?
– s’il te plaît, dessine-moi
– Mais je ne sais pas dessiner les grenouilles ! Et puis, pourquoi perdre mon temps avec un sujet aussi trivial ? Personne ne s’intéresse aux grenouilles. C’est ridicule.
– Ils ont tort, car nous avons beaucoup à leur apprendre, nous qui connaissons les secrets des deux mondes.
– Peut-être mais en attendant les portraits de grenouilles ne se vendent pas et moi j’ai une famille à nourrir, rétorqua le jeune peintre. Il venait d’arriver à Rome après un long et pénible voyage, et comptait bien faire carrière en obtenant des commandes auprès des cardinaux qui pouvaient payer cher pour des sujets historiques ou religieux. Mais pour des grenouilles ? Cela ne s’était jamais vu.

– Vendre! Il n’y a que cela qui vous intéresse, vous les jeunes peintres.
– Un artiste qui ne vend pas n’est qu’un crève-la-faim, un incapable, un loser. Ce n’est pas avec des portraits de grenouilles que je deviendrai célèbre à Versailles, même pour des grenouilles parlantes.
– ah non, Et le bassin de Latone, qu’en fais-tu, jeune présomptueux? N’est-ce pas l’un des plus photographiés par les touristes dans tout le parc de Versailles? Et les grenouilles n’y occupent-elles pas une place de choix?
– oui, mais celles-là étaient des grenouilles mythologiques, elles avaient eu maille à partir avec une déesse
– eh bien, qu’est-ce qui t’empêche de dessiner une grenouille mythologique?
– Comme toi par exemple? Mytho sûrement, logique, ça reste à prouver!
– Qui sait? peut-être suis-je un peu plus qu’une simple grenouille des marais.
– Quand bien même tu serais la reine des grenouilles, je ne m’abaisserai pas à te dessiner. Ce serait compromettre la haute idée que je me fais de mon art.
– C’est ton dernier mot?
– Oui
– Alors tant pis pour toi

un long silence

– N-as-tu donc aucun voeu que je puisse exaucer?

– Aucun

Quelque temps plus tard il éait de retour, honteux de son arrogance. Il parcourut longuement les bords du fleuve, mais la grenouille ne se montra pas. La faim lui donnait des hallucinations. Parfois, il croyait entendre la voix de la grenouille, mais ce n’était que le bruit du vent dans les peupliers.
A SUIVRE

Au Luxembourg


Au jardin du Luxembourg, le temps se dépose en couches successives que perce un coeur joyeux, ignorant de tout ce qui n’est pas son bonheur. Hier, ayer, ailleurs n’est rien. Demain passe comme une ombre, no es nada, revoici le ciel bleu. On est au coeur du monde. Il faut se faire un coeur de lion pour dévorer le jour, saluer la dignité des reines. On cherche en vain la statue de Pina Bausch, elle aurait toute sa place ici, face au soleil, sur la terrasse, et ses danseurs déployés autour du bassin défileraient avec les saisons. Que d’amour dans leurs yeux, leurs visages, les mots et puis surtout les corps. Danser la vie. Baila, Pina, baila, sonst sind wir verloren. Danse, ou nous sommes perdus. Le centre du monde est ici, bien caché. Tenir la main donnée. Capturer cela pour toujours, et le reste est nuages.

(Réponse de la PNL à Deleuze: le contraire de la déterritorialisation, c’est l’ancrage.)

la déterritorialisation de la culture pop Hommage à Xulux


Coup de coeur à Xulux, un blog dédié à la culture et qui s’intéresse tout comme BuencaRmino à la déterritorialisation et au dessin. Je vous en donne juste un court extrait J’avais abordé le sujet dans les dialogues avec Thibaud Saintain et dans mon article du mois d’octobre sur le modèle comme coach). J’y reviendrai encore dans un prochain article sur le projet EPLV (Expo Peinture Vidéo Livre) sur les livres peints de Mirella Rosner (Aracanthe).

Dommage que le mot « déterritorialisation » soit si long et donc condamné d’avance à l’ère de s 140 caractères-deux-secondes-et-demie d’attention de Twitter, car il évoque une réponse créative au sentiment d’exil, voire d’exclusion, y compris l’exclusion hors de son pays d’origine, hors de son corps, ou juste hors du présent. Je préfère donc m’en tenir à ce mot de re-paysement, désignant le choix d’habiter en pleine conscience son corps, son temps, et son espace, réel ou celui qu’on se crée. En version courte, selon le philosophe belge de la seconde moitié du XXème siècle Jean-Claude Van Damme, « la déterritorialisation, c’est aware ».

Extraits de Xulux :

1. « La Déterritorialisation est un concept phare de la philosophie deleuzienne qui illustre à merveille le processus créatif pop. Deleuze et Guattari utilisaient la métaphore zoologique pour en souligner la logique :

“Chez les animaux nous savons l’importance de ces activités qui consistent à former des territoires, à les abandonner ou à en sortir, et même à refaire territoire sur quelque chose d’une autre nature (l’éthologue dit que le partenaire ou l’ami d’un animal « vaut un chez soi », ou que la famille est un « territoire mobile »).” Gilles Deleuze, Félix Guattari : « Qu’est ce que la philosophie ? »

Mais avant d’en approfondir le fonctionnement, étudions d’abord sa genèse.

Le surréalisme constitue un bon point de départ avec ses agencements improbables, ses scènes oniriques, et ses jeux symboliques. A partir de ce moment l’art ne chercha plus à représenter exactement la nature, ou même la mythologie, mais à peindre de nouveaux mondes, les mondes intérieurs. (…)

2.

Car déterritorialiser un symbole c’est l’arracher de son milieu d’origine pour le reterritorialiser dans un environnement différent, et le faire ainsi cohabiter avec d’autres qui, réellement, ne possèdent pas de liens spatiaux ni temporels entre eux. Exposer un urinoir dans un musée c’est l’arracher de son contexte (les toilettes) pour le replacer dans un autre afin de créer une œuvre originale et un symbole nouveau.

La déterritorialisation trouve ainsi son expression musicale dans le sampling, procédé consistant à extraire un son de sa partition d’origine pour l’incorporer dans une nouvelle. Par exemple le titre de Dr Dre sample l’intro de “The edge” (1967) de David Axelrod qui figure sur l’album de David McCallum.

2010 en mots clés (et en images)


Avant de saluer l’année du colibri, il convient de dire au revoir avec grâce à celle qui va se clore, sur ces images de Séville.

Buencarmino chatouille la souris depuis quatre mois seulement, mais c’est une souris productive avec déjà plus de cent articles au compteur et plus de 2,300 pages vues, ce qui n’est pas si mal. J’ai donc choisi de lister ici les mots et les catégories qui vous ont amenés sur ce blog, avant de passer à un autre cycle.

DESSIN Parmi les catégories les plus recherchées, le dessin, comme acte de tracer à la main sur du papier des traits formant une figure, occupe une place prépondérante avec les mots suivants :

Aurélie Gravelat, dessinatrice de talent (un grand merci au passage à Serghei Litvin, fondateur de la Foire Internationale du Dessin, et à son Blog du dessin), dessin, croquis, nus, pastels, couleur, modèle, Anne-Marie Franqueville, Aracanthe, Mirella Rosner, outils, main (mais zéro pour « déterritorialisation« , pan sur les doigts, ça m’apprendra à frimer avec des mots de plus de quatre syllabes). Le dessin, comme le bricolage et toutes les activités manuelles, nous reconnectent au monde réel. Ils nous libèrent de la molle tyrannie du « monstre doux« , car le moindre trait, même le plus malhabile, signe l’affirmation d’un acte unique posé dans l’espace de la feuille : quand je dessine, je ne consomme pas, je suis.

PEINTURE : …la peinture  avec Jean-Michel Basquiat (Basquiat, le sacre de la couleur), suivi de Jérôme Bosch, dont j’ai tant aimé voir la Tentation de Saint Antoine à Lisbonne. Le voisinage me ravit, puisque je vois de fortes affinités entre ces deux peintres qui ont eu le courage d’explorer les cauchemars de leurs époques respectives – et les leurs.  Bosch et Basquiat : cela mériterait d’y revenir une autre fois, dans un prochain article. Loin derrière, le caniche pour milliardaires Murakami, amusant la galerie des glaces (me rappeler, en 2011, de parler de l’autre Murakami, celui de Kafka sur le rivage).

ECRITURE … Ce blog est né d’un défi : celui d’écrire tous les jours pendant l’été, puis de publier. Résister à la tentation du silence, à l’injonction mollifiante « à quoi bon, tout a déjà été dit ». Saluons ici les auteurs  de Mille Plateaux Deleuze et Guattari, mais aussi Valère Novarina, Racine (et Phèdre au labyrinthe), Proust qui nous aura vu courir sur les petites routes sarthoises;  mentionnons l’auteur fin de cycle, Houellebecq, mais surtout Cynthia Fleury (la fin du courage), Rafaele Simone (le monstre doux, le monstre doux, le monstre doux qui vous hypnotise avec sa voix de velours), François Cheng, et Stephan Zweig. Dès le départ, ce blog est né avec l’idée d’utiliser toutes les possibilités du lien html et ses ramifications infinies. Lier, c’est offrir un outil pour créer du sens. Opposer, juxtaposer : avec Edgard Morin, résister à la tentation de simplifier le millefeuilles du réel, de nos émotions, et ce qui nous lie.

EMPATHIE… l’empathie, (« l’empathie n’est pas une maladie », objet de nombreuses recherches sur Google), Antonio Damasio, qui nous mène au coaching avec Alain Cayrol et Nicole de Chancey; mais ni l’amour ni la tendresse ne vont ont menés jusqu’à ce blog; Pudeur ou désintérêt? On en parlera plus en 2011 car je pense, avec Luc Ferry, que l’amour est l’une des forces qui contribueront à structurer notre culture commune au 21ème siècle, en plus d’être une valeur profondément démocratique.

Vous vous êtes aussi demandé s’il y avait des mouettes dans la Sarthe (réponse : oui, et d’autres animaux voyageurs),

Vous avez interrogé Google sur le butô, sur Lisbonne et sur les Philippines, sur la Sarthe et sur l’île de Ré, sur David Pini, et nous avons parfois eu de beaux échanges sur l’un ou l’autre de ces sujets.

On explore ici les relations compliquées entre les mots et l’image, en cherchant le chemin d’une forme d’authenticité dans l’expérience. Et si l’on échoue, eh bien, on s’efforcera d’échouer toujours mieux. L’important est de faire sa part, comme dit le petit colibiri.

A bientôt, avec tendresse, espièglerie et curiosité pour la nouvelle année. Meilleurs voeux!

Les arbres chantants



Un soir, dans une ville d’Asie à la laideur asphyxiante, monstrueuse capitale d’un pays lointain si différent du nôtre qu’il en paraît insaisissable, inconcevable et repoussant, un de ces pays dont on ne parle que pour annoncer de mauvaises nouvelles, un pays dont on oublie jusqu’à l’existence et que l’on relègue loin, tout au loin dans la conscience, dans un ailleurs de pacotille, mes deux amis les plus proches et moi sommes restés longtemps dans une voiture en stationnement, parfaitement immobiles, scotchés dans un profond silence.
Nous écoutions  l’autoradio d’où sortait la voix d’une femme qui chantait en français, puis en italien. Sa chanson nous parlait d’ici, de l’Europe et de ses arbres où les feuilles, en hiver,
tombent,
où la lumière change au fil des saisons, où les champs vus du TGV se colorent de bruns veloutés dès la fin septembre, où de jeunes pousses vert tendre apaisent les yeux fatigués.
L’italien traduisait les paroles de la chanson qui tapissait l’habitacle de la voiture d’une enveloppe intime, familière et protectrice.
Quand la voix cessa de chanter, l’Ailleurs s’est refermé sur nous. Depuis, je rêve d’ici.

Lisbonne est généreuse


Lisbonne! Soudain, le nom de cette ville s’enrichit de nouvelles résonances. Le désir d’y retourner à la belle saison me taraude : revoir Lisbonne au printemps, dans la lumière de mai, goûter au parfum des jardins en fleurs, musarder à nouveau dans les musées puis dans les ruelles de la ville ancienne, prendre un verre dans les petits bars sympas. Tout cela m’est revenu au détour d’une conversation, comme une graine oubliée dans une jardinière qui fleurit soudain.

Curieux comme cette ville, à l’origine de la mondialisation, en porte le moins les stigmates. On cherchera longtemps les fast-foods et autres boutiques franchisées qui ne cessent de gommer les différences sur le visage des grandes métropoles mondiales. Lisbonne a su préserver l’intimité de son atmosphère et son caractère unique. On la dira peut-être un peu provinciale, et c’est très bien. Lisbonne est généreuse : elle vous donne le temps.

Revoir les portugais au long nez sur les paravents japonais, suivre les traces de cette légende merveilleusement contée par Stephan Zweig dans sa biographie de Magellan. Bref moment dans l’histoire où l’Europe se voit dans les yeux de l’Autre, avant de bien vite le ravaler au rang d’esclave ou de client. Ensuite, il faut attendre Edouard Saïd (Orientalismes) pour retrouver cette inversion du regard, l’humour en moins. L’oubli de soi , pour mieux se retrouver dans une égalité salutaire.

Et puis encore un mot sur ce grain de folie qu’on sent parfois frissonner sous la peau d’une ville, dans le visage des lisboètes. Pascal Mercier (Train de nuit pour Lisbonne) : « parmi toutes les expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie »…

Le territoire c’est le monde


 

Mouette Sans Frontières

 

Le temps d’un été, la Mouette Sans Frontières s’est posée dans la Sarthe, mais le reste de l’année, son territoire, c’est le monde.

Justement, on voulait vous parler d’Antoine Grumbach qui nous a fait respirer un grand bol d’air l’année dernière avec sa vision d’une métropole Paris-Seine étendue d’un large trait de crayon jusqu’à la mer. A l’époque, le projet n’a pas suscité l’enthousiasme : une métropole de 200 kilomètres de long, quand on n’arrive déjà pas à franchir mentalement le boulevard périphérique, ça fait peur. Comme tous les intramuriens (parisiens intramuros) confrontés à une idée qui dépasse leur entendement, on sourit, on hausse les épaules et on passe au sujet suivant. On avait tort. Ouvrir la métropole sur le grand large, aller chatouiller Londres et Rotterdam sous les bras, piquer des conteneurs à Anvers et créer au passage des milliers d’emplois qualifiés, cela mériterait déjà de retenir l’attention. Mais il y a plus piquant : c’est l’idée de réinventer la France à partir de sa façade maritime.

Or la Mouette Sans Frontières, quand on prononce le mot « réinventer », elle plonge!

Le renversement de perspective fondamental qui sous-tend le projet « Seine Métropole » nous invite à penser le territoire de la France dans sa relation avec reste du monde, et non plus dans une vision d’homogénéisation centralisatrice héritée de la révolution française, et ça c’est vraiment… révolutionnaire.  Sortir de l’opposition traditionnelle capitale-province pour penser « hub », flux, réseaux,  faire la mise au point sur ce qui bouge et non plus sur les valeurs terriennes chères aux ânes du Poitou, voilà une belle vision pour la capitale en XXL.

Jeudi 12 – suite : chimères


4. Nuit des chimères : les projecteurs habillent d’une peau de lumière les vieilles murailles de la cathédrale et son chevet, accrochant des taches de lumière tournoyante sur les arcboutants. Dragons, signes du zodiaque, animaux fantastiques s’envolent. Symboles fuyant sur les nuages, à toute vitesse. « Désert », « mémoire », « forêt » : des mots défilent sur la pierre, à la verticale, à l’horizontale, se posent le temps d’une micro-méditation puis filent. Même en vacances le temps galope. Ne pas épuiser l’attention : poésie touristique, on effleure, on suggère, on y va léger-léger, mais spectaculaire.

5. Je commence à travailler sur mon blog. Hébergement, choix d’un nom, domaine, pages : absorber le jargon, tenter-rater-recommencer. Don’t panic ! Consulter les forums. Cliquer-glisser. Cliquer-hurler. Noms d’oiseaux. Cris des mamans, z’oreilles d’enfants ! J’insère un texte, une photo. Oùestellepassée ? Re-clique ici, dans la fenêtre. Onglet, balises, HTML (toi-même!) J’enregistre et j’enchaîne sur l’atelier « légumes ». Une pomme de terre en main, le monde s’apaise.
6. Il pleut toujours. Les claviers cliquent, les portes claquent. Fuck la pluie, on sort !
7. Les doigts de la petite sur le piano désaccordé, supplice attendrissant.
8. C’est quoi, une chimère? Ben, euh, c’est un animal chimérique!